Près de soixante agriculteurs occupent pour quelques jours le rond-point au sud de Saint-Sauveur (Haute-Saône) et y opèrent des barrages filtrants avec leurs tracteurs. Non syndicale, cette manifestation locale a été organisée par de jeunes éleveurs pour ceux ne pouvant pas se déplacer à Paris, en soutien au mouvement national.
Près de quarante tracteurs ont échoué ce 29 janvier sur le rond-point au sud du village de Saint-Sauveur (Haute-Saône), qui connecte la D64 et la N57 près de Luxeuil-les-Bains. Une soixantaine d'agriculteurs occupent les lieux et bloquent de façon alternative chacun des embranchements. Le nombre de poids-lourds qui empruntent le giratoire témoigne de l'importance du lieu : "C'est le premier rond-point qu'on rencontre depuis le Luxembourg, assure un commerçant de Luxeuil-les-Bains, la ville voisine. Ce n'est pas pour rien que les douanes contrôlent souvent là-bas."
Sur ce rond-point stratégique, on rencontre surtout de jeunes agriculteurs en combinaison agricole, pour la plupart éleveurs de vaches à lait ou à viande. Tous dénoncent des taxes trop lourdes et des normes écologiques "en contradiction avec le terrain", et souhaitent des prix encadrés, leur garantissant un salaire stable, et attendent du gouvernement "autre chose que des effets d'annonce".
Un siège de plusieurs jours
"Aujourd'hui, on a des prix qui vont dans tous les sens, on ne peut rien maintenir. On est bien les seuls vendeurs à qui les clients imposent le prix de vente. Et puis on accepte parce qu'il faut bien survivre, regrette Cédric Salgado, éleveur de chevaux et de vaches à Fontenoy-la-Ville. L'agriculteur de 37 ans a monté cette manifestation avec deux collègues, en dehors de tout cadre syndical.
"Le gouvernement a fait des avancées sur le GNR, mais rien sur le fioul, regrette Marius Simon, l'un des trois organisateurs de la manifestation locale. On aimerait que la loi Egalim soit respectée, qu'on pratique les mêmes prix que tous, on traite nos champs pareil."
Monter à Paris, c'est un gros dispositif : on peut pas tous se permettre de laisser de côté nos exploitations. Les syndicats montent à Paris et nous on reste ici, mais le but c'est d'être solidaire avec le mouvement national.
Marius SimonAgriculteur à Mailleroncourt-Saint-Pancras (Haute-Saône)
À la manière des Gilets jaunes, ils vont siéger ici plusieurs jours et bloquer toutes les 5 minutes une branche du giratoire à la fois. Puis rester veiller la nuit : "Ce soir, on va rester une dizaine à surveiller nos tracteurs," relève Marius Simon. La petite équipe compte rester au moins 72 heures sur le rond-point.
Pour les agriculteurs haut-saônois qui souhaitent gagner la capitale, un convoi organisé par les syndicats FDSEA et Jeunes agriculteurs partira de la zone artisanale de Combeaufontaine à 2 heures du matin.
Jeune et agriculteur
Futur papa, Marius Simon éprouve "de la fierté" d'être "la 5e génération" de sa famille à travailler dans la ferme. "On m'a laissé un héritage, sourit-il. Jusque là, on est restés dans les bâtiments que mon ancêtre avait monté de ses mains, mais ça n'était plus aux normes et j'ai dû en refaire un." L'éleveur déplore que ces travaux doivent être réalisés par des entreprises spécialisées pour être aux normes, ou encore que les permis de construire soient accordés en plusieurs mois.
"On est envahis de paperasse. Et pendant qu'on fait ça, on ne fait pas notre boulot," soupire Florian Dirand, 24 ans. "Je suis né là-dedans, je savais que c'était dur. On passe notre vie au travail. On fait des semaines où on travaille jour et nuit, ça m'est arrivé de travailler 36 heures non stop," confie le jeune homme, qui travaille dans la ferme familiale à Saint-Bresson.
Je suis un peu désespéré. Mais je suis la 5e génération de ma famille à travailler dans la ferme. Dès que j'ai un problème, je pense à ça. J'ai repris la ferme de mes ancêtres, c'est vraiment une fierté.
Florian DirandAgriculteur et boucher à Saint-Bresson (Haute-Saône)
Pour Florian comme pour beaucoup d'autres, c'est "la passion" qui les tient. "Si on jour cette passion disparaît, peut-être que je repasserais boucher à plein temps," confie le jeune homme, titulaire d'un CAP boucher.
Auprès de ces jeunes, on trouve des paysans plus expérimentés, comme Denis Géant. "J'ai 59 ans, et c'est la première fois que je me mobilise," raconte cet éleveur de vaches laitières à Esmoulières (Haute-Saône), qui s'est lancé dans la vente directe il y a quelques années. Une adaptation salvatrice : "aujourd'hui, on rivalise d'imagination pour maintenir l'exploitation. La vente directe, c'est notre bouée de sauvetage, mais c'est chronophage. On a une boutique à Besançon, là où se trouve de la clientèle, et ça demande 3h d'aller-retour par jour."
Ce paysan est convaincu que "si la filière se casse la gueule", c'est à cause de la baisse du pouvoir d'achat des consommateurs. "On arrive au bout d'un système agricole, un système qui a pourtant été adoubé par le monde paysan, et notamment par le syndicat majoraire qu'est la FNSEA," prédit-il, persuadé par la capacité d'adaptation de l'agriculture française. "En fait, il faut avoir la rage pour être agriculteur !" concède Cédric Salgado.