Qui était Jeanne Barret, première femme à avoir fait le tour du monde ?

La première femme à avoir voyagé autour du monde était… Bourguignonne. Elle s’appelait Jeanne Barret mais sa vie et jusqu’à son identité même restent pleines de mystères.

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Rien ne prédestinait une femme, Bourguignonne, à participer un jour - sous des habits d’homme - à une expédition en mer qui fit le tour du monde. C’est pourtant bien le destin d’une certaine Jeanne Barret, qui serait née le 27 juillet 1740 à La Comelle (Saône-et-Loire). "Serait" car d’après des historiens amateurs, son identité demeure floue.

Sa vie fait l’objet de beaucoup d’interrogations mais aussi, malheureusement, d’inventions. Un roman a notamment suscité un regain d’intérêt pour son personnage. En 1982 paraît une série en deux tomes, La Bougainvillée, où Fanny Deschamps romance sa vie à l’envi. De nombreuses part d'ombre demeurent pourtant.

La fameuse expédition

Jeanne, dans sa jeunesse, est engagée comme gouvernante pour le fils d’un médecin et botaniste, Philibert Commerson (1727-1773). La jeune femme serait tombée enceinte de cet homme alors qu’ils n’étaient pas mariés mais son fils meurt quelques temps plus tard.

La deuxième moitié du XVIIIe siècle est une époque propice aux voyages de découverte, qui se développent alors. En 1766, le botaniste Philibert Commerson est dépêché dans un voyage en mer autour du monde pour accompagner Louis-Antoine de Bougainville (1729-1811), le premier capitaine français à avoir navigué ainsi. Sa mission sera d’observer et de collecter la flore à chaque escale.

Et Jeanne devint "Jean"

À cette époque, les femmes ont l’interdiction de voyager. Mais Jeanne veut faire partie du voyage et s’il le faut, elle se déguisera en homme. Le 1er février 1767, le duo embarque donc à bord de L’Étoile, l’un des deux bateaux de l’expédition avec La Boudeuse. Jeanne, devenue "Jean", se fait passer pour le valet et l’assistant du botaniste.
 


Une bonne décision puisque, sous son habit masculin, elle va voir du pays. Rio de Janeiro, Tahiti, l’île de France (actuelle île Maurice)… on peut dire que la jeune femme rentabilise son voyage ! C’est finalement à Tahiti que l’escroquerie sur son identité est découverte. Ce sont les Indigènes eux-mêmes qui auraient trouvé et dévoilé son secret dès son arrivée sur l’île.

Le 6 avril 1768, elle est accueillie comme une reine à Tahiti. Un récit inédit raconté par Charlotte Millet, d'après les recherches de Jean-Paul Mignot et la musique de Martin Dillenseger. 
  

Des "Jeanne Barret" à foison

En 2013, la plasticienne Catherine Danzé s’intéresse de très près à cette figure. Vont alors commencer des recherches intensives avec Sophie Lanini et Daniel Margottat, un retraité passionné par les personnages de l’histoire locale... Ensemble, ils vont fouiller les archives du coin afin d’en savoir plus sur la fameuse aventurière. Pas facile de s’y retrouver dans les registres car, à l’époque, il était fréquent que les personnes d’une même famille portent le même prénom.

Ainsi, plusieurs femmes portent le nom de Jeanne Barret. "Le père de Jeanne, Jean Barret, est un paysan qui s’est marié cinq fois (les femmes mourraient jeunes à l’époque). Sur ses six filles, quatre s’appelaient Jeanne : une est née en 1729, une en 1737, "Jeanne 1" [celle qui serait l’aventurière donc] en 1740 et une en 1756", explique la plasticienne.

Jeanne Barret est morte à l’âge de 2 ans

Une découverte plus troublante encore attend ces passionnés d’Histoire. Catherine raconte : "après trois mois de recherche, on a trouvé ce que personne n’avait mis au jour auparavant. Dans les cahiers paroissiaux de La Comelle, on annonçait bien sa naissance, mais en cherchant dans les cahiers paroissiaux des alentours et notamment dans celui de Poil, on trouve l’acte de décès de cette même Jeanne Barret en date du 25 avril 1743."  
Comment l’aventurière, que l’on dit née en 1740, peut-elle donc être morte à l’âge de deux ans et six mois ? Elle ne serait donc pas véritablement née en 1740 comme on le pensait…
 


Qui est-elle ? Pour le savoir, peut-être faut-il tout simplement chercher parmi ses soeurs et ses demi-soeurs : la Jeanne Barret de 1729 par exemple. "Si c’est elle, elle ne peut pas avoir embarqué en ayant l’air d’avoir 25 ans, comme l’a écrit Bougainville." Daniel complète : "en 1768, elle aurait eu 39 ans. Une femme qui vient de passer des mois sur un bateau au milieu des embruns ne paraîtrait pas aussi jeune. Ce n’est pas possible que ce soit elle."

Quid des "Jeanne Barret" de 1737 et 1756 ? "Celle de 1737 collerait sur l’âge mais on la suit après. Elle est restée dans les parages, à La Comelle puis à Toulon-sur-Arroux. Elle se marie et a des enfants. Et celle d’après, née en 1756, est trop jeune donc ça ne colle pas", regrette Catherine.

Une paysanne qui signe

Un autre mystère demeure : "à l’été 1764, elle va faire une déclaration de grossesse à Digoin [Saône-et-Loire]. Elle ne donne pas sa date de naissance, elle dit qu’elle est fille majeure de Jeanne Pochard et Jean Barret et s’annonce comme domestique à Toulon-sur-Arroux. Elle signe, ce qui est étonnant car dans sa famille personne ne signe", témoigne Catherine.
 

L’érudite poursuit : "La signature de son testament plus tard semble être la même que celle de 1764 sur la déclaration de grossesse. On peut supposer que c’est la même personne mais il faudrait faire appel à un graphologue pour être sûr". Pour autant, aucun écrit de Jeanne elle-même n’a pour le moment été trouvé.

Une botaniste, vraiment ?

Si elle signe, savait-elle seulement lire et écrire ? Dans le Cahier des Amis de Sainte-Foy n°144, Nicolle Maguet et Sophie Miquel, de la Société botanique du Périgord, remettent en doute cette capacité. Elles expliquent : "ce savoir n’est pas indispensable pour collecter et sécher des plantes, préparer des planches d'herbier, activité scientifique de botaniste qu’elle a su effectuer parfaitement dans des conditions difficiles, selon le témoignage des contemporains."

Avec son café à l’Île Maurice, elle est loin d’herboriser !


Ce qui fait dire à Daniel Margottat qu’"il n’y a pas de preuve qu’elle ait été botaniste au même titre que Commerson". Il ajoute à juste titre : "Quand elle revient en France, on ne parle pas d’elle comme une botaniste ou herboriste. À aucun moment on ne la voit s’occuper de plantes. Avec son café à l’Île Maurice, elle est loin d’herboriser !", dit-il, presque amusé. Les étiquettes de ses herbiers étant anonymes, il est aujourd’hui impossible d’identifier son éventuelle participation aux travaux botaniques de Commerson.

Une vie simple, et heureuse ?

"Qui qu’elle soit, c’est absolument fabuleux ce qu’elle a réalisé", raconte le retraité. "Quand on imagine ce qu’était le voyage au XVIIIe siècle, il fallait avoir le coeur bien accroché." Après cette expérience extraordinaire, Jeanne revient à une vie beaucoup plus calme. Elle et Philibert Commerson finissent par s’établir sur l’île Maurice, où le botaniste décède. De son côté, Jeanne fait sa vie. Elle tient un cabaret à Port-Louis. Un jour, elle est même contrainte de payer une amende pour avoir vendu de l’alcool pendant la messe… La voyageuse s’est transformée en redoutable femme d’affaires !
 

Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais le mariage n’a pas eu lieu.


Elle n’est pas non plus malheureuse en amour. Le passionné Daniel se targue d’avoir découvert un scoop : une première tentative de mariage. "Elle a passé un contrat de mariage le 16 mai 1772 avec un certain Jean Mercier. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais le mariage n’a pas eu lieu." C’est finalement le 17 mai 1774 qu’elle dit oui à Jean Dubernat, un sous-officier, du régiment Royal Comtois originaire du Périgord.

Une famille élargie

Six mois plus tard, le couple retrouve la métropole pour s’installer dans la région d’origine de l’époux : d’abord à Sainte-Foy (Gironde) puis à Saint-Aulaye (Dordogne), où ils finiront leurs jours. Sans enfant, le couple accueille ceux de la soeur de Jeanne, celle qui est née en 1737 et qui est morte jeune.
 


Le couple est uni : il se désigne mutuellement usufruitier. Dans une époque où les femmes sont sous la tutelle de leur mari, c’est une preuve de plus de l’émancipation de l’aventurière. Le couple vit aisément, sans que l’on sache exactement d’où provient cet argent. Voilà encore un autre mystère !

Une identité intrigante

Jeanne décèdera finalement le 5 août 1807, à l’âge de 67 ans. Avant de se poser tranquillement en Dordogne, elle a passé environ huit années autour du monde, dont presque deux ans de manière anonyme dans l’expédition de Bougainville. Elle a été l'une des premières femmes à pouvoir le faire.

Et Catherine Danzé de conclure : "Elle est rarement à sa place : elle viendrait d’une famille de paysans pauvres illettrés, elle signe, elle se défend dans un procès, elle va sur un bateau. Elle brouille tout le temps les pistes. On ne sait pas qui c’est car elle ne correspond ni à son milieu ni à son genre. C’est ça qui est fascinant, c’est l’identité."

Alors qui était vraiment cette Bourguignonne, la première femme à avoir voyager autour du monde ? Pour tenter de le savoir, il faudrait que des historiens se penchent sur son histoire…
 
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