Le loup s'invite dans un livre publié à l'occasion des 75 ans de l'UICN, l'Union internationale de conservation de la nature. Pour les auteurs, le retour du prédateur dans le Jura est l'occasion de réinventer notre relation avec le monde sauvage.
Il était une fois "le loup, la vache et le comté". Ce drôle de conte sert de prologue au livre "Convivialité. L'alliance avec la nature", sorti en librairie le 3 novembre 2023. L’Union Internationale de Conservation de la Nature (UICN) fête ses 75 ans cette année et célébrera cet anniversaire lors de son congrès mondial du 13 au 18 novembre 2023 à Fontainebleau. Cet ouvrage a été justement imaginé pour illustrer son manifeste d’éthique et d’action en faveur de la biodiversité.
Patrick Blandin s'est "amusé", dit-il, à écrire cette petite histoire. Et le président d’honneur du Comité national français de l'UICN l'avoue sans détours : c'est Gilles Benest, l'ancien président de France Nature Environnement dans le Doubs qui lui a soufflé l'idée. "Le loup dans le Jura, c'est un symbole, explique le scientifique. Cet exemple est idéal pour se mettre dans l'ambiance du livre. Car cela pose magnifiquement la question de notre rapport à la nature. Peut-on regarder le loup autrement que comme une sale bête ? Comment peut-on cohabiter avec lui ? Quelles interactions peut-on imaginer avec lui ?"
"Penser comme une montagne"
Damien Marage, professeur de géographie à l'Université de Franche-Comté et coauteur du livre, est plus affirmatif encore. "Cette histoire n'est pas une fable, assure-t-il à France 3 Franche-Comté. Elle reflète dans toute sa complexité ce que des femmes et des hommes vivent dans nos montagnes jurassiennes. Cela fait évidemment écho à ce qu'a vécu Aldo Leopold entre deux guerres en Amérique du Nord où l'extermination des loups était programmée. Cet homme de sciences a su décrypter et comprendre qu'il fallait 'penser comme une montagne'. Que la montagne a "vécu" assez longtemps pour comprendre qu'un équilibre dynamique s'installe entre les troupeaux, les humains qui les conduisent et les grands prédateurs."
Et l'universitaire d'ajouter : "il faut une grande sagesse et une bonne dose d'ouverture d'esprit pour comprendre l'autre ; l'autre, c'est aussi ce loup qui vit dans nos territoires."
Les auteurs n'ont pas voulu faire de leur livre une somme scientifique qui aurait pu rebuter les lecteurs. L'ouvrage est divisé en trois parties : regarder autrement, habiter autrement et interagir autrement. Il met surtout en avant des actions concrètes et des initiatives citoyennes réalisées dans nos territoires.
Patrick Blandin, désormais professeur émérite au Muséum d'Histoire Naturelle, insiste. "Avec toutes ces histoires, nous avons voulu montrer qu'il était possible déjà d'interagir autrement avec le monde vivant. Et nous avons voulu rendre visibles tous ces gens qui y travaillent."
Un titre inattendu : convivialité
Convivialité, le mot-titre du livre, peut en revanche surprendre. Mais il a été choisi à dessein. Pour les auteurs, il s'agit avant tout d'adopter une autre posture face à la nature. "Vous savez, quand on dit protéger et conserver, c'est encore se poser en maître, indique Patrick Blandin. Nous devons être plus 'en convivialité' avec la nature, savoir la respecter avec humilité. Il faut repenser totalement notre relation."
"Étymologiquement, il s’agit du fait de vivre ensemble, précise Damien Marage. Le terme peut sembler anodin. Il est en réalité d’une extrême exigence. Il évoque en effet la capacité d'une société à favoriser le respect, la bienveillance et la coopération entre ses membres, tolérance et échanges réciproques avec ceux qui la composent."
Le spécialiste reprend à son tour une image qu'on dirait tout droit tirée d'une fable de La Fontaine pour appuyer son propos.
La table des "convives" s'est élargie aux autres êtres vivants. Il faut à présent, dès maintenant, les accueillir à la table des négociations afin qu'ils participent pleinement à l'administration des territoires. Vous l'aurez compris, il n'est pas question naïvement d'asseoir le loup, le chien, l'homme et le rat... Mais il faut que nous ayons suffisamment d'entendement et de préoccupation pour les autres espèces et considérer qu'il s'agit aussi de leur territoire.
Damien Marage, professeur de géographie à l'Université de Franche-Comté.
Rester positif
Les auteurs ont pris malgré tout le parti de rester "positifs", là où beaucoup cèdent souvent au catastrophisme. Ils souhaitent montrer en effet que l'on peut parler d'environnement et de biodiversité sans avoir peur de l'avenir.
"Mais oui, absolument ! Confirme Damien Marage. Loin des discours culpabilisants ou démobilisateurs, nous tentons de démontrer avec force exemples que l'on peut agir pour et avec la nature, avec les processus et les espèces qui la composent et pas seulement dans les espaces naturels, dans les aires protégées ou bien uniquement sur des espèces emblématiques. Non, on agit aussi en dehors de ces espaces dédiés, dans les villes, dans les sites industriels et au bénéfice de l'ensemble des êtres vivants."
Et il espère que le message passera auprès des lecteurs et du grand public.
Plutôt que d’instrumentaliser toutes les vies qui s’entrecroisent et dont nous dépendons, interagissons autrement : retissons des liens avec le monde vivant, écoutons et respectons sa diversité en toute humilité. C'est possible et en plus ça marche !
Damien Marage, professeur de géographie à l'Université de Franche-Comté.
"Convivialité L'alliance avec la nature", écrit par Patrick Blandin, Frédéric Ducarme et Damien Marage, est publié aux éditions de l'Atelier, et vendu au prix de 20,50 euros.