Certains enfants souffrent de phobie scolaire et sont désemparés face à la rentrée. Cette problématique, souvent perçue en premier lieu comme un caprice, est en réalité bien plus complexe et impacte durablement l’entièreté du cercle familial. Une collégienne, sa mère, une association en témoignent.
C’est la veille de la rentrée, et pour Lilla, qui entre en troisième cette année, cette période engendre un état de stress conséquent. Depuis plus de trois ans, l’adolescente, qui vit à Champagney en Haute-Saône, souffre de phobie scolaire. Ce mal-être empiète sur son quotidien et celui de sa famille.
Maux de ventre, de tête, crise d’angoisse, de tétanie… Et enfin, refus catégorique d’aller à l’école. Souvent incompris de prime abord, les enfants souffrant de phobie scolaire sont terrorisés à l’idée de passer le portail de l’établissement. Aux premiers symptômes succèdent les rendez-vous médicaux, les bilans psychiatrique et psychologique, les discussions avec le corps enseignant… Un véritable combat s’enclenche pour les familles concernées et les solutions sont parfois extrêmement difficiles à trouver.
La phobie scolaire touche entre 1 et 5% des enfants, selon une récente étude menée par la chercheuse à l’Inserm et pédopsychiatre Laelia Benoit.
"J'ai peur de décevoir ou d'énerver les profs"
Les difficultés de Lilla ont commencé l'été juste avant son entrée en sixième : “Ça faisait déjà un moment qu’elle prenait sur elle. Lilla a progressivement arrêté de manger, avant la rentrée, elle a été hospitalisée pour anorexie” raconte Corinne Coudereau, sa maman.
"Ma fille a toujours été hypersensible, très rigoureuse envers elle-même, elle se met énormément de pression toute seule. Surtout en ce qui concerne l’école, les notes, le regard des autres” ajoute-t-elle. Avec timidité, l'adolescente confirme : “Je n'ai jamais eu moins de dix mais pour moi moins de 15, c'était nul. J’ai peur de décevoir ou d'énerver les profs”. Elle raconte son calvaire.
Quand j’étais devant une évaluation, je tremblais, je me retenais de pleurer. Des fois, je pleurais avant d’y aller. Quand il y avait une évaluation le lendemain, c’était l’enfer
LillaAtteinte de phobie scolaire
Après deux mois d’hospitalisation, Lilla intègre le collège au mois de novembre. S’ensuit une année de souffrance extrême pour l’adolescente qui se renferme de plus en plus sur elle-même. “Elle a essayé de se maintenir toute l’année, mais juste avant la rentrée en cinquième, elle a rechuté et il a fallu de nouveau l’hospitaliser”. Cette fois, la jeune fille reste trois mois à l’hôpital.
À son retour à l’école, elle bénéficie d’un emploi du temps aménagé et d’un suivi psychiatrique et psychologique. Malgré cette aide, “Je me sentais comme si tout le monde me jugeait, me regardait, comme si mon ventre était méga serré” se souvient Lilla. La situation est loin d’être idéale, mais elle tient bon.
Pour sa famille, le regard des autres n’est pas non plus toujours facile à gérer : “C’est très dur à vivre, déjà parce qu’on a encore un fonctionnement à l’ancienne”, affirme Corinne. “Souvent, on culpabilise la mère, on culpabilise les familles", déplore-t-elle.
On nous reproche de rentrer dans leur jeu, de ne pas leur imposer de règles. On nous dit que c’est du cinéma.
Corinne CoudereauMère de Lilla
Les choses se compliquent à nouveau lors de l’entrée en quatrième de l’adolescente : “Ça a été très difficile, le collège était moins conciliant. L’équipe pédagogique a changé et il y a eu une lassitude des professeurs et de l’établissement. On lui a refusé tous les acquis qu’elle avait eus avant.” L’année a été ingérable pour l’adolescente qui a vécu un calvaire. Pour l'année à venir, ses parents ont pris une décision radicale, qui lui permet de faire son entrée en troisième dans un état d'esprit plus apaisé.
“La tête veut, mais le corps dit stop”
Les profils d’enfants concernés par la phobie scolaire sont divers et variés et les causes plurielles. Si près de 50% des cas surviennent à la suite de harcèlement en milieu scolaire, d’autres facteurs peuvent être déclencheur : “Il y a beaucoup d’enfants atteint de trouble du spectre autistique (TSA), de trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), de troubles dys (dyslexie, dysorthographie…) ou encore de jeunes à haut potentiel intellectuel” détaille Christelle Schnitzler, co-présidente de l’association phobie scolaire. Cette dernière connaît bien la problématique, elle l’a vécu avec ses deux enfants.
On pense d’abord à un caprice, mais plus le temps passe, plus on doit les forcer à se lever, à s’habiller, à déjeuner…
Christelle SchnitzlerCo-présidente de l'association Phobie Scolaire
“La tête veut, mais le corps dit stop. Ça commence de façon succincte, puis petit à petit ça grignote sur le quotidien” ajoute Christelle Schnitzler.
C’est le quotidien de toute la famille qui est impactée par la phobie scolaire. Selon l’étude de Laelia Benoit, 69% des parents dont l’enfant est concerné doivent réduire leur rythme de travail pour s’occuper de lui. À cela s’ajoute le coût des traitements psychologiques qui ne sont pas toujours pris en charge et qui peuvent vite atteindre des niveaux très importants. Toujours selon l’étude, les familles investissent en moyenne 150 euros par mois dans des thérapies non remboursées pour aider leur enfant.
“Ce n’est pas une vie de ne pas aller à l’école”
Néanmoins, des solutions existent et peuvent être mises en place pour apaiser les souffrances de ces enfants. Selon Christelle Schnitzler la priorité est d’être à l’écoute du jeune concerné : “Ils ont bien souvent envie d’apprendre, mais sont complètement bloqués. Je me souviens d’une phrase que mon aîné a dite à son petit frère : ‘Ce n’est pas une vie de ne pas aller à l’école’” raconte-t-elle.
Il est alors important de faire attention aux signes avant-coureur, car avant la phobie scolaire, un trouble anxieux de l’enfant est visible : “Il ne faut pas attendre un décrochage total, dès les premiers symptômes, il faut comprendre que c’est important. En premier lieu, je conseille de lever le pied, de faire une pause de trois semaines. Le but, c'est d'éviter que le trouble anxieux s’amplifie.”, commente Christelle Schnitzler. L’association phobie scolaire conseille de mettre en place ce qu’ils appellent “le trio gagnant”. C’est-à-dire qu’un lien étroit doit se créer entre l’établissement scolaire de l’enfant, sa famille et l’équipe de thérapeute qui le suit afin d’adapter des solutions propres aux difficultés et aux particularités de chacun.
Pour Lilla, la rentrée devrait se passer dans de meilleures conditions cette année. Ses parents ont décidé de l’inscrire au CNED (Centre national d’enseignement à distance) à temps plein. Une décision qui a permis à la jeune fille de vivre un été serein : “Elle est sortie, elle s’est baignée, elle avait une vraie joie de vivre, ça faisait longtemps que l’on ne l’avait pas vue comme ça” raconte sa maman.
Je suis beaucoup moins stressée que pour les autres rentrées.
LillaAtteinte de phobie scolaire
“Il n’y aura pas les profs, les autres élèves… Je me dis qu’ils corrigent tellement de copies qu’ils vont m’oublier, et ça me met beaucoup moins de pression” ajoute l'adolescente.
Cette solution est un peu celle de la dernière chance, celle qu’il ne faut mettre en place qu’en dernier recours. Mais pour Lilla la situation était devenue invivable et le CNED pourrait lui permettre de se reconstruire : “Si je panique, je n’aurais pas à me retenir de pleurer, je pourrais prendre du temps pour moi, sortir prendre l’air. Je pense que ça va aller, enfin, j'espère” affirme la jeune fille avec détermination.
“Il faut nous aider, nous écouter” dit Lilla
Si Lilla a voulu raconter son histoire aujourd’hui, c’est aussi et surtout pour faire passer un message, prouver que la phobie scolaire existe et que les difficultés sont bien réelles : “Elle estime qu’elle a passé beaucoup d’étapes et qu’elle peut aider les enfants qui sont encore en difficulté, pouvoir communiquer là-dessus ça la motive” précise sa maman. “Pour moi, il y a trop de professeurs, de CPE, des principaux, qui ne comprennent pas ce que c’est. Même certains parents pensent que c’est juste une crise d’ado et que ça va passer, mais c’est faux” clame Lilla avec émotion.
S’il y a des parents qui ont des enfants/ados qui souffrent, il ne faut pas prendre ça a la légère. Il faut les aider, les écouter, et chercher des solutions. Ce n'est pas juste une crise d’ado, ça prend toute la place.
LillaAtteinte de phobie scolaire
Enfin, la jeune fille a aussi un message à faire passer aux enfants qui vivent au quotidien avec cette phobie scolaire : “Je leur dirais d’essayer de trouver des solutions que ce soit seul ou avec quelqu’un, qu’ils aillent voir une infirmière, quelqu’un qui peut apaiser leurs angoisses” prône Lilla. Elle termine par cette déclaration forte, porteuse d’espoir pour tous ces enfants en difficulté : “Si on n'en parle pas, on ne peut pas changer, il y aura toujours quelqu’un pour écouter”.