"Je ne reconnais plus mon métier" : les artisans du bâtiment manifestent leur mécontentement

Deux organisations patronales du bâtiment dans le Jura organisent ce jeudi 7 septembre un rassemblement en signe de mécontentement. Un trop-plein qui pèse sur les épaules déjà lourdes des 2.200 entreprises artisanales du département. Le chauffagiste et gérant François Gérard, fatigué et las, décrit un métier en perdition.

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“Je ne reconnais plus mon métier. On n’a plus le temps pour notre vraie profession et on ne peut plus l’exercer sereinement. C’est ce qui pèse le plus au quotidien”, partage avec une pointe de déception le gérant d’entreprise François Gérard, basé à Saint-Laurent-en-Grandvaux, dans le Jura. Le chauffagiste de 58 ans se dit “envahi” de papiers, de niveaux de qualifications, de dossiers administratifs, de longues procédures et d’obligations en tous genres. “La base c’était de travailler sur le chantier, de dépanner, de toucher les produits, de les installer. Aujourd’hui, il faut être à temps plein au bureau”, regrette cet artisan de longue date, qui a lancé son entreprise il y a 30 ans, à l’âge de 28 ans.

En cause, notamment, de nombreuses mesures à mettre en œuvre ou annoncées : la fin des chaudières à gaz en 2026, la suppression progressive des avantages fiscaux liés au gazole non routier GNR et à la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ou encore la Prime Renov’ élargie aux bricoleurs. “C’est inadmissible. Nous sommes des professionnels, nous avons fait des études, appris notre métier”, réagit François Gérard au micro de la journaliste Fleur De Boer. Autant de mesures qui participent à créer un sentiment de dévalorisation, mais qu’il est loin d’être le seul à ressentir. 

Les bâtisseurs se mobilisent

La Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) et les Artisans des Travaux Publics et du Paysage (CNATP), qui jugent ces mesures “absurdes”, ont appelé à une mobilisation ce jeudi 7 septembre, intitulée “Energothon”. À l’heure où nous écrivons cet article, 250 artisans du BTP doivent converger depuis une quinzaine de lieux vers Lons-le-Saunier. “On a envie de montrer qu’on en a marre, mais de façon gentille, car nous sommes des bâtisseurs, pas des casseurs”, commente François Gérard. Les syndicats patronaux ont également prévu une marche funèbre et l’installation d’un point de reprise pour les déchets, autre enjeu majeur pour les entreprises. 

“On se retrouve encore avec des taxes supplémentaires alors qu’on fait déjà l’effort de trier au maximum. Plus, plus, plus, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase."

François Gérard, chauffagiste et gérant d'entreprise.

Entrée en vigueur en 2023, la REP Bâtiment (PMCB) s’appuie sur le principe du “pollueur-payeur” : ceux qui mettent sur le marché des produits du bâtiment doivent désormais prendre en charge financièrement leur traitement et leur valorisation en fin de vie. Et ce en plus de la taxe payée à l’achat des matériaux, pourtant acceptée à la condition qu’aucune charge supplémentaire ne vienne s’ajouter lors du dépôt. François Gérard tient à souligner qu’après chaque chantier, le placo, les gravats ou le plastique sont séparés et déposés dans des bennes spéciales, toutefois trop rares au goût de la profession. “On se retrouve encore avec des taxes supplémentaires alors qu’on fait déjà l’effort de trier au maximum. Plus, plus, plus, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase”, assène-t-il, excédé par la situation. 

Double taxe

Car avec l’arrivée de cette taxe, il se voit contraint de répercuter ces frais sur le devis. “Ça va encore être une ligne de plus. On va devoir en remettre une couche”, déplore François Gérard, aussi présent à la mobilisation du jour pour “se battre” pour le client final, qui paye une note de plus en plus salée. Il estime par exemple que le prix de ses devis a augmenté de 15 à 20% en cinq ans. “C’est bien beau de mettre des aides pour certains mais d'assommer les autres en même temps”, fustige-t-il, lui qui a l’impression d’être devenu un “banquier” pour arranger lors du paiement les clients en difficulté.

"On vient nous vérifier, on est épiés tout le temps. On a l’impression qu’on ne sait pas travailler, qu'on ne connaît pas notre profession."

François Gérard, chauffagiste de 58 ans.

Derrière ces revendications, c’est un véritable mal-être qui s’installe parmi les professionnels du bâtiment, surchargés par des qualifications qu’il faut renouveler régulièrement en remplissant à nouveau entièrement un dossier déjà rendu ou par des normes de contrôles en constante évolution. “On ne sait plus quoi faire, ça nous travaille beaucoup et le ras-le-bol est là”, revendique François Gérard au nom de toute la profession, qui souffre d’un manque de considération, comme le décrit le chauffagiste : “On n’a pas notre mot à dire, on a des choses qu’on ne comprend pas. Par contre, on vient nous vérifier, on est épiés tout le temps. On a l’impression qu’on ne sait pas travailler, qu'on ne connaît pas notre profession”, assène-t-il, désabusé. 

Contexte anxiogène

Même si son fils reprendra l’affaire familiale à l’heure de la retraite, le contexte global le rend anxieux pour l’avenir du secteur. D’autant que cette profession qu’il chérit tant souffre d’une attractivité en berne, ce qu’il rappelle volontiers : “On ne sait plus comment attirer les jeunes. On devait revaloriser les métiers manuels dans les années 80 et rien n’a changé.”

“Le problème c'est que dans les métiers manuels on a toujours mis en avant le savoir-faire des mains. Mais si les mains ne sont pas commandées par une tête qui tient la route, ça ne peut pas aller."

François Gérard, chauffagiste depuis ses 17 ans.

François Gérard regrette l’image qui colle selon lui toujours à son secteur, c’est-à-dire que “seuls les pestiférés” aient envie d’être dans le bâtiment. “Le problème, c'est que dans les métiers manuels, on a toujours mis en avant le savoir-faire des mains. Mais si les mains ne sont pas commandées par une tête qui tient la route, ça ne peut pas aller. On a besoin de gens qui ont les deux”, lance-t-il. 

Aujourd’hui dans l’entreprise, ils ne sont plus que 11 salariés au lieu de 14, malgré les annonces, les recherches et la possibilité de continuer à former et à accompagner un salarié. Notamment, car François Gérard peine à faire face à la concurrence voisine et décrit un scénario peu optimiste pour le futur : “C’est difficile de lutter contre la Suisse. Pour finir, ils vont tous passer la frontière et il n’y aura vraiment plus personne.”

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