Ils sont souvent démunis, mais tout autant en première ligne que les autres professionnels de santé face au coronavirus COVID-19. Les infirmiers libéraux maintiennent leurs tournées à domicile. Mais Le manque de moyens et de considération fait réagir l’Ordre national.
Ils sont souvent considérés comme le dernier maillon de la chaîne. Depuis le début de la crise pourtant, les 122 000 infirmiers libéraux de France sont massivement en contact avec tous les profils : cas positifs au Covid-19, cas suspects, personnes asymptomatiques, et les autres malades, vulnérables, ou fragilisés par leurs pathologies.
"Les autres professionnels de santé et la population ont fini par comprendre que la place de l’infirmier à domicile était devenue primordiale en temps de crise", commente Catherine Jochmans-Moraine, secrétaire générale nationale de l’Ordre des infirmiers.
Elle exerce à Joigny, dans l’Yonne depuis près de 30 ans, et sa plus grosse difficulté a été de vite faire face à la montée en pression. "Avec le confinement, il y a forcément moins de malades qui vont consulter les médecins, donc ce sont des personnes qui se rajoutent à nos tournées habituelles", précise Catherine Jochmans-Moraine.
L’inévitable manque de masques
Des tournées, dans des conditions que l’on imagine, avec peu de moyens. "Les masques ont mis encore plus de temps à arriver jusqu’à nous, et nous sommes limités à 18 par professionnel chaque semaine", indique la secrétaire nationale. Un stock à peine suffisant, 12 masques chirurgicaux et 6 masques FFP2 plus résistants.
"Mais il y a 15 jours, c’était encore pire", insiste Catherine Jochmans-Moraine. "Aucune dotation de l’ARS n’avait été faite. Dans l’Yonne, nous n’avions que les masques chirurgicaux. On ne se sentait pas en sécurité face à nos patients qu’on savait positifs au Covid-19."
Un quotidien devenu pesant, voire anxiogène, pour Catherine, avec des journées qui se rallongent considérablement. "Il faut prendre le temps de rassurer nos patients, c’est une chose, mais il faut aussi rajouter la décontamination de nos outils, des tenues, et de notre voiture. C’est une demi-heure en plus par visite. Tout cela nous épuise, c’est chronophage", poursuit l’infirmière.
La secrétaire nationale parle aussi de tensions et de menaces extérieures qui complexifient parfois la tâche des infirmiers libéraux.Je ne laisse plus mon caducée visible dans ma voiture et surtout le gel désinfectant, de peur d’avoir les vitres brisées pour se les faire dérober.
"Depuis un mois et demi, il y a déjà 12% de nos professionnels qui ont été menacés ou injuriés et 6% ont même été volés en masques ou en gel", précise-t-elle. "Moi la première, je reconnais que je ne laisse plus mon caducée visible dans ma voiture. Certaines personnes malveillantes seraient capable de le voler, pour aller se procurer des masques en officines", déplore Catherine. "On cache aussi nos produits, et surtout le gel désinfectant, de peur d’avoir les vitres de nos voitures brisées pour se le faire dérober."
Protection improvisée avec les services de gendarmerie
En urgence, l’Ordre national des infirmiers mis au point une protection des services de gendarmerie pour ses professionnels libéraux.
"Ce sont des listes, qui répertorient les infirmiers sur le terrain, leurs zones géographiques et même les adresses des patients inscrits sur leurs tournées, pour qu’ils puissent intervenir très vite en cas de violences ou d’agressions", détaille la secrétaire générale. "Une plateforme de dépôts de plainte en ligne a aussi vu le jour pour éviter de rajouter des déplacements dans les commissariats en cas de litiges. Nous, à l’Ordre, nous nous porterons partie civile systématiquement pour soutenir nos professionnels."
J’ai réussi à trouver 3 renforts sanitaires depuis le lundi de Pâques
Quand ce n’est pas pour la sécurité de ses adhérents, Catherine doit aussi se montrer réactive avec les Agences régionales de santé. "Très souvent, c’est nous que l’ARS sollicite pour des renforts dans les cellules Covid-19 ou dans les établissements de santé, et ça malheureusement, personne ne le dit", regrette-t-elle. "Rien qu’en Bourgogne, depuis le lundi de Pâques, j’ai réussi à trouver 3 personnes supplémentaires ,2 infirmiers et une étudiante en 3ème année de médicine » insiste la secrétaire.
Une surcharge de travail à peine revalorisée
Si les infirmiers libéraux se montrent réactifs, leurs salaires en revanche n’auraient pratiquement pas bougé.
La demi-heure supplémentaire par patient liée à la décontamination du matériel n’est pas prise en compte, et seule les rendez-vous assistés par un médecin en téléconsultation sont mieux payés. "Nous sommes passé de 12,60€ à 15€, mais ce n’est que pour les soins sur des patients du Covid-19, suspects ou positifs" détaille Catherine Jochmans-Moraine. "Mais le plus scandaleux c’est que nous, nous n’aurons pas la prime à 1500€ annoncée par le Président Emmanuel Macron, seuls les infirmiers en établissements auront, eux, 500€. Rien pour les autres… C’est un grand mécontentement ! Nous sommes aussi sur le front et en première ligne, et les infirmiers contaminés n’ont encore aucune garantie sur la reconnaissance en maladie professionnelle" insiste-t-elle.
Dans ce contexte, d’autres questions de trésorerie restent en suspens pour les infirmiers libéraux, et l’Ordre national ne cache pas son inquiétude. "Nous n’avons obtenu aucune réponse pour le renouvellement du dégrèvement des cotisations au mois d’avril. Le problème, c’est qu’en laissant ça traîner, nos cotisations seront probablement relissées sur le reste de l’année et elles se rajouteront aux lourdes charges les prochains mois", analyse Catherine."Ce n’est pas une solution adéquate pour nous. La vraie solution aurait été de nous accorder la même prime que les autres. Il va falloir monter au créneau avec les syndicats", insiste-t-elle.
Nous avons été en mesure de faire aussi remonter des symptômes grâce à nos visites à domicile
Mais, Catherine Jockmans-Moraine garde la tête froide, et admet aisément que le monde médical pourra aussi tirer des leçons positives de cette crise sanitaire.
"Nous, infirmiers libéraux, nous avons réappris à travailler avec les médecins, le Samu ou encore les hygiénistes des établissements de santé", détaille-t-elle. "C’est toujours formateur de participer à une gestion de crise, si elle s’avère collégiale. Il y a eu quelque chose de fort, de stimulant face au caractère extrêmement virulent du Covid-19. La perte de goût ou d’odorat, cela paraît tout bête, mais ce sont des petits symptômes que nous, infirmiers, avons été en mesure de faire remonter, à partir de nos visites à domicile", analyse la secrétaire nationale.
"Au moment de la nouvelle carte de santé avec les ARS, nous insistions pour être considérés comme des pivots dans le système de santé, et notamment en milieu rural, mais nous n’étions pas entendus. Avec cette crise au moins, nous sommes définitivement en train de le prouver !" se réjouit-elle enfin.