Quand l'épicéa devient violon : ce bois de lutherie indispensable est menacé par le réchauffement climatique

On le confond souvent avec le sapin. L'épicéa, reconnaissable par son tronc plus roux, est essentiel à la fabrication des violons, altos, violoncelles et contrebasses. Pourtant, à cause du réchauffement climatique, cette essence commence à disparaître de nos forêts.

“S’il n’y a plus d’épicéa, je ne vois pas comment on peut remplacer la table”, lâche Olga Londe, luthière basée à Dole (Jura). Pour les instruments à cordes frottés (de la famille des violons) une seule essence, l’épicéa, permet de produire la partie centrale de l’instrument, la table d’harmonie. Ce bois, menacé par le réchauffement climatique, inquiète les luthiers préoccupés par l’avenir de leur filière.

Le réchauffement climatique est là. La forêt souffre et, bien sûr, les bois de lutherie ne sont pas épargnés par ce contexte. Il va falloir adapter les pratiques coté forêt et coté lutherie.

Florent Scharwatt, directeur de Bois de Lutherie

Des arbres qui ont entre 200 et 300 ans

Les épicéas aiment les terrains très calcaires. Ils se trouvent souvent en fond de vallon, mais néanmoins sur un plateau pour essayer de faire en sorte qu’ils poussent droit. “Toutes ces conditions font que l'épicéa lentement, qu’il a le temps de se développer”, explique Florent Scharwatt, directeur de la société Bois de Lutherie au micro de notre journaliste Norbert Evangelista. Il compare cette production aux grands crus de vin : “Il y a vraiment la notion de terroir qui joue”.

Des épicéas centenaires pour faire des violons

Les spécimens recherchés ont entre 200, 250, 300 ans. “En pleine période de végétation, ils consomment énormément d’eau et ces longues périodes de sécheresses vont les mettre à mal”, indique-t-il. Ils risquent alors de sécher sur pied ou d’être fragilisés et de ne pas réussir à combattre assez bien les insectes, les parasites qui vont les attaquer. Les forêts jurassiennes ont déjà perdu 20 % d’épicéas, selon l’Office national des forêts (ONF). 

Or, pour choisir le bois d’un violon ou d’un violoncelle, il faut être particulièrement exigeant. “Ça commence dans la forêt, c’est le fruit de plusieurs générations de forestiers qui travaillent pour identifier les plus beaux arbres”, raconte Florent Scharwatt. Il reprend : “Il faut que ce soit un bois qui fasse de 60 à 70 cm au minimum, très bien élagué, donc avec peu de branches et pas de nœuds. On recherche en particulier sur certains instruments des cernes qui sont très rapprochés”. Le bois qui réunit toutes ces conditions est le résultat d’une croissance particulière, “souvent sur des altitudes de 1000 à 1100 mètres”.

“Il vibre très bien, pour le son, c’est l’idéal”

L’épicéa est un bois à la fois souple et solide. Des qualités nécessaires pour les instruments à cordes frottés. Il faut qu’il soit souple pour transmettre les vibrations et solide pour soutenir la pression à l’endroit où le musicien frotte les cordes avec l’archet. “Il vibre très bien, pour le son, c’est l’idéal, il transmet les vibrations partout”, décrit Olga Londe, luthière. Elle ajoute : “C’est un bois très précieux, on ne peut pas en utiliser d’autres [pour la table d’harmonie]”. Pour le reste de l’instrument, le fond, les côtés et le manche, l’épicéa peut être remplacé par d’autres essences.

Olga est consciente de la valeur que ce bois représente : “On fait en sorte de l’utiliser au mieux et même de réutiliser toutes les chutes auxquelles on peut donner une deuxième vie. On va au bout de ce qu’on peut. Si j’ai une chute coupée de la bonne manière, je pourrai l’utiliser pour faire le chevalet par exemple”.

La luthière garde le maximum de bois. Elle fait en sorte, lors de la découpe des instruments, de bien les positionner de manière à pouvoir éventuellement en faire deux dans la même pièce de bois quand c’est possible. Malgré tout, “il y a beaucoup de pertes dans notre métier parce que [ce sont des instruments] creux, vides”, confie-t-elle. Olga en fait aussi des copeaux : “J’en donne soit pour allumer le feu, le jardinage, les toilettes sèches”.

La Doloise n’est pas seulement inquiète pour son métier. “Rien que le fait que les épicéas meurent, disparaissent, c’est une inquiétude en soi-même pour tout l’écosystème”, souffle-t-elle. Pour elle, sa filière pourra peut-être s’en sortir : “Nous, on est impacté, bien sûr, après, je me dis qu’on expérimentera avec d’autres bois et j’ai quand même espoir qu’on trouve d’autres choses”.

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