La restauration de monuments historiques est un minuscule secteur d'activité. Nous avons interrogé le dirigeant d'une entreprise d'Ancy-le-Franc dans l'Yonne spécialiste de la restauration de charpentes de bâtiments historiques.
La zone du toit de Notre-Dame de Paris, d'où est parti lundi l'incendie qui a détruit une partie de la cathédrale, était rénovée par des spécialistes des monuments historiques, minuscule secteur qui regroupe quelques centaines d'entreprises.
"On retrouve souvent les mêmes, c'est un marché de niche : il y a peu d'opérations mais on n'est pas si nombreux", résume Benoît Dulion, dirigeant d'une entreprise basée à Ancy-le-Franc dans l'Yonne et spécialisée dans la restauration de charpentes de monuments historiques.
Certaines de ces entreprises rénovaient la flèche de Notre-Dame qui s'est écroulée lundi après le départ de l'incendie ayant également fait s'effondrer le toit et la charpente. Le chef de l'Etat, Emmanuel Macron, a immédiatement promis de "rebâtir" l'édifice.
Consultable en ligne, l'appel d'offres de la rénovation, fin 2017, donne une idée des tâches effectuées par les spécialistes et des montants demandés sur une opération majeure. Le gros du travail - toiture, charpente et échafaudage - était effectué pour quelque 3,5 millions d'euros par deux groupes lorrains dépendant de la même entité, Europe Echafaudage et Le Bras Frères. D'autres travaux moindres - restauration de statues, mise en place d'un paratonnerre - étaient menées par différentes entreprises.
Au sein du bâtiment français, l'activité est minoritaire : lors d'une conférence de presse mardi, son organisation, le Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques (GMH) a estimé à 600 millions d'euros annuels son chiffre d'affaires, contre 135 milliards pour l'ensemble du secteur.
Le nombre d'entreprises est aussi parlant : le GMH rassemble environ 200 membres contre presque 500 000 pour sa fédération de tutelle, la Fédération française du bâtiment (FFB).
Le marché représente un peu plus de 40 000 bâtiments classés ou inscrits - un statut moins contraignant - comme monuments historiques par le ministère de la Culture, dont un petit tiers sont des églises. Les spécialistes sont souvent de petites entreprises, mais les "majors" du bâtiment y ont aussi des filiales. C'est Vinci, via le groupe Socra, qui était chargé de restaurer les statues de la flèche de Notre-Dame, celles-ci se trouvant actuellement au siège de la filiale en Dordogne.
Dans l'ensemble, "il y a beaucoup d'histoires familiales", note Benoît Dulion, représentant bourguignon du GMH, dont l'entreprise compte 18 employés. Sa fondation remonte à son grand-père, "homme à tout faire dans le bois" à la fin des années 1940, avant une spécialisation dans les monuments historiques à l'époque de son père dans les années 1980.
Entrave à la concurrence
Quant aux clients, "la majorité des marchés sont publics", poursuit-il. Dans le cas de monuments classés et appartenant directement à l'Etat, comme Notre-Dame de Paris, le chantier est sous l'égide du ministère de la Culture. Il est alors obligatoire de recourir à un corps d'élite, la compagnie des Architectes en chef des monuments historiques (ACMH), recrutés par concours d'Etat.Là encore, le nombre de professionnels - au statut "d'agent de l'Etat à exercice libéral" intermédiaire entre privé et fonctionnariat - donne la mesure du marché: ils sont 40 sur près de 30 000 architectes en France. L'obligation s'avère toutefois moins stricte pour les monuments historiques appartenant au privé, soit la moitié d'entre eux avec notamment plusieurs châteaux de la Loire. Dans ce cas, il est autorisé de recourir à un architecte spécialisé hors de ce corps.
Conséquence négative de la faible taille du marché, il a connu des dysfonctionnements dont des ententes entre plusieurs de ses principaux acteurs du côté du bâtiment. Au début des années 2010, l'Autorité de la concurrence a sanctionné une quinzaine d'entreprises pour avoir fait gonfler les prix de chantiers de restauration de monuments historiques. Elle leur a imposé pour une dizaine de millions d'euros d'amendes.
Les faits remontaient au tournant des années 2000 et concernaient "dix des vingt premières société du secteur", selon les termes de l'autorité, parmi lesquelles des spécialistes, comme le groupe Lefèvre et des filiales de géants tel Eiffage, numéro trois français du BTP. Des années plus tard, le GMH préfère insister sur le caractère passionné d'une activité qui fonctionne plus au "coup de coeur" qu'à l'intérêt financier.
"Je ne vais pas faire le 'pleurnichou' mais un collègue me disait 'On ne fera jamais fortune dans le monument historique'", conclut Benoît Dulion, plus largement interrogé sur l'état du marché. "Et c'est vrai".