Alexandre Chatillon, créateur et directeur de l'ONG Supernovae, s'est rendu pendant plusieurs jours à Damas, en Syrie, alors que la ville venait d'être conquise par les rebelles islamistes. Le Jurassien raconte le quotidien d'une population "à genou économiquement" mais qui vit le départ de Bachar-al-Assad comme une '"grande joie".
Depuis quelques jours, il vit "un moment d'histoire". Dimanche 8 décembre 2024, Alexandre Chatillon, créateur et directeur de l'ONG Supernovae, passait la frontière syrienne, direction Damas. Le jour même, le régime de Bachar al-Assad était tombé et le groupe islamiste HTC, qui a renversé le dictateur, ouvrait le pays à tous les exilés souhaitant revenir sur leurs terres natales.
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"J'étais en mission au Liban, où mon organisation essaye de mettre en place des solutions pour ramener les jeunes à l'emploi" explique le Jurassien d'origine. "J'ai bien sûr suivi la situation en Syrie. Et quand Bachar est tombé, j'ai décidé de me rendre sur place". Le quarantenaire est tout de suite surpris par la facilité avec laquelle il franchit la frontière. "Les nouvelles autorités ont voulu ouvrir le pays. Déjà pour leurs citoyens exilés à l'étranger. Et puis aussi pour l'aide internationale".
Des scènes de liesse
C'est ce qui a d'abord frappé le quarantenaire. "Je n'ai vu presque aucun garde à la frontière. Et j'ai pu accéder facilement à Damas" continue Alexandre Chatillon. "Même à l'intérieur de la ville, il y avait des militaires armés, certes, mais très peu nombreux, et toujours dans un climat de joie. J'ai pu aller dans d'autres pays qui venaient de subir un bouleversement politique, on sentait toujours de la tension, avec une forte militarisation. Là ce n'est pas du tout le cas".
Ça peut vite faire cliché, mais je vous raconte ce que je vois. Ce qui est marquant quand on vient de l'extérieur, c'est qu'il y a un vrai esprit de fête. Il y a une vraie libération de la population, on le sent aux attitudes, aux sourires, aux paroles.
Alexandre Chatillon,créateur de l'ONG Supernovae
Et le Jurassien de décrire "des scènes de liesse" où le drapeau de l'ancienne République syrienne, marquée par ses trois étoiles rouges, est omniprésent. "Beaucoup de scènes m'ont marqué" révèle Alexandre Chatillon. "Ces jeunes, grimpant sur un char abandonné de l'armée de Bachar. Ces militaires rebelles, acceptant de se prendre en photos avec des familles. Ou encore ces rassemblements festifs dans les mosquées, notamment la grande mosquée des Omeyyades".
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Damas est "à genou économiquement"
Mais derrière ces effusions, symboles "de la fin d'une oppression, notamment pour la jeunesse", Alexandre Chatillon a pu constater une ville "à genou économiquement". "On sent que cette terre a souffert, et ceux qui l'habitent également. Pas parce qu'on voit des bâtiments détruits, non, mais car ses habitants sont dans un état de pauvreté très avancé et restent marqués par la guerre civile".
Ce n'est pas comme en Palestine, où la population déplacée vit dans des abris de fortune. À Damas, les habitants ont toujours leur maison, c'est vrai, mais la préoccupation économique est la priorité de la plupart des familles. Il y a des files d'attentes devant les magasins, le quotidien est dur.
Alexandre Chatillon,créateur et directeur de l'ONG Supernovae
"On peut y voir la conséquence des sanctions internationales prises contre la Syrie de Bachar-al-Assad" analyse Alexandre Chatillon. "Et des contraintes imposées par le régime à sa population. Je pense que les effusions de joie sont proportionnelles aux souffrances endurées. Les habitants de la capitale veulent créer une unité à travers cet élan de libération".
Pour certains d'entre eux, l'inquiétude pointe pourtant le bout de son nez. "On sent plus ça chez les élites, les classes aisées, les chefs d'entreprise" continue le Jurassien. "Peut-être car ils avaient plus de proximité avec le pouvoir en place. Certains se demandent ce qui les attend. Comment le pouvoir va être divisé ? Est-ce qu'il y aura un coup de force islamiste ?"
"La population se concentre sur les instants de bonheur"
Bien que présentes, ces considérations sont loin d'être dans les têtes de la majorité des Syriens. "Quand on discute avec eux, on sent qu'ils essayent de rester positifs. Les frappes américaines et israéliennes sur des réserves d'armes, ils ne veulent pas y penser" assure Alexandre Chatillon. "Le gel des demandes d'asiles opéré dans certain pays européens non plus. La population se concentre sur les instants de bonheur qu'ils vivent actuellement".
Après avoir fait le tour des acteurs locaux, Alexandre Chatillon a quitté la Syrie ce 12 décembre 2024. Il s'attellera maintenant à trouver des financeurs pour pouvoir réaliser ses projets d'insertion professionnelle à destination de la jeunesse syrienne.
"Il nous faut des moyens financiers" conclut-il. "On va aller voir les États européens, l'Union européenne... C'est important. C'est cette jeunesse qui pourra rebâtir le pays". La jeunesse, élément primordial dans cette Syrie qui aujourd'hui panse ses plaies, en espérant faire perdurer ces sensations de libertés auxquelles elle aspirait depuis des années.