Les PFAS, des composés chimiques ultra-résistants, sont pointés du doigt par une enquête du Monde, réalisée avec 16 autres médias européens. Ces polluants éternels, qui comportent un risque pour la santé, sont présents dans de nombreux produits. On vous explique comment les mousses incendies sont responsables de la contamination aux PFAS des bases aériennes et des aéroports.
Dans la région, c’est un lieu réputé pour ses vrombissements. Un lieu où des Mirage 2000 décollent subitement. Il est désormais connu comme l’un des potentiels sites les plus pollués de France. La base aérienne 116 de Luxeuil-les-Bains (Haute-Saône) est dans le viseur d’une enquête publiée par Le Monde et 16 autres médias européens sur les PFAS. Ces polluants dits éternels peuvent être liés à l’apparition de pathologies graves telles que le cancer ou encore l’obésité.
Une des personnes à l’origine de ces révélations, c’est Stéphane Horel. Cette journaliste du Monde a travaillé plusieurs mois sur le sujet à partir de données publiques sur les PFAS. Dans un entretien accordé à France 3 Franche-Comté, elle confirme que la BA 116 est « à proximité d’un des endroits où la contamination aux PFAS est la plus élevée de tout le pays ». La base est répertoriée comme un lieu de contamination présumée aux substances per- et polyfluoroalkylées, ce qui correspond aux « sites où l’activité industrielle est susceptible d’avoir utilisé ou d’utiliser des PFAS et donc d’en avoir émis dans l’environnement ».
Grands utilisateurs de mousses anti-incendie de type B pour éteindre les feux d’hydrocarbures, les bases militaires comportent un plus grand risque de contamination en raison de la fréquence des exercices d'entraînement. Certains sont qualifiés de « hot spots », c’est-à-dire qu’ils auraient une concentration de PFAS supérieure à 100ng/L. C’est le seuil jugé dangereux pour les eaux destinées à la consommation au sein de l’Union européenne. Stéphane Horel remarque que « la grande majorité des hot spots connus et sous surveillance à travers l’Europe sont dus à l’usage de ces mousses anti-incendie ».
En Franche-Comté, plusieurs lieux sont concernés, d'après le recensement du Monde :
- Aérodrome d’Arbois
- Aéroparc de Belfort-Fontaine
- Aérodrome de Vesoul-Frotey
- Aéroport de Dole-Tavaux
- Aérodrome de Montbéliard – Courcelles
- Base aérienne 116 de Luxeuil-les-Bains
Quel rôle ont les PFAS dans ces produits ignifuges ?
Un incendie peut s’expliquer par la combinaison de deux facteurs. D’une part, un carburant, c’est-à-dire une matière inflammable. D’autre part, un comburant, c’est un composant qui fait brûler comme l’oxygène. « Schématiquement, dans les mousses anti-incendie, les PFAS permettent d’absorber l’oxygène présent dans l’air, ce qui réduit les flammes et donc faiblit puis éteint l’incendie », explique Pierre-Marie Badot, professeur d’écotoxicologie à l’Université Franche-Comté et chercheur au Laboratoire Chrono-environnement.
Ces composés chimiques étant simples à fabriquer à l'échelle industrielle, ces produits ignifuges aux PFAS sont donc largement commercialisés et utilisés. Seules deux molécules perfluorées sur plus de 5 000 ont été interdites dans ces mousses au sein de l’Union-Européenne : les PFOA et les PFOS. Une proposition a été émise par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) pour bannir tous les PFAS des mousses anti-incendie d’ici à 2025.
Différencier le 'danger' du 'risque'
« Supprimer ces PFAS dans les mousses anti-incendie ne règlera pas la question tant leur usage est répandu, reprend le chercheur. En effet, les perfluorés sont largement utilisés dans les textiles imperméables, le revêtement des poêles, les emballages alimentaires… » Leur fabrication date des années 1940 « après la 2nde Guerre mondiale, au moment où la production chimique s’est fortement industrialisée ». Le professeur d’université rappelle que « les PFAS ont quand même été employées parce que leurs propriétés nous rendent service ».
Pierre-Marie Badot souligne que le problème se situe davantage dans le taux de concentration des PFAS plus que dans les PFAS eux-mêmes. « En soi, tout produit comporte un danger. Il faut plutôt mesurer le risque, à savoir la probabilité que le danger puisse apparaître. Ici, cela se joue dans le niveau d’exposition à ces perfluorés. »
L’ennui, c’est que les PFAS sont des polluants dits « éternels », c’est-à-dire qu'ils ont une grande stabilité dans le temps. L’écotoxicologue explique que « la difficulté, c’est leur persistance. On la calcule en demi-vie : c'est la durée en deçà de laquelle il ne restera que la moitié de la substance. La demi-vie des PFAS représente plusieurs décennies voire siècles, donc leur désintégration est extrêmement lente. » Et d'après lui, il est « quasi-impossible » de dépolluer un site.
Pourquoi les PFAS sont-ils autant répandus ?
Si le terme PFAS regroupe aujourd’hui plus de 5000 molécules, le professeur évoque une « infinité de possibilités ». « C’est une grande famille : les PFAS sont fabriqués à partir de fluor qu’on ajoute à une chaîne carbonée, résume le scientifique. En modifiant légèrement cette chaîne, on peut créer une autre molécule. Ce qui n’altère pas ses propriétés, mais qui ne supprime pas non plus sa toxicité. »
D’après Pierre-Marie Badot, qui a collaboré avec l’Agence nationale de Sécurité sanitaire sur la question des perfluorés, les autorités travaillent sur ce sujet depuis « plusieurs dizaines d’années ». Comment se fait-il que les PFAS soient toujours commercialisés ? « Le problème, c’est que les PFAS ont été créés avant la réglementation REACH », note le professeur. Auparavant, quand une usine produisait une substance chimique, cette dernière était réputée non nocive. Il fallait donc prouver sa dangerosité pour pouvoir la bannir. Depuis la réglementation européenne REACH, entrée en vigueur en 2007, ce fonctionnement a été modifié. Pour toutes les nouvelles substances chimiques produites, les industriels doivent prouver que celles-ci ne sont pas dangereuses. Ainsi, il n’a pas été obligatoire de démontrer l’innocuité des PFAS avant de le produire au sein de l’Union européenne.
Des alternatives ?
Cependant, l’instance supranationale pourrait bientôt bannir cette substance ultra-résistante. En effet, le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Norvège et la Suède ont constitué un dossier commun en réunissant les données scientifiques sur la toxicité, l’exposition et la contamination, et l’ont présenté à l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) le 7 février dernier. Ces cinq pays ont proposé de bannir les PFAS au sein de l’Union-Européenne, qu’il s’agisse de sa fabrication ou bien de son importation. Une proposition que l’ECHA a acceptée et a transmis à la Commission européenne – instance ayant un pouvoir réglementaire.
Aujourd’hui, la concentration en perfluorés est considérée comme dangereuse à partir de 100ng/L. « La valeur est-elle satisfaisante ou pas ? Il y a débat, reprend le scientifique. Certains considèrent que ce taux de référence est trop élevé. C’est le cas des cinq pays de l’ECHA, qui affirment qu’il faudrait descendre cette valeur. Or le meilleur moyen de descendre ces valeurs serait de ne plus en produire. »
Cette possible interdiction, c’est une évolution que le professeur voit d’un œil très favorable… non sans interrogations. « La question qui se posera, c'est : par quoi allons-nous les remplacer ? Si les PFAS ont été utilisés à un moment, c’est parce qu’ils correspondaient à la meilleure solution au meilleur coût, admet-il. D’autres substances alternatives pourraient être moins performantes et plus coûteuses... ce qui n’est pas non plus une raison de s’en détourner » Et de conclure : « C’est la réglementation qui fera évoluer les pratiques. »