Discrimination ou obligation légale ? À presque 80 ans, ce couple de gens du voyage doit quitter un terrain occupé depuis plus de 20 ans

Un couple de septuagénaires membres de la communauté des gens du voyage occupent un terrain à Ranchot (Jura) depuis plus de 20 ans. Problème : la mairie leur a demandé de quitter les lieux d'ici à mars 2025. Une expulsion dénoncée par des associations et une députée parisienne.

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929 m2 qui font parler. À Ranchot, dans le Jura, une petite parcelle de terre est actuellement au centre des conversations. Ainsi que ceux qui l'habitent : Arlette et Jean-Claude Meyer, 76 et 75 ans, membres de la communauté des gens du voyage. Car le couple pourrait bientôt être forcé de quitter les lieux, après plus de vingt ans d'occupation.

Des "habitants du village à part entière"

En 2002, ils posaient leurs deux caravanes sur ce terrain communal situé au bout de la rue du Stade, près du Doubs, avec l'accord de la municipalité.

D'abord temporaire, leur hébergement est devenu permanent. Leur campement a désormais une adresse, le 11 bis rue du Stade. Ils payent leur électricité et leurs poubelles, mais sans être raccordés à l'eau.

Alors que trois maires se sont succédés à Ranchot depuis leur installation, les Meyer n'ont, eux, pas bougé. Ils sont devenus des "habitants du village à part entière, aimés et acceptés par tous", selon plusieurs Ranchotiers interrogés par France 3 Franche-Comté.

La mairie pointe "une occupation irrégulière"

Mais la mairie et la loi les ont rattrapés. Le 3 octobre dernier, les Meyer ont reçu la visite d'une délégation municipale, menée par la maire Séverine Marano (SE). Celle-ci arrivait avec de mauvaises nouvelles : leur occupation était définie comme "en dehors des cadres légaux" et amenait la municipalité, malgré "les efforts déployés", à leur demander de "libérer la parcelle" avant le 31 mars 2025. Elle informait également du dépôt d'un procès-verbal pour dénoncer leur "occupation irrégulière".

Un choc, pour Arlette. "On ne sait plus quoi faire, on est très inquiets" s'inquiète-t-elle auprès de France 3 Franche-Comté. "Ranchot, c'est chez nous. À notre âge, on nous dit de partir avant le printemps. Vous vous rendez compte. C'est ici qu'on voulait finir notre vie et on nous chasse".

Ma tension nerveuse a sérieusement augmenté depuis cette visite. Je m'endors avec mes médicaments, ça me réveille pendant la nuit, je me dis "qu'est ce qu'on va devenir". Là on va se retrouver comme des bêtes, sans rien.

Arlette Meyer

La septuagénaire répète cette phrase inlassablement. Elle "ne comprend pas". Et comment la déjuger ? Pendant plus de 20 ans, elle et son mari ont habité ce terrain sans souci. Une seule fois, on leur avait déjà demandé de quitter les lieux. C'était en 2009, sous la mandature d'Eric Montignon.

Habitants et associations montent au créneau

Après discussion, les deux parties s'étaient mises d'accord sur un futur bail de location du terrain. Il n'avait jamais été signé "à cause du Covid", précise l'ancien maire, qui leur avait tout de même installé un raccordement électrique provisoire, toujours actif aujourd'hui. Les Meyer avaient pu continuer tranquillement leur vie jusqu'à cette année 2024.

Face à cette situation, plusieurs associations de défense des gens du voyage sont montées au créneau, dénonçant une "expulsion" des Meyer, "soudaine" et "cruelle". Dans leurs bouches, une question : comment expliquer cette accélération soudaine de la procédure, connue par tous depuis des dizaines d'années ?

Une volonté de voir les Meyer partir ? De la discrimination ? La nouvelle a aussi fait grand bruit sur les réseaux sociaux, provoquant une levée de boucliers des habitants, demandant à la mairie de faire machine arrière.

Une lettre de la mairie aux habitants

Pour se justifier, la municipalité a employé les grands moyens, en distribuant une lettre d'information à sa population, le 16 octobre dernier. Dans celle-ci, elle explique entre autres que c'est Enedis qui a pointé du doigt le branchement provisoire des Meyer, et non la municipalité. Contestée, cette information a été confirmée par le gestionnaire d'électricité à France 3 Franche-Comté. 

Lors d'une mise à jour de nos systèmes, on a remarqué ce branchement provisoire, qui durait depuis plusieurs années. On a demandé à la mairie de le régulariser. On a aussi envoyé un courrier aux Meyer en mars 2024.

Enedis

Si la famille Meyer assure ne pas avoir reçu cette lettre, elle explique avoir travaillé avec la mairie sur la rédaction d'un permis de construire. Autorisation nécessaire, selon Enedis, pour bénéficier d'un branchement permanent. "On a accordé une prolongation de six mois pour l'électricité, et la mairie a travaillé sur ce dossier" assure le fournisseur. Chose qui a été faite. 

Le 23 juillet dernier, un permis de construire a bien été déposé au nom de M.Jean-Claude Meyer pour "l'implantation de trois caravanes". "Nous avons monté ce dossier pendant de longues semaines" explique Sébastien Reverchon, conseiller municipal à Ranchot et chargé du dossier. "Je me suis rapproché du Grand Dole et de plusieurs collectivités pour étudier la question. Ils m'ont dit que ça devrait être possible vu qu'un permis de construire sur la parcelle adjacente a été accepté en 2020". 

Permis de construire refusé

Malheureusement, la réponse des autorités compétentes est allée dans le sens inverse. Le 9 août 2024, les bâtiments de France rejettent le permis de construire. Dans leur courrier que nous avons pu consulter, l'instance se justifie : "il apparaît que le projet prévu pose des problèmes d'insertion dans son environnement du fait de son implantation, son volume, ou de son aspect architectural", "il n'est pas souhaitable de pérenniser l'installation de caravanes sur ce terrain", "ces éléments légers" doivent se limiter "aux terrains de camping" ou dans le cadre d' "installation temporaire".

Pour les Meyer, c'est la douche froide. "C'est là qu'ils nous ont appelés, en panique" explique Damien Vauchier, président de l'association Régionale Gens du Voyage - Gadjé de Bourgogne Franche Comté. "Déjà, les Meyer n'étaient pas propriétaires, donc on trouve ça un peu cavalier de leur avoir fait signer un permis de construire. Et puis, nous avons découvert que la parcelle des Meyer allait passer en zone verte dans le Plan local d'urbanisme quelques semaines plus tard".

Zone verte, ça veut dire qu'on ne pourra rien construire. Pourquoi avoir alors déposé ce permis quelques mois plus tôt ? Autre chose : sur le permis de construire, il est écrit qu'on peut déposer un nouveau permis de construire en tenant compte des remarques du refus. Or, la mairie n'a pas tenté cela.

Damien Vauchier,

président de l'association Régionale Gens du Voyage - Gadjé de Bourgogne Franche Comté

Rémy Vienot, président de l'association Espoir et Fraternité Tsigane de Franche-Comté, s'est lui aussi emparé du sujet. "Ce que je trouve anormal : la mairie précise qu'une des raisons du refus tient du fait que la parcelle des Meyer est près du périmètre classé du château de Rans" dit-il. "Mais ça, il le savait déjà. Le permis prenait d'office du plomb dans l'aile et on l'a déposé quand même".

La mairie "continue à chercher des solutions"

Sous le feu de ces critiques, la maire de Ranchot, Séverine Marano, n'a pas souhaité répondre à nos questions, parlant d'une "non-affaire". Son conseiller municipal, Sébastien Reverchon, est lui plus loquace. "Laisser entendre qu'on puisse avoir fait cela exprès, ça nous fait mal" explique l'élu. "On a fait tout notre possible pour les Meyer, vu qu'Enedis avait relevé leur situation, on était obligé de régulariser. Mais on continue à chercher des solutions".

Pourquoi avoir déposé le permis alors que le terrain allait passer en zone verte ? "J'avais bon espoir qu'en déposant le permis avant la date de vote du PLU, cela suffirait" répond M.Reverchon à France 3 Franche-Comté. Et les Bâtiments de France ? "Vu qu'il y avait le permis de construire des voisins en 2020, je pensais que ça passerait". Et pourquoi ne pas avoir retenté un nouveau dépôt ou envoyé un recours ? "Le motif du refus était la présence de caravanes. Or, les gens du voyage, dans leur culture, n'habitent pas dans des appartements ou maisons. Cela n'aurait servi à rien".

En plus de ces réponses, la mairie l'assure, elle a ensuite cherché des solutions de secours. Sans succès. "On n'a pour l'instant pas réussi à trouver un plan de secours" reprend Sébastien Reverchon. "Ce n'est pas faute d'avoir cherché. Mais on a décroché le prolongement de l'électricité pour encore six mois". 

"Un mépris de leur mode de vie"

Les associations de défense des gens du voyage ne sont pas tout à fait de cet avis. "La mairie affiche son attachement aux Meyer, mais dans les faits, elle aurait pu faire plus" assure Paquita Muller, de l'association Gadjé. "Tout d'abord, c'est la famille qui nous a contactés, et pas la mairie. Or, elle sait parfaitement que nous travaillons sur ces problématiques". Le 3 octobre, lorsque la mairie a demandé aux Meyer de partir, Paquita Muller s'est rendue sur place pour jouer les médiatrices. Elle en ressort plusieurs constats. "Il y avait la maire et plusieurs conseillers pour ces deux personnes âgées. J’ai trouvé ça très violent". 

Et j'ai trouvé que Mme la maire s'inquiétait plus des conséquences légales sur elle et sa mairie que sur le sort des Meyer. Je ne sais pas s'il y a discrimination. Mais si c'est le cas, c'est très bien fait, c'est caché derrière la loi.

Paquita Muller,

Cheffe de service regionale Association Régionale Gens du Voyage - Gadjé

Paquita Muller critique aussi les solutions offertes par la mairie. "On leur a proposé des logements sociaux ou le camping" s'attriste-t-elle. "Pour moi, c'est un mépris de leur mode de vie. Les logements sociaux, cela ne respecte pas leur culture. Et puis le camping, c'est comme si vous habitiez dans une maison et que d'un coup, on vous impose une colocation".

Vous l'aurez compris, le climat n'est pas à l'apaisement autour du sort de ce couple de gens du voyage. Si Rémy Vienot se satisfait "du maintien de l'électricité jusqu'en mars", il a mis en ligne le 21 octobre une pétition pour "faire pression sur la Mairie de Ranchot afin qu'elle cesse de menacer d'expulsion Monsieur et Madame Meyer". Celle-ci a déjà recueilli 288 signatures.

La visite et le soutien d'une députée parisienne 

Le dossier pourrait également prendre une ampleur nationale, puisque la députée LFI Ersilia Soudais, en déplacement en Franche-Comté ce week-end et très investie sur les questions de discriminations antitsiganes, a prévu de s'arrêter voir le couple samedi 26 octobre. Joint par France 3 Franche-Comté, son assistant Ritchy Thibault estime "flagrant" le fait que "cette famille soit oppressée et discriminée du fait de son appartenance à la communauté des gens du voyage".

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La mairie réfute et assure quant à elle "ne rien avoir à se reprocher". "Cette situation nous peine autant que le reste de la population" ajoute Sébastien Reverchon. "Malheureusement, nous n'avons plus les cartes entre les mains. Il faudrait une volonté politique supérieure pour débloquer le dossier".

Que se passera-t-il le 31 mars 2025, si les Meyer, sans solution, ne peuvent pas quitter le terrain ? "Pas d'inquiétudes, jamais nous n'enverrons les pelleteuses et les forces de l'ordre". Le flou reste entier. Avec, à son épicentre, un couple de septuagénaire dépassé par les événements.

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