"Deux médecins pour 90 communes" : dans le Jura, un collectif citoyen se bat pour éviter 'l'abandon médical des campagnes"

Depuis 2020, l'association citoyenne "Collectif santé en Petite Montagne", dans le Jura, se bat pour un meilleur accès aux soins dans les 90 communes qu'elle représente. Un combat de longue haleine, alors que les 7 000 habitants de ce territoire ne peuvent compter que sur deux médecins généralistes. Entretien avec le président du collectif, François Renaud.

Comment lutter contre les déserts médicaux ? Comment faire revenir des médecins généralistes en ruralité, au plus près des habitants ? Ces questions, François Renaud, 77 ans, se les pose constamment depuis son arrivée il y a quelques années à La Boissière, petit village du Jura.

Inquiet de voir le nombre de médecins se réduire près de chez lui, le septuagénaire a créé en 2020 le "Collectif santé en Petite Montagne", une association de lutte contre la désertification médicale en Petite Montagne du Jura (secteur de 90 communes centré sur les villages d'Arinthod, Thoirette et Val Suran). Le 31 décembre prochain, un praticien de cette zone part à la retraite. Résultat, il n'y aura bientôt plus que deux médecins pour s'occuper de plus de 7 000 habitants. François Renaud tire la sonnette d'alarme. Entretien.

France 3 Franche-Comté : Cela fait trois ans que votre collectif a vu le jour. Voyez-vous des progrès ?

François Renaud : Cela patine. Je suis en plein doute. Ce que je retiens aujourd'hui, ce sont les chiffres. À partir de janvier, on aura seulement deux médecins généralistes pour s'occuper d'une zone à plus de 7 000 habitants. Ce qui est plus important que la moyenne départementale, où on a un généraliste pour 1 250 citoyens, et encore moins qu'au niveau national, où là, on a 1 généraliste pour 850 habitants. Avec les conséquences que cela a...

C'est-à-dire ?

C'est une situation difficile pour les patients. Et pour nos campagnes. Certaines personnes ont d'énormes difficultés à trouver un médecin. Résultat, il y a des départs. J'ai le souvenir d'un jeune couple qui s'était installé à La Boissière. Ils sont restés six mois car avec leur enfant en bas âge, ils étaient tout le temps obligés d'aller jusqu'à Lons-le-Saunier, à 35km, pour tout ce qui est vaccins, consultations obligatoires.

Pour les personnes âgées, il y a d'autres problématiques. Il y a quelques mois, mon voisin a fait une crise d'épilepsie. J'ai appelé son médecin généraliste, il n'était pas disponible. Résultat, j'ai dû passer par le SAMU, qui a mis 1 heure 15 à intervenir.

François Renaud,

président du collectif santé en Petite Montagne

Peut-on parler d'inégalité d'accès aux soins ?

On peut, oui. D'autant que la population est vieillissante dans nos communes. C'est un cercle vicieux. Avec l'âge, on a plus de problèmes de santé, donc on a de plus en plus besoin d'un médecin. On est aussi moins à l'aise avec tout ce qui est téléconsultation, et certains ont du mal à conduire sur de longues distances. Donc, je connais beaucoup de personnes qui ne font rien, et préfèrent ne pas se soigner. Le risque : aggraver leur pathologie, alors que nous sommes déjà un secteur où près de 25 % de la population est atteinte d'affection longue durée. Cela ressemble à de la discrimination, oui.

Quelles sont les solutions ?

La mobilisation locale. Celle des citoyens, comme on le fait en ce moment. Aujourd'hui, l'association regroupe 60 personnes et à nos assemblées générales, les élus, l'Agence régionale de Santé, la Caisse primaire d'assurance maladie, écoutent nos doléances. On voit que des bonnes choses sont faites, comme à Cousance, où on est allé chercher des médecins étrangers. Les élus de Val Suran et Thoirette ont engagé des démarches en ce sens.

L'ARS a proposé la création d'un centre de santé éphémère à Lons-le-Saunier. C'est très bien, mais c'est ici qu'il aurait fallu le faire. On milite pour de la proximité. Les habitants en ont besoin. Et surtout, pour des généralistes, le 1ᵉʳ jalon de l'axe médical, qui établissent des diagnostics et qui nouent des liens avec leurs patients. 

François Renaud,

président du collectif santé en Petite Montagne

Avec le Collectif, on a créé un document, "Vivre et soigner en Petite Montagne", qu'on aimerait distribuer dans les structures médicales du territoire. L'idée serait aussi d'aller communiquer sur notre situation dans les facultés de médecine de Besançon, Dijon et Lyon. Ou encore de recenser, avec les mairies, les jeunes du coin qui sont dans le médical. Eux peuvent nous aider. Le nouveau médecin présent à Arinthod est d'ailleurs un local.

Vous parlez de nouveau médecin. C'est plutôt une bonne nouvelle ?

Oui, mais ça ne suffira pas. Le docteur Gaillard, arrivé il y a quelques mois, a déjà énormément de patients. Son collègue à Arinthod, qui va partir en retraite dans quelques jours, voyait jusqu'à 1 200 personnes. La docteure de Thoirette, qui est là depuis 13 ans, est aussi surchargée. À 19h, il y a encore beaucoup de monde dans sa salle d'attente. À Val Suran, il n'y a plus de médecin depuis un an. Beaucoup de contraintes pèsent sur nos praticiens. Pour les alléger, il nous faudrait deux médecins à Arinthod, Thoirette et Val Suran.

Mais l'action locale peut-elle suffire pour attirer des généralistes ?

Malheureusement non. Il y a des choses qu'on ne maîtrise pas. Avant, on se battait pour gagner des médecins, aujourd'hui, on rajoute une lutte : tout faire pour qu'ils ne s'en aillent pas. Le métier de médecin généraliste souffre d'un cruel manque d'attractivité. On le voit en école de médecine, où les jeunes optent de plus en plus pour les spécialités. C'est à l'État d'agir. Si on ne fait rien, le risque est, à terme, de voir disparaître nos campagnes.

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