Promoteur immobilier de 46 ans, Fabrice Schlegel voulait "améliorer la société" quand il a lancé le mouvement des "gilets jaunes" à Dole, à l'automne 2018, mais il a vite jeté l'éponge, écoeuré par "la haine" et "les divisions" d'une mobilisation qui, selon lui, n'a finalement "rien apporté".
Personnalité à la verve intarissable, Fabrice Schlegel est sans merci à l'heure de faire le point, un an après le début du mouvement des "gilets jaunes" : "ça n'a rien apporté, si ce n'est beaucoup de divisions dans la société, mais aucune amélioration du pouvoir d'achat".
Les annonces du gouvernement et le grand débat ? "C'est de l'enfumage", s'esclaffe l'homme jovial, à la barbe fournie. "Il n'y a pas de baisse de la pression fiscale" et "la dépense publique n'a pas été améliorée", affirme-t-il.
"Je vous assure, le montant général de l'impôt sur le revenu sera supérieur en 2020 par rapport à 2019", prédit ce père de trois enfants, le regard déterminé derrière ses fines lunettes métalliques.
A Dole, les gilets jaunes furent parmi les premiers à se mobiliser
En octobre 2018, "Fab" avait été l'un des premiers en France à créer une page Facebook pour protester contre la hausse du prix des carburants. Le succès fut fulgurant et sa première opération escargot, le 2 novembre, avait attiré quelque 600 véhicules et 2.000 personnes dans les rues de Dole, commune jurassienne de 23.000 habitants. Il voyait dans ce mouvement "un moyen d'améliorer la société" mais il est devenu pour certains "une finalité, une manière d'exister, un exutoire", déplore-t-il.
"Je voulais plus de tolérance, de bienveillance, de solidarité pour une société apaisée, mais ils ont apporté la haine, la méchanceté, la division du peuple". "On a commencé à s'occuper plus de celui qui avait soi-disant trop d'argent que de celui qui n'en avait pas assez", regrette ce fils d'un ouvrier et d'une femme de ménage.
Dans l'incapacité de structurer une mobilisation devenue "incohérente" et de lui apporter une stratégie claire, Fabrice Schlegel a rangé sa chasuble le 22 décembre 2018, en l'annonçant sur Facebook. Sa page affichait alors 33.000 membres.
Essayer était nécessaire
Les "gilets jaunes" se voulaient apolitiques, sans leader, sans parti. "Mais on n'a jamais vu une bataille gagnée sans généraux, sans officiers et sans tirailleurs", soutient celui qui est désormais membre d'un nouveau mouvement citoyen, "Réconciliations !", lancé en vue des municipales. "Si on veut changer les choses, il faut devenir une force de propositions", estime-t-il.
Pour que le mouvement des "gilets jaunes" soit efficace, son mode d'action aurait dû évoluer, analyse Frabrice Schlegel : "la solution, ce n'était pas de continuer à faire la révolution le samedi sur les ronds-points, en empêchant les commerçants de faire leur chiffre d'affaires".
Il dénonce aussi un certain "collectivisme intellectuel" dans un mouvement où "tout le monde devait penser pareil".
Et de fustiger ce qu'il appelle "l'effet gnou". "Les gnous, c'est pire que les moutons, quand il y en a un qui va quelque part, ils y vont tous ensemble, comme pour demander le RIC (référendum d'initiative citoyenne) ou le rétablissement de l'ISF (impôt de solidarité sur la fortune)".
Son adieu au mouvement lui a valu "insultes, diffamation et menaces de mort". "J'ai eu le forfait illimité", ironise-t-il avec amertume, tout en assurant que "maintenant ça (lui) glisse dessus".
"Manifestement, on a failli. On n'a pas été bons, sinon on aurait changé quelque chose et on aurait fait un mouvement beaucoup plus sain, beaucoup plus fort", remarque encore Fabrice Schlegel, chanteur et guitariste d'un groupe local de pop-rock à ses heures.
"Essayer était nécessaire, obligatoire", considère-t-il sans regrets. Mais pour le promoteur immobilier, "le mouvement ne repartira jamais pareil. C'est fini, fini, l'occasion était trop belle".