Le corps de Lina retrouvé dans la Nièvre : enquête, causes de la mort... les questions qui continuent de se poser

Mercredi 16 octobre, une nouvelle campagne de fouilles a permis de retrouver le corps de Lina, adolescente de 15 ans disparue en Alsace depuis septembre 2023. La voiture du principal suspect avait borné sur place, à Sermoise-sur-Loire, près de Nevers.

C'est un dénouement tragique dans une affaire qui a ému la France entière. Lina, adolescente de 15 ans au sourire rayonnant, disparue il y a 13 mois dans son village d'Alsace, a été retrouvée morte dans la Nièvre ce mercredi 16 octobre. Le corps a été découvert dans un ruisseau, près d'une route de forêt peu fréquentée, à Sermoise-sur-Loire près de Nevers.

► À LIRE AUSSI : Le corps de Lina retrouvé à Sermoise-sur-Loire : investigations en cours autour d'un ruisseau dans une zone "peu fréquentée"

Le principal (et unique ?) suspect, Samuel Gonin, ne répondra pas de ses actes : il s'est suicidé le 10 juillet dernier. Mais au lendemain de la découverte du corps de Lina, plusieurs questions se posent. France 3 fait le point.

Comment les enquêteurs ont-ils trouvé le lieu précis où se trouvait le corps de Lina ?

C'est le résultat des investigations de la cellule d'enquête dédiée, qui a, en 13 mois, conduit plus de 400 auditions, des milliers d'actes de procédures et analysé plusieurs centaines de véhicules. 

Cet été, après des mois de recherches, les enquêteurs sont parvenus à identifier un véhicule : la Ford Puma conduite par Samuel Gonin, qui avait borné le jour et à l'endroit précis de la disparition de Lina à Plaine, dans le Bas-Rhin. Ils ont ensuite pu retracer le parcours de la voiture et ses arrêts dans les heures qui ont suivi la disparition de l'adolescente.

► À LIRE AUSSI : CARTE. Mort de Lina : Suspect, voiture, fouilles…389 jours d'enquête focalisées sur la Bourgogne-Franche-Comté

Ce traçage a mené les enquêteurs à conduire plusieurs campagnes de fouilles depuis cet été : 

• Anould, dans les Vosges, à une quarantaine de kilomètres de Plaine.
• Saulx, en Haute-Saône, où 90 gendarmes explorent début août une forêt dense et peu fréquentée. 
• Corancy, dans le Morvan nivernais.
• Et enfin, Sermoise-sur-Loire, près de Nevers, où la voiture du suspect a borné le lendemain de la disparition, le 24 septembre 2023.

Un parcours de plus de 450 kilomètres que nous avons retracé sur cette carte. À noter que ce tracé passe par Besançon, la ville où habitait Samuel Gonin. 

Que reste-t-il à découvrir sur place ?

Le corps de Lina a pu être rapidement identifié grâce à des analyses ADN conduites en urgence le jour de sa découverte, mercredi 16 octobre. Mais sur place, d'autres indices pourraient subsister.

Ce jeudi, au petit matin, le maire de Sermoise-sur-Loire Manuel De Jesus a pris un arrêté, sur demande des gendarmes, d'interdiction de circulation le long de la route des Tuileries, "pour ne pas polluer la scène" et compromettre la découverte de potentiels précieux indices.

Pendant une dizaine d'heures, la zone de découverte du corps a été bouclée et investiguée par des gendarmes et des pompiers. Ces derniers ont procédé, selon le Journal du Centre, à l'assèchement du ruisseau du Peuilley. Des plongeurs sont arrivés sur place, et un agriculteur a été sollicité pour déposer de la terre dans le cours d'eau afin d'éviter que l'eau n'emporte des indices.

Le dispositif a été levé peu avant 16 heures, selon nos journalistes sur place, Yacine Arbaoui et Alexandre Debray.

Comment le nom de Samuel Gonin est-il apparu dans la procédure ?

Pourquoi les enquêteurs se sont-ils focalisés sur ce suspect, qui s'est avéré avoir un profil psychologique très inquiétant ? Pour le savoir, il faut remonter plus d'un an en arrière. 

Jusqu'à l'été 2023, Samuel Gonin ne fait pas parler de lui. Ce quadragénaire, père de deux enfants, exerçait comme menuisier, enseignant de menuiserie dans un lycée professionnel et commercial. Mais en août 2023, il perd pied. 

• Il vole une voiture en Allemagne

La Ford Puma au coeur de l'affaire Lina est volée en Allemagne le 24 août 2023, un mois avant la disparition de la jeune fille. Le vol, vraisemblablement commis par Samuel Gonin, est effectué à Fribourg-en-Brisgau, à environ deux heures de voiture de Besançon.

•  Deux agressions à Besançon l'été 2023

Le lendemain, le 25 août, il agresse très violemment une nonagénaire en pleine rue à Besançon, lui brisant le bras pour lui voler son sac et de l'argent liquide. Dans la foulée, il braque au couteau la caissière d'une supérette et vole 400 euros. Son visage est filmé. Mais, étant inconnu de la justice, Samuel Gonin n'est pas arrêté. 

•  Reconnu en garde à vue pour une autre affaire

Les choses s'accélèrent presque un an plus tard, le 12 juin 2024. Samuel Gonin est placé en garde à vue, accusé par une femme de l'avoir séquestrée. Ces accusations seront finalement jugées "erronnées" par le procureur de Besançon, mais au cours de sa garde à vue, un policier reconnaît le visage de Samuel Gonin.

L'officier se rend compte qu'il s'agit de l'auteur des deux agressions d'août 2023. Samuel Gonin est alors placé sous contrôle judiciaire jusqu'à son audience prévue deux mois plus tard, le 22 juillet 2024.

• Juin 2024 : un psychiatre le décrit comme dangereux et très instable

Avant ce procès pour violences, Samuel Gonin subit un examen souvent obligatoire dans ce genre d'affaires : une expertise psychologique. Ses conclusions, révélées plus tard, sont glaçantes. Il confie à l'expert-psychiatre avoir "disjoncté" à partir d'août 2023. Il quitte son travail et devient accro à l'alcool, au cannabis, à la cocaïne.

Le psychiatre diagnostique un trouble de la personnalité de type "borderline" et évoque sa "dangerosité". Samuel Gonin lui confie qu'il "dégringole de plus en plus bas chaque fois". Cela fait alors près d'un an que Lina a été enlevée.

• 10 juillet : Samuel Gonin se suicide

La pression était-elle trop forte ? Craignait-il d'être confronté au pire, lors de son procès pour agressions ? Samuel Gonin n'ira jamais à l'audience du 22 juillet.

Il se suicide par pendaison le 10, chez lui, dans sa maison du quartier des Près-de-Vaux à Besançon. Il ne confesse pas avoir enlevé ni tué Lina. Il ne laisse que quelques mots sybillins : "J'ai perdu mon honneur, ma dignité, mon humanité, je dois partir. Je ne sais pas me contrôler, ça va trop vite."

• Deux semaines plus tard, l'enquête Lina connaît un tournant

Cruelle ironie du calendrier : c'est 15 jours après la mort de Samuel Gonin que les enquêteurs de l'affaire Lina font le lien.

Le parquet de Strasbourg annonce une "avancée majeure" : la découverte, près de Narbonne dans l'Aude, de l'ADN de Lina dans la Ford Puma, abandonnée en fourrière et identifiée comme volée. 

Les scientifiques retrouvent des traces génétiques de l'adolescente sur les sièges arrière, la ceinture de sécurité arrière centrale, et sur une partie de la ceinture passager arrière droit.

• Le parcours de la Ford Puma retracé 

Les enquêteurs découvrent que Samuel Gonin a pris soin de désactiver le GPS de la voiture et qu'il n'utilisait pas de téléphone portable. "Il a tout fait pour se rendre indétectable", juge le procureur de Strasbourg. 

Mais les précautions prises par le suspect ne suffisent pas : les enquêteurs réussissent malgré tout à extraire des données de géolocalisation du système multimédia de la voiture. Ce sont ces données qui permettent de déterminer que Samuel Gonin était précisément là où la jeune fille a disparu à Plaine, le 23 septembre 2023. 

Deux heures avant, il commet un vol d'essence, à 9h23 du matin, dans une station-service proche de Fribourg en Allemagne. C'est à 1h40 de voiture de Plaine.

Quels ont été les derniers instants de Lina ?

C'est désormais la question essentielle de cette affaire. Lina est-elle montée volontairement en voiture ou a-t-elle été enlevée ? A-t-elle été tuée immédiatement dans le Bas-Rhin, à Sermoise-sur-Loire, ou ailleurs sur le trajet de son ravisseur ? Était-elle en vie lorsque son corps a été déposé dans le ruisseau ? Comment est-elle morte ?

Le parquet de Strasbourg, en charge de l'enquête, attend les résultats des analyses médico-légales et se refuse à tout commentaire d'ici là.

Ce que l'on sait, c'est que des cordes portant l'ADN de Lina ont été découvertes dans la Ford Puma de Samuel Gonin... de même que des affaires appartenant à la jeune fille, notamment son sac à main, dans la boîte à gants. L'adolescente a vraisemblablement été "ligotée", selon le parquet de Strasbourg.

► À LIRE AUSSI : Le corps de Lina retrouvé près de Nevers : la voiture de Samuel Gonin, suspect N°1, avait borné sur place

Y aura-t-il un procès ?

Vraisemblablement, non, étant donné que le suspect est mort. Un "certain nombre de questions sont susceptibles de rester sans réponse du fait du décès de Samuel Gonin", admet le procureur de Strasbourg.

Samuel Gonin ne livrera jamais d'aveux, mais d'autres personnes pourraient-elles être mises en cause ? "On ne peut pas exclure une complicité à ce stade", précise une source proche du dossier citée par l'AFP. 

La justice cherche aussi à déterminer si Samuel Gonin "a pu commettre d'autres faits délictuels ou criminels" lors de son parcours erratique, depuis l'été 2023.