La filière apicole française est en colère. Après un contexte général de baisse de la production de miel, les apiculteurs sont confrontés à la "concurrence déloyale" des miels d'importation bon marché. Ils peinent aujourd'hui à écouler leurs stocks.
Au moment de faire l'inventaire de son stock, le constat est amer pour Julien Compagnon, apiculteur professionnel à Pannessières dans le Jura : "Actuellement, j'ai entre huit et neuf tonnes de miel. Je n'ai jamais eu un stock aussi important. À cette époque, en général, il ne m'en reste que trois tonnes." Trop de miel, c'est la conséquence d'une très bonne récolte l'année dernière, mais surtout de l'abondance de la production étrangère en France.
D'origine bulgare, ukrainienne ou encore espagnole, le miel étranger défie toute concurrence avec des prix quatre à cinq fois moins cher que ceux du nectar produit localement. C'est vers ce produit bon marché que les consommateurs semblent se tourner de plus en plus. "Avec l'inflation, les gens préfèrent acheter du miel moins cher en grande surface, que de le payer le double ou le triple chez les producteurs locaux", affirme Julien Compagnon.
"C'est la première année que je vois ça"
Pour l'apiculteur professionnel, cette habitude de consommation est causée par une concurrence déloyale au niveau du prix, mais aussi de l'étiquetage : "Quand les gens font leurs courses en grande surface, ils ne regardent pas forcément les étiquettes, encore moins quand l'origine est indiquée en très petit ou avec des acronymes."
L'apiculteur ne peut pas se permettre de baisser ses prix pour se rapprocher de ceux du miel d'importation. "Déjà, on ne les a pas augmentés alors que le coût de production a flambé. Les charges ont doublé, voire triplé sur certains postes et le prix des matériaux a explosé", explique Julien Compagnon. Pour lui, ce sont les consommateurs qui peuvent inverser la tendance en étant plus attentifs à la provenance du miel.
Président du syndicat apicole du Doubs, Michel Mesnier partage cet avis et met aussi la faute sur les grossistes qui privilégient, eux aussi, le miel bon marché importé. "La solution, c'est que les conditionneurs achètent le miel des apiculteurs français à un prix raisonnable, et non du miel d'importation à deux euros le kilo. Ce n’est pas possible, on n'est plus compétitif à ce niveau-là."
Face à cette baisse d'activité, Julien Compagnon fait part de son inquiétude : "C'est la première année que je vois ça, c'est très stressant pour nous." L'apiculteur a déjà dû licencier sa compagne qui tenait leur magasin pour économiser un salaire. Il a également pris une décision qui n'est pas sans coût financier pour écouler son stock. "Je vais au Salon de l'Agriculture du coup en espérant écouler quelques tonnes de miel. J'espère en vendre assez pour rembourser le coût du déplacement et augmenter la trésorerie."
Inquiétudes sur la suspension du plan Ecophyto
Cette difficulté vient s'ajouter à un contexte d'inquiétudes pour les apiculteurs en raison de la mise en pause du plan Ecophyto. Cette mesure du gouvernement a été décrétée pour apaiser la colère des agriculteurs. Ce plan permettait un contrôle de l'utilisation des produits phytosanitaires sur les exploitations agricoles. Avec cette suspension, les apiculteurs craignent des conséquences mortelles pour leurs insectes pollinisateurs. "On le voit avec nos ruches. Si on a un rucher au bord d'un champ de colza traité avec des pesticides, comme les néonicotinoïdes, ça fait mal, les abeilles ne survivent pas", confie Michel Mesnier.
Avec cette mesure, les apiculteurs français se sentent laissés pour compte et tiennent à rappeler leur appartenance au monde agricole et leur soutien au mouvement de colère des agriculteurs. "Les apiculteurs se sont manifestés en même temps que la colère du monde agricole, mais, visiblement, nous sommes, hélas, oubliés du ministère de l'Agriculture", clame le président du syndicat apicole du Doubs.
La filière apicole française entame donc un combat contre le miel d'importation et les produits phytosanitaires. Un combat qui s'ajoute à celui qu'elle mène depuis plusieurs années contre l'invasion massive des frelons asiatiques, nocifs pour les insectes pollinisateurs.