Promiscuité des transports en commun et temps perdu dans les embouteillages : avec la pandémie, beaucoup de citadins se sont convertis au "vélotaf". Ce mot désigne l’usage du vélo pour les déplacements quotidiens, en particulier du domicile au travail.
Sandra Dimus est une nouvelle venue dans le monde du « vélotaf ». Le déclic a été l’opération "un mois sans ma voiture", proposée par le réseau de transports urbains Ginko de Besançon, en juin 2021. Pendant un mois, un vélo à assistance électrique lui a été prêté.
Sandra a fait l’aller-retour entre son domicile, une commune périphérique de Besançon, et son lieu de travail, au service des espaces verts de la ville. Au total, une vingtaine de km par jour.
Après une journée de boulot, repartir en vélo, c’est sympa, on vit l'instant présent, on ne pense plus à autre chose, on se relaxe tout en revenant chez soi.
"Le vélo, c'est la liberté"
Comme Sandra, après la crise sanitaire, des automobilistes ont choisi d’abandonner la voiture, ou les transports en commun, pour le vélo. Selon Thomas Buhler, maître de conférences en aménagement de l’espace et urbanisme à l’université de Franche-Comté.
Le vélo est souvent associé à la liberté, à la sortie de l'enfance, lorsqu'on a le trousseau de clés de la maison, et qu’on peut rentrer seul du collège ou du lycée.
Thomas Buhler précise : "dans les enquêtes d'opinion, les mots qui ressortent également avec vélo, c'est pratique, rapide, économique, écologique."
La France en retard sur les déplacements en vélo
Dans certaines villes européennes, par exemple Copenhague, au Danemark, la part du vélo atteint 60 % des déplacements quotidiens. Les meilleures villes françaises, comme Strasbourg, Nantes ou Bordeaux, sont à moins de 10 %.
Le retard français est directement lié à l’absence ou à la médiocrité des aménagements, pistes cyclables et parkings à vélos. Les villes ont été modelées pour la voiture. Il est donc difficile d’intégrer les modes de déplacements doux comme le vélo.
Aux Pays-Bas, près d'un demi-siècle a été nécessaire pour faire du pays un modèle européen. Car contrairement aux idées reçus, au début des années 1970, les infrastructures destinées au vélo n’y étaient pas plus développées qu’ailleurs. Le nombre élevé de décès sur la route et le premier choc pétrolier de 1973 ont servi d’électrochoc.
Selon Thomas Buhler, le pont Battant de Besançon est un exemple caractéristique des difficultés de l'aménagement urbain :
C'est l'endroit où il passe le plus de cyclistes au quotidien sur l'ensemble du Grand Besançon. Pour autant, on ne peut pas dire que ce soit aménagé de manière favorable !
Il précise : "On a des rails qui vont un peu serpenter, des demi-niveaux, plusieurs marches. Les indications ne sont pas très claires. Le marquage au sol non plus..." Ce pont de Besançon résume la succession des priorités des aménageurs : la voiture, puis les piétons et le tram, et enfin le vélo...
"Le vélo, ça faisait vraiment pauvre"
Michèle Greiff a toujours été une "vélotafeuse". Avant même que ce mot n'existe. Elle est à la tête de l’association "Véloxygène" de Belfort. L’association défend les intérêts des cyclistes. Depuis des années, elle réclame le développement des pistes cyclables.
Dans les années 70, ne circulait à vélo que le pauvre type, qui ne pouvait pas acheter une auto. Maintenant, les gens préfèrent se servir du vélo, parce que c'est pratique, c'est plus rapide.
Michèle Greiff insiste sur la facilité à utiliser le vélo chaque jour : "un déplacement sur deux fait moins de 3 km. A vélo, vous faites ça en 10 minutes !".
Réparation des vélos : une activité en hausse
Davantage de vélos en circulation entraîne davantage de travail pour les ateliers de réparation.
Au Maillon solidaire de Belfort, un atelier participatif, les bénévoles ont constaté que le coup de pouce vélo a été un succès. Jusqu’au mois de mars 2021, l’État versait une prime de 50 € par vélo pour couvrir les frais de réparation. Il fallait pour déposer le vélo chez un réparateur référencé ou dans un atelier d'auto-réparation.
Dans l'atelier de Belfort, des bénévoles conseillent et aident les cyclistes à réparer et entretenir leur vélo. Ils récupèrent aussi des bicyclettes pour les réparer ou constituer un stock de pièces de rechange :
Récupérer des choses qui, grâce à nous, ne partirons pas à la déchetterie, et rendre service à des gens qui ont des faibles moyens pour faire circuler leur vélo, voilà la motivation !
Des vélos remis en état par l'atelier participatif sont revendus pour moins de 100 euros.
Coursier à vélo et salarié, c'est possible
Depuis 2015, à Besançon, des coursiers à vélo réussissent le pari de vivre de leur travail. Ils sont salariés pour la société coopérative Véloconnect. Parmi eux, Hedi Béchir. Il a travaillé pendant deux ans pour les grandes plateformes de livraison de repas à domicile. Il était alors auto-entrepreneur, un statut particulièrement précaire. Devenir salarié a été une délivrance :
Ça paraît bête, mais être salarié, avec des cotisations sociales, être indemnisé après un accident du travail. c’est indispensable quand on exerce le métier de coursier. Le risque de chutes est important.
Clément Ecoffey, un des fondateurs de Véloconnect, résume la démarche, à l'opposé de "l'ubérisation" du métier de coursier :
Chez nous, les sous ne remontent pas chez des actionnaires un peu obscurs aux Bahamas, donc c'est beaucoup plus simple d'être rentables comme ça !
Selon Clément Ecoffey, il y a un mythe selon lequel un coursier doit être indépendant, payé à la tâche, avec de nombreuses heures d'astreinte : "Depuis plusieurs années à Besançon, on démontre le contraire. D'abord à 2, puis à 3, puis à 6. On est salariés et malgré tout, on est rentables !"
L’activité de la société coopérative est partagée entre la livraison de repas, la course express, le déménagement à vélo, et la livraison dite du dernier kilomètre : il s’agit de distribuer les colis en ville en lieu et place des camions et camionnettes.
Des aménagements insuffisants pour les cyclistes
A Besançon, tout près de la gare ferroviaire, une piste cyclable à double sens de circulation a été ouverte en 2021. C'est une première. Il ne reste plus qu'une seule voie, à sens unique, pour les voitures. Elle a été réduite de la moitié de sa largeur pour créer la piste cyclable.
Clément Billet, le chef de service déplacements de l'agglomération de Besançon, précise l'objectif de ces travaux :
"On a affecté de l'espace aux vélos, en prenant de l'espace à la voiture. C'est une première section qui a pour objectif de rejoindre les communes périphériques de Besançon". Clément Billet indique aussi qu'il s'agit "d'un aménagement structurant, pour traverser la ville d'est en ouest"
Le manque de cohésion des infrastructures est d'ailleurs le principal reproche adressé à la municipalité par l'association vélo besançon (AVB) :
On voudrait une ville cyclable, autrement dit praticable par un enfant de 12 ans, sans surveillance d'un adulte. Il faut donc de bons aménagements
Le développement du « vélotaf » se heurte à la peur du comportement des automobilistes, parfois peu respectueux des cyclistes. Une peur renforcée par des infrastructures mal pensées pour les vélos.
Pourtant, selon Sébastien Paris, moniteur de la vélo-école de Besançon, il faut aussi que les cyclistes apprennent à se déplacer en ville, quel que soit l'état des infrastructures. Par exemple, dans une rue sans piste cyclable :
Il faut se mettre suffisamment loin du trottoir parce qu'on est plus en sécurité. Un véhicule qui arrive derrière est obligé de ralentir, de se poser une question : est ce que ça passe ?
Selon les comptages effectués par les services de la ville de Besançon, le trafic vélo aurait augmenté de 60 % en l’espace d’une année. La hausse est visible un peu partout en France. Elle a sans doute été favorisée par la baisse du trafic automobile : les cyclistes se sentaient moins en danger sur la route.
Selon les spécialistes des transports, le développement du "vélotaf" devrait se poursuivre avec le prochain retour en ville des télétravailleurs et des étudiants, dont beaucoup étaient des usagers réguliers du vélo.