Les "flying doctors" fêtent leur premier anniversaire. Depuis le 26 janvier 2023, huit médecins du CHU de Dijon prennent chaque semaine l'avion pour se rendre à Nevers. Quel bilan après un an de pratique ? Nous faisons le point avec le maire de la ville, Denis Thuriot.
Il y a tout juste un an, l'initiative des "flying doctors" prenait vie. Une mesure exceptionnelle, où huit médecins de Dijon prenaient l'avion chaque semaine pour exercer au centre hospitalier de Nevers, le temps d'une journée. Objectif : faire face à la désertification médicale qui frappe la Nièvre.
Contacté par France 3 Bourgogne, le maire, Denis Thuriot, en tire un premier bilan positif. "L'éclairage médiatique sur cette innovation nous a permis d'intéresser plus de médecins qui ne pensaient pas qu’on avait de telles difficultés. Nous sommes conscients qu’il y a des besoins et qu’il faut les traiter, et c’est le rôle des élus."
On a pu raccourcir le parcours de soins, permettre à la population d’avoir accès à des spécialistes qu'on n’avait pas avant.
Denis ThuriotMaire de Nevers
L'initiative des "flying doctors" a également permis d'implanter une antenne de SOS Médecins à Nevers. Depuis avril 2023, 12 médecins se relaient du lundi au jeudi pour subvenir aux besoins de la patientèle nivernaise. Denis Thuriot a par ailleurs révélé qu'un projet était en cours pour installer d'autres antennes SOS médecins "dans d’autres coins du territoire".
Bientôt des vols pour le public ?
Selon la mairie de Nevers, 120 médecins ont pris l'avion pour exercer à Nevers durant cette première année. Hormis les vacances scolaires, il y a eu toujours eu un vol par semaine affrété.
Un succès pour la santé, mais qui pourrait s'étendre à d'autres professions. "Nous travaillons également sur d’autres pistes. On veut créer des lignes aériennes vers d'autres villes, et pas seulement pour les "flying doctors". On pense aux entreprises, aux collectivités, aux particuliers et des destinations comme Lourdes, Bordeaux, la Corse… On peut installer des liaisons éphémères d’été. Paris, ce n’est pas intéressant, car c’est trop près et les taxes sont trop chères", développe le maire de Nevers.
Aujourd’hui, ce sont uniquement des médecins du public qui peuvent voyager vers Nevers. Mais cela peut être amené à changer. "Nous sommes limités, car nous recevons de nombreuses demandes de médecins privés, mais nous ne pouvons nous tourner que vers le public. Il faut que ça change à terme."
"Il faut que l'ARS mette la main à la poche"
Entre l'avion et les médecins, cette initiative nécessite des fonds importants pour qu'elle soit pérenne. Pour rappel, le coût de l'opération est d'environ 5 700 euros par vol, aller-retour. C'est pourquoi le maire de la ville attend un coup de main financier. "C’est l’hôpital qui finance, mais il faut que l’ARS mette la main à la poche. J’aimerais que l’État également nous accompagne. La santé n’a pas de prix."
Pas sûr que l'ARS Bourgogne-Franche-Comté soit de cet avis. En novembre 2022, le directeur de l'Agence régionale de santé avait émis des réserves sur un éventuel financement du projet, estimant que ce n'était "pas le rôle" de l'ARS. Contactée, l'Agence régionale de santé n'avait pas donné suite à nos sollicitations mercredi.
Le maire de Nevers, lui, argumente : "Le chirurgien pédiatrique va examiner 30 enfants en une journée. Cela évite une trentaine de trajets depuis Dijon. On amène sur un plateau des spécialistes à Nevers, alors qu’ils devraient se déplacer dans d’autres villes pour les voir. C’est positif, il faut oser des choses, on ne peut plus être sur le même modèle qu’avant. Il faut trouver des solutions adaptées. C’est un coût qu’il faut mettre dans la balance", ajoute Denis Thuriot.
Les "flying doctors" ne sont pas "la" solution, c’est une des solutions. Nous sommes le centre hospitalier départemental le plus loin d’un CHU. Il faut qu’on essaye de remonter pour être au niveau des autres.
Denis ThuriotMaire de Nevers
Une empreinte carbone qui fait débat
Quant aux détracteurs des "flying doctors", le maire ne mâche pas ses mots. "Il y aura toujours des éternels grincheux, des gens anti-avions. Mais c’est un formidable outil pour évacuer les gens. Quand c’est pour la santé, il n'y a pas de raison que ce soit critiqué comme ça l’a été. C’est un sujet de satisfaction, une des voies pour pallier cette distance beaucoup trop longue."
Philippe Kadhel est l'un des "flying doctors". Chef de service gynécologie du CHU de Dijon, il a pris une dizaine de fois l'avion pour se rendre à Nevers. Un moyen de transports dont il reconnaît les limites. "C’est clair que le bilan carbone est catastrophique sur ce point. Peu de professionnels l’utilisent, on est deux voire quatre par vol. S'il y avait une ligne ferroviaire qui fonctionnait, ma préférence irait dans ce sens."
Pour rappel, la circulation des trains entre Dijon et Nevers est interrompue pour des travaux sur la ligne. Le chantier s'achèvera le 16 février 2024.
C’est très congestif et contraint au niveau des horaires, ça oblige une planification de ces consultations très rigoureuses.
Philippe KadhelChef du service gynécologie du CHU de Dijon
Le gynécologue se questionne également sur la rentabilité de ses journées en tant que médecin. "L'avion décolle à 8h de Dijon et à 17h de Nevers. Ce sont de courtes journées pour un praticien. On ne travaille pas avant 9h30 et à 16h30, on doit quitter l'hôpital."
Mais Philippe Kadhel reconnait que l'avion est la "moins mauvaise solution. La Nièvre est dans une situation de souffrance, il faut des moyens exceptionnels. Plutôt que de déplacer une vingtaine de patients, il vaut mieux déplacer deux praticiens."