17 étudiants de l’Université de Franche-Comté étudiaient en Russie quand Vladimir Poutine a envoyé ses troupes sur l'Ukraine. Ces étudiants sont sur la route du retour. Un retour inattendu pour ces jeunes de 20 ans, dont la vie a elle aussi été bousculée par la guerre.
Ils étaient partis depuis près de 10 mois pour une année d’échange universitaire. Destination Barnaoul, une ville de Sibérie de 600.000 habitants située à 3.600 km à l'Est de Moscou. Il y a quelques jours encore, ces jeunes s'immergeaient dans les paysages russes sur les rives du lac Baïkal.
Le 24 février, l’invasion russe de l’Ukraine ordonnée par Vladimir Poutine a sonné la fin de leur année universitaire là-bas. “Au début, on s’est dit qu’on allait rester, qu’il ne fallait pas paniquer. Quand le quai d’Orsay nous a contacté, on a commencé à prendre cela au sérieux” explique Bastien, 21 ans. “Puis avec les sanctions économiques qui allaient tomber en Russie, on a compris que les choses allaient se compliquer” ajoute l’étudiant. L’Université, leurs familles ont fini par les persuader de rentrer.
Sibérie, Besançon : trois jours d’un voyage retour inattendu
Bastien, Nikita, Emilie, Ambre, Deniz… Ils sont cinq à avoir quitté la Sibérie finalement le samedi 5 mars. L’université en France a rompu notre contrat d’échange, précise l’un d’entre eux. Pas de départ précipité. “On a eu une semaine pour préparer notre départ, racheter une valise, prendre quelques souvenirs” confie Bastien. Partis de Barnaoul, les étudiants ont pris l’avion pour Moscou. Puis un vol vers Saint-Pétersbourg. Dimanche 6 mars, c’est en bus qu’ils ont relié Saint-Pétersbourg à Helsinki en Finlande. “300 km de voyage, mais ça a été long, très long, on a dû subir les contrôles aux frontières, des Russes qui ont fouillé, vidé le bus, puis le contrôle à nouveau à l’entrée en Finlande” détaille l’étudiant originaire de Vesoul en Haute-Saône. “On a vu d’autres Français qui quittaient la Russie”. Dernière étape à franchir pour les étudiants francs-comtois, un avion en direction de Genève et Paris.
“On a rencontré des gens formidables là-bas”
Pour ces étudiants, le regret est forcément là. Mais ils savent qu’ils n’avaient pas le choix. “On s’est fait à l’idée qu’on ne retournerait pas de sitôt en Russie, on avait encore plein de projets pour voyager là-bas" raconte Bastien. Nikita a aussi le cœur gros. “On s’était attaché à des gens formidables. On a, au fil des mois, découvert, redécouvert la culture russe. Le système éducatif est différent de la France. On a énormément voyagé, fait des activités atypiques, aller à l’opéra en Sibérie, se baigner dans un lac gelé, même manier la kalachnikov" raconte Nikita, qui a la double nationalité biélorusse et française.
“C’est une guerre inutile”
À Barnaoul, le calme régnait au moment de l’attaque de l’Ukraine par Vladimir Poutine. Avec les étudiants russes, les jeunes Français ont pu aborder bien sûr ce conflit. “Tous les étudiants ont honte de ce qui se passe. Ils ne soutiennent pas Poutine. Ils ne peuvent pas protester, se plaindre. Ils subissent et vont subir les restrictions contre la Russie” estime Bastien. D'autres, plus minoritaires sont derrière Poutine, estime Nikita. Il est inquiet pour ses amis qui se trouvent aujourd'hui en Ukraine, un pays dans lequel il s’était déjà rendu. “J’ai des amis en Ukraine qui se barricadent chez eux. J’ai très peur, c’est une guerre inutile” dit-il. En quittant la Russie, ces jeunes retrouvent une liberté de parole. “Les derniers jours, j’évitais de dire en Sibérie que j’étais Français, à cause des sanctions prises par Emmanuel Macron et la France. J’avais peur que des Russes me voient comme Français” ajoute Nikita qui va retrouver sa ville de Belfort.
Quid du reste de l’année universitaire et des échanges avec la Russie ?
Chaque année, l’Université de Franche-Comté envoie une quinzaine d’étudiants en Russie, principalement des étudiants en langues étrangères appliquées. C’est la première fois qu’une guerre contraint à faire revenir en urgence des étudiants. “Ce sont des échanges qui existent depuis des années, mes collègues ont passé beaucoup de temps à nouer des liens. Ce qui nous inquiète, c'est la poursuite des échanges avec la Russie. Envoyer des étudiants là-bas, notamment ceux qui ont commencé le russe en première année, était pour nous absolument essentiel afin de les faire progresser dans la langue. Entre le Brexit, la pandémie, la guerre, cela devient compliqué de gérer un département Langues étrangères appliquées où une large part de notre raison d'être consiste à envoyer des étudiants aux quatre coins du monde” explique Michel Savaric, directeur du département LEA à l'Université de Franche-Comté.
D'autres étudiants comtois venaient eux tout juste d’arriver en Russie, ils ont dû faire demi-tour. Au prochain semestre, les échanges n’auront certainement pas lieu. Quant à Bastien, Nikita, Émilie, Ambre et Deniz, l'université est en train de voir comment va se dérouler la fin de leur année. Soit en distanciel, soit avec des cours en France.