Caméra en main, Martin Esposito est parti interroger les souvenirs de ses anciens camarades du lycée Jean Michel, à Lons-le-Saunier dans le Jura. Son documentaire retrace la splendeur des "années lycée" : ces expériences caractéristiques d'une tranche de vie, rendues possibles par le cadre exceptionnel de l'internat et émancipatrices pour les adolescents des zones rurales.
L'idée lui est venue d'un disque dur. Comme les autres jeunes de sa génération, Martin Esposito y avait précieusement coffré les souvenirs de son adolescence, à l'époque où il n'était pas encore possible d'importer sa galerie photo sur un drive.
Ce disque l'avait lâché. Il avait cessé de fonctionner après une chute. Mais l'étudiant l'a "trimballé" tout au long de son parcours dans les écoles de journalisme de Lannion et de Tours, ne désespérant pas de récupérer un jour ses données.
Jean Michel, 2012-2015
En 2022, grâce à l'aide d'un logiciel, Martin retrouve l'accès au contenu de son disque dur et "110 giga bytes de photos et de vidéos, pour beaucoup de l'époque du lycée" lui reviennent en pleine figure. Le jeune homme est devenu journaliste, employé par une chaîne de télévision suisse. Il a 25 ans et il le vit comme "un coup dur".
J'ai réalisé que j'étais entré au lycée il y a dix ans. Ça m'a plongé dans une phase de nostalgie et j'ai décidé d'en faire quelque chose avec ma caméra, parce que c'est mon outil d'expression à moi.
Martin Esposito, journaliste en Suisse
Après un an demi de réalisation, son film indépendant et autofinancé est posté sur Youtube, en novembre 2023. Dans ce documentaire de 35 minutes intitulé La quinzaine, Martin Esposito retourne interroger ses anciens camarades, scolarisés, comme lui, au lycée Jean Michel de Lons-le-Saunier entre 2012 et 2015.
"Une libération instantanée"
On y écoute donc des presque trentenaires se remémorer avec émotion cette période qui sépare la puberté de l'âge adulte. Certains s'expriment depuis le canapé d'un appartement étudiant. D'autres sont déjà cravatés, bien insérés dans le monde professionnel.
Ils ont emprunté différentes routes, mais tous considèrent leurs années lycées déterminantes dans la construction de leurs projets et de leur personnalité. C'est ce que Martin Esposito voulait raconter :
Je venais de la banlieue parisienne et j'ai débarqué à Orgelet (dans le Jura, nldr) en troisième. Mon premier jour au lycée, ça a été une libération instantanée et je pense que c'est le cas pour beaucoup d'adolescents à la campagne. T'as plus tes parents sur le dos. T'as l'impression de conquérir New York alors que tu n'es qu'à Lons-le-Saunier.
Martin Esposito, ancien élève au lycée Jean Michel de Lons-le-Saunier
Battle de rap et matelas collés
Une émancipation rendue possible par l'internat, ses règles et ses horaires militaires tant de fois contournés. Ces dortoirs et ces longs couloirs de glissades où les lycéens se construisent loin du foyer parental, entassés les uns sur les autres, guidés dans cette époque des "premières fois" par des surveillants emplis d'affection et de conseils.
Le film de Martin, c'est aussi la compilation de vidéos à la qualité douteuse, tournées avec les smartphones de l'époque. Des "mécheux" encore boutonneux, qui s'adonnent à des battle de rap après l'étude du soir. Les matelas des filles collés les uns aux autres sur le sol, pour dormir encore plus proches dans une chambre de 15 mètres carrés.
La drogue et les réseaux sociaux
Il raconte aussi la drogue. Les premières lattes aspirées sans scrupule dans un joint, sans avoir encore la maturité pour prédire qu'en face de soi, celui qu'on incite à fumer du cannabis en deviendra peut-être le prisonnier pendant de longues années.
C'est enfin le miroir d'une génération, celle qui ne disposait pas encore d'un forfait internet illimité, quand les téléphones étaient proscrits dans l'enceinte du lycée. La dernière à ne pas avoir entièrement basculé dans le monde parallèle des réseaux sociaux.
Un film qui n'a pas d'autre prétention que celle de raconter la routine du lycée dans la bouche de ceux qui commencent à l'oublier. Mais qui devrait rappeler à tout spectateur, quel que soit son âge, des bons souvenirs de ce passage obligé.