Guerre en Ukraine : ces Russes de Bourgogne nous expliquent pourquoi c'est si difficile, pour leur peuple, de stopper Poutine

"Arrêtez Poutine, descendez dans la rue, toute nation est responsable de ses dirigeants", dénonçait Dmitri Tuzov, éditorialiste ukrainien, dans une lettre ouverte, ce vendredi 4 mars. Face aux questions que se pose le monde entier à propos du soutien, ou non, des Russes à la guerre en Ukraine, nous avons tenté de comprendre leur délicate position au milieu de ce conflit en interrogeant 3 femmes dijonnaises d'origine russe.

Elles viennent de Moscou, du Caucase, d'une petite ville russe près de l'Ukraine. Elles habitent aujourd'hui en France, en Bourgogne, et sont conscientes des terribles scènes de guerre qui se jouent en Ukraine. Elles s'en offusquent. Elles pleurent leurs "frères" ukrainiens. Elles ont aussi peur pour les leurs, restés en Russie, soumis au service militaire et aux sanctions économiques internationales. Mais quand on leur demande "le peuple russe ne peut-il pas stopper Vladimir Poutine dans son élan meurtrier ?", elles bottent en touche. "Impossible, c'est une dictature, les Russes peuvent se retrouver en prison pour des années entières rien que pour avoir prononcé le mot 'guerre'". Il y a la censure, la culture de la répression et l'enfermement, l'apolitisme qui en découlent. Tant de raisons qui freinent les Russes dans leur indignation. Et pourtant, nombreux sont ceux à ne pas soutenir cette guerre. 

"On n'est pas surpris, on connaît Poutine et son comportement de dictateur" 

La preuve, place de la Libération, à Dijon, ce samedi 5 mars, ils étaient présents dans la foule du rassemblement en soutien à l'Ukraine. On y a croisé Françoise, d'origine tatare : "c'est horrible de voir ce qui se passe aujourd'hui avec l'Ukraine, malheureusement, nous, on n'est pas surpris. On connaît Poutine et son comportement de dictateur". Elle en a fait les frais. Persécutée par le Kremlin, elle a fui le Tatarstan, république de Russie, en 2004.

Depuis, elle a emménagé à Dijon et mis au monde Margaux, qui s'insurge, avec elle, du traitement réservé aux Ukrainiens. Et si elle se permet de manifester aujourd'hui, depuis la France, ce n'est pas le cas de sa famille, restée au pays : "personne ne parle, personne n'en parle, tout court, et je ne peux que les comprendre, quand j'y habitais, c'était la même chose, on risquait 15, 20 ans de prison"

Des enfants arrêtés en Russie pour avoir brandi une pancarte "Non à la guerre" 

Une répression que confirme Eva, partie de Moscou il y a maintenant 27 ans : "ma mère et ma sœur y vivent toujours, elles détestent Poutine mais sont effrayées, elles n'osent pas en parler entre elles". 

Depuis le début de l'offensive russe, les manifestations contre la guerre se succèdent à Moscou, devant l'ambassade ukrainienne. Mais les quelques courageux qui s'y essayent sont sévèrement réprimés. Ce jeudi 3 mars, cinq enfants russes âgés de 7 à 11 ans se sont fait arrêter. Les manifestants pourront bientôt être considérés comme extrémistes, un crime passible de 8 à 15 ans de prison.

Pour Eva, sortir en petit groupe est trop dangereux. Pour arrêter Vladimir Poutine, "il faut que tous les Russes sortent dans la rue". 

"Je ne me sens plus russe" 

Un discours qu'elle tient depuis Dijon, car la Russie, elle l'a quittée il y a bien longtemps : "Je n'aime pas mon pays, je hais Poutine, je ne supporte pas même de l'entendre, je ne me sens plus russe". Des mots à l'échelle de sa souffrance : "je me sens si mal pour tous mes amis ukrainiens, si mal".

Ce samedi 5 mars, c'est avec son amie ukrainienne et son amie bulgare qu'elle manifestait, place de la Libération, pour tenter, à son échelle, de stopper l'hémorragie

"Pourquoi tu ne critiques pas la guerre sur les réseaux sociaux ?", lui demandent ses amis 

Anna*, 26 ans, se sent honteuse, lâche, quand ses amis ukrainiens lui demandent "mais pourquoi tu ne critiques pas la guerre sur les réseaux sociaux, pourquoi tu ne postes rien ? Ceux qui sont silencieux sont les pires". Elle qui a quitté la Russie à 19 ans, sur conseil de son père pour avoir une vie meilleure, elle qui a appris à parler français grâce à son tuteur ukrainien, elle qui vient de Krasnodar, une ville située près de la frontière avec l'Ukraine, où l'on parle même un dialecte ukrainien, elle qui méprise Poutine et ses décisions, elle qui n'a pas pu retenir ses larmes les 3 premiers jours de l'offensive russe sur son voisin. 

Elle aimerait tant pouvoir s'exprimer. C'est d'ailleurs pour cela qu'elle le fait, auprès de France 3, mais de manière anonyme. Car c'est avant tout la peur qui guide les Russes aujourd'hui. 

"On pourrait m'enfermer, m'accuser d'espionnage" 

"Sous prétexte que je soutiens 'l'oppression ukrainienne', en postant quelques mots sur internet, on pourrait m'enfermer si je rentrais en Russie. Etant partie habiter aux Etats-Unis, au Canada et en Europe depuis quelques années, on pourrait même m'accuser d'espionnage". Et Anna n'imagine pas ne pas pouvoir revenir voir sa famille, ses amis, chez elle. Elle n'imagine pas non plus pouvoir les mettre en danger. 

Une vie entière sous Poutine : "mes amis russes se satisfont de leur situation, ils n'ont aucun élément de comparaison" 

Cette mécanique de la peur, elle a grandi avec. Née en 1996 en Russie, elle n'a connu que Vladimir Poutine au pouvoir. Et si Anna s'est "ouvert l'esprit" en voyageant, ses amis restés là-bas "ne se rendent pas compte que leur monde n'est pas la normalité. Avec la censure des médias et la propagande permanente depuis qu'ils sont nés, ils pensent que leur situation est satisfaisante, que c'est pire ailleurs. Ils n'ont aucun élément de comparaison". Ils se disent même "si Poutine part, personne n'est capable de le remplacer pour contrôler un si grand pays". 

Qui dit dictature, dit peuple apolitique ? 

Ses amis russes n'ont accès qu'à très peu d'informations étrangères. Chez eux, les médias sont contrôlés par le Kremlin. Prononcer le mot "guerre" est interdit, "opération spéciale pour la libération de l'Ukraine", est l'expression autorisée et véhiculée.  L'opposition politique est étouffée et aujourd'hui presqu'inexistante. Internet, le seul espace disponible pour une parole libre est désormais contrôlé. Le régulateur russe des médias a ordonné, ce vendredi 5 mars, le blocage de Facebook et a restreint l'accès à Twitter.

La conséquence de tout ça ? Des citoyens "pour la plupart apolitiques", nous répond Anna. "J'ai été très choquée en arrivant en France. Ici, tout le monde parle de politique. En Russie, ce n'est pas un sujet, il n'y a de la place que pour la propagande"

"La haine contre les Russes va grandir"

Anna en veut à son président : "comment peut-il dégrader son pays comme ça ? Je me dis qu'on est comme la Corée du Nord". Aujourd'hui, elle a peur pour la Russie et pour les siens : "mon neveu et ma nièce vont grandir dans un pays encore pire que celui dans lequel j'ai grandi, et qui plus est face à une haine contre les Russes qui va grandir". 

Les sanctions économiques internationales se font déjà sentir auprès de ses proches 

Elles craint également les sanctions internationales, qui font déjà leurs effets sur la population russe : "le rouble, notre monnaie, a perdu un tiers de sa valeur en une semaine, les pauvres vont devenir encore plus pauvres, nous ne produisons pas grand chose, nous sommes très dépendants des importations". L'avenir est teinté d'incertitude : "ma grande sœur, qui prospectait pour acheter un appartement il y encore quelques jours n'est plus en mesure de devenir propriétaire, les taux d'intérêts ont grimpé"

La résistance pourrait-elle venir d'en haut ? 

Alors Anna espère que la rébellion contre cette guerre en Ukraine lancée par Vladimir Poutine viendra des "riches", des oligarques, fortement touchés, eux aussi, par les sanctions économiques. Car pour elle, connaissant la Russie, son histoire et sa culture de l'oppression : "ça ne peut pas venir du peuple". 

*Anna est un nom d'emprunt pour protéger son identité et sa famille, qui vit encore en Russie

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