"Il faut faire sa place", agriculteurs, ils tentent de se passer de la grande distribution

Vente directe, circuits courts, ces agriculteurs de l'Yonne et de la Nièvre ont choisi d'autres moyens pour vendre leur production, en se détournant du schéma classique de la grande distribution. Des propositions qui répondent aux envies de nombreux clients, désireux de consommer davantage local.

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Le monde d'après est-il dans votre assiette ? La crise sanitaire a été l'occasion pour certains de changer leurs habitudes de consommation. Dans un sondage* réalisé en avril 2020 par Ipsos pour Leclerc, 63% des Français disaient être prêts à consommer le plus possible de produits locaux pour soutenir l'économie. Et 37% disaient se tourner davantage qu'avant vers les produits issus des circuits courts. Derrière les discours, les Français ont-ils réellement modifié leurs achats ? 

Julie Cadiot, éleveuse installée depuis deux ans à Challuy (Nièvre) à quelques kilomètres de Nevers, a vu la différence sur ses poulets qu'elle propose exclusivement en vente directe. "Avant, j'étais entre 60 et 80 volailles par semaine. Maintenant, je suis entre 100 et 120 volailles", détaille-t-elle. 

Bien sûr, le pic d'achat observé lors du premier confinement est un peu retombé. "Il y a certaines personnes qu'on a vu pendant le confinement et qu'on ne voit plus. Mais d'autres ont gardé ce mode de fonctionnement. Beaucoup aimeraient revenir sur les marchés mais ne peuvent pas le faire par manque de temps", poursuit l'éleveuse. Elle fait pour l'instant trois marchés par semaine, mais compte bientôt installer un magasin sur son exploitation. 

Dans sa ferme qui compte deux autres associés et un salarié, la jeune femme produit également des œufs et élève des vaches charolaises. Pour la viande bovine, l'essentiel de sa production suit un schéma plus classique de vente à un abattoir. Mais sur les 60 vaches qu'elle vend chaque année, elle en propose 15 en vente directe. "C'est quelque chose que j'aimerais bien développer davantage, mais il faut trouver la clientèle. On est beaucoup à espérer faire de la vente directe de nos vaches pour espérer mieux les valoriser. Il faut faire sa place", précise Julie Cadiot. 

Circuit court

Sa ferme s'est rapprochée d'un supermarché de Coulanges-lès-Nevers pour proposer sa viande en circuit court. "Ça va faire un an qu'on essaie de le mettre en place le projet et il est finalisé depuis le mois de novembre, indique l'éleveuse. Ils nous paient bien les vaches, c'est vraiment un prix rémunérateur." 

Il y a vraiment une différence avec le tarif qu'on peut avoir à l'abattoir, ça peut aller jusqu'à un euro par kilo. 

Julie Cadiot, éleveuse

Au lieu de toucher entre 3,7 à 4 euros, elle peut compter sur un prix qui lui est payé compris entre "4,60 et 4,90 euros le kilo de carcasse." Évidemment, ce prix plus élevé payé aux éleveurs se traduit par un prix plus élevé dans les rayons pour les consommateurs. Mais les barquettes où figurent les photos des éleveurs semblent plaire. "C'est quelque chose qui est vendeur. Au début, on était trois producteurs à le fournir. Le magasin a vu que ça marchait bien, du coup on est une quinzaine de fermes à fournir." Le supermarché achète désormais en direct trois bêtes par semaine. 

"C'est un circuit court, il y a juste un intermédiaire entre nous et le consommateur". Un bon compromis pour Julie Cadiot entre la vente directe, très chronophage pour elle, et le circuit plus traditionnel, moins rémunérateur. 

Les consommateurs semblent en effet faire davantage attention à la provenance des produits qu'ils achètent et privilégient les étiquettes France. "Sur l'année 2020, on a une situation assez particulière, où la viande bovine a diminué en consommation globale. Et la viande d'origine France a augmenté de 1,6%", détaille Emmanuel Bernard, président de la FDSEA de la Nièvre et vice-président de la fédération nationale bovine. 

Il avait décidé au mois d'avril 2020, pendant le premier confinement, d'arrêter temporairement de vendre ses bêtes, qu'il élève à Cercy-la-Tour, à la grande distribution pour engager un bras de fer sur les prix. Les grandes surfaces étaient alors en position de force pour négocier avec la fermeture des restaurants et des cantines. Les éleveurs sont ressortis gagnants et ont repris leurs ventes un mois plus tard. "Ça a abouti en mai 2020 à ce qu'on regagne vraiment de la valeur sur nos animaux femelles. On a gagné 5 à 6 % du prix payé producteur. Ça a permis de rectifier une situation qui était très compliquée économiquement dans les exploitations", poursuit-il. 

Vente en direct

Se détourner de la grande distribution n'est pas un choix facile à faire. À Villeneuve-sur-Yonne (Yonne), cinq agriculteurs ont franchi un pas supplémentaire pour se rapprocher de leurs clients. Ils ont décidé de se regrouper pour ouvrir un magasin de producteurs. Le lieu, baptisé Le Court-circuit 89, a été inauguré début septembre 2020. "On était chacun sur nos fermes, à vendre nos produits indépendamment. La clientèle était obligée de faire le tour des fermes, raconte Jean Wucher, l'un des cofondateurs du magasin. Ça faisait trois ou quatre ans qu'on réfléchissait à pouvoir créer un magasin avec d'autres collègues. On a mis un an pour boucler le dossier." 

Désormais, tout est au même endroit. Des fruits et légumes, de la boucherie, des laitages, des conserves et même des produits d'hygiène. "Les produits proviennent à 95% de fermes locales du coin. Tout n'est pas forcément bio chez nous. La priorité qu'on a donnée, c'est la proximité", précise Jean Wucher. Le magasin propose bien sûr la production des fondateurs du lieu mais aussi celle d'autres agriculteurs du secteur. 

On vend plus que ce qu'on aurait vendu sur nos exploitations, ce n'est pas comparable. 

Jean Wucher, agriculteur 

Le magasin, ouvert du mercredi au samedi, était attendu par certains. "On a beaucoup de clients qui nous disent : enfin quelque chose qui ouvre", détaille Jean Wucher. Certains font même le déplacement depuis Sens ou Joigny, à 15 kilomètres de Villeneuve, pour faire leurs courses. "Les gens apprécient l'atmosphère du magasin qui est assez aéré et qui ne ressemble pas à une grande surface", ajoute Aurélie Cretté, l'une des gérants. 

Le court-circuit 89 accueille deux types de clientèle. "On a des gens qui viennent chercher des produits spécifiques au magasin. On a aussi des gens qui font des courses complètes chez nousAu début, ça m'a un peu étonné. On a développé une gamme avec un peu de tout, mais je ne pensais pas que ça aurait pu intéresser les gens de faire des courses complètes. Donc ça veut dire qu'on propose une gamme assez diversifiée, même s'il faut qu'on l'étoffe encore", se satisfait le néo-commerçant.

Ce modèle de lien direct entre les producteurs et les consommateurs peut-il devenir majoritaire ? Selon Emmanuel Bernard, le président de la FDSEA de la Nièvre, c'est peu probable dans une France toujours plus urbaine. Son syndicat, majoritaire dans la profession, défend une agriculture productiviste. La crise sanitaire n'a pas bouleversé les comportements des consommateurs, selon l'élu syndical qui reconnaît tout de même des changements positifs. "Le grand soir n'existe pas. Mais l'année 2020 a appuyé sur des tendances qu'on ressentait, détaille-t-il. Les gens qui ont un peu de pouvoir d'achat s'orientent vers les produits locaux, les produits bio"

Faire le tour des fermes pour faire ses courses ou acheter local ou bio n'est bien sûr pas possible pour tout le monde. Malgré tout, le modèle des très grandes surfaces s'essoufle. "Les hypermarchés ont perdu des parts de marché, alors que les supermarchés - qui sont un peu plus en proximité - en ont gagné. Il y a une attitude de fond du consommateur qui évolue", ajoute Emmanuel Bernard. 

"Je pense qu'on est sur les balbutiements d'un changement plus profond. Mais ça ne se fera qu'avec un petit coup de pouce de la loi et un gros coup de pouce du consommateur. C'est lui qui a le portefeuille. Et puis aussi une grosse énergie des producteurs pour aller défendre le bout de gras", conclut-il. 


* étude réalisée sur un échantillon national représentatif de 1 051 personnes âgées de 16 à 75 ans, interrogées les 24 et 25 avril 2020 en ligne selon la méthode des quotas.

 

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