Triple noyade de Chalon : des peines trop légères ? Le président du tribunal tacle les commentaires "totalement inappropriés"

Trois jours après le délibéré dans l’affaire de la noyade mortelle de trois frères et sœurs en 2018, le président du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône s’est fendu d’un long communiqué revenant sur les commentaires des avocats qu'il juge "déplacés" et "en contradiction manifeste avec les principes du droit pénal"

C’est un procédé très rare dans le milieu judiciaire. Un communiqué de presse, long de deux pages, pour justifier une décision prise par un tribunal dans le cadre d’une affaire. Ce lundi 15 mai, le président du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône a publié ce long texte pour revenir sur les peines prononcées concernant la triple noyade d’une fratrie au lac des Prés-Saint-Jean en juillet 2018.

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Les remarques des avocats "juridiquement inexactes"

Cette décision a suscité un certain nombre de réactions”, note le président Eric Plantier ce 15 mai. En effet, le dossier a été très médiatisé : la mère des victimes, Lallia Konaté, avait choisi de rendre l’affaire publique et s’était longuement confiée à France 3 Bourgogne peu avant le procès. Le jour de l’audience, une foule dense était venue soutenir la mère de famille. À l’issue des délibérations le 12 mai dernier, la belle-mère des enfants a été condamnée à trois ans de prison avec sursis pour “homicide involontaire”, et le maire de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret, a été relaxé. Il lui était reproché de ne pas avoir suffisamment signalé que le lac était dangereux pour la baignade. 

Dans son communiqué, le président du tribunal judiciaire ne s’arrête pas sur la réaction de Lallia Konaté, qui a déclaré le 12 mai : “C’est rien du tout, trois ans de sursis.” Le président reconnaît : “Cette réaction est éminemment légitime compte tenu de la douleur et la détresse endurées depuis près de cinq années [...] Nul ne peut lui reprocher son indignation.”

En revanche, le président du tribunal estime que “d’autres réactions, émanant pourtant de professionnels du droit, justifient que soit rappelés certains principes fondamentaux du droit pénal”. En clair, le président s’en prend aux avocats des deux parties, qui ont selon lui tenu des propos contraires au droit. 

Concernant la relaxe de Gilles Platret, l’avocat de Lallia Konaté a dit pendant le procès que le maire avait “une part de responsabilité”. Une phrase “juridiquement inexacte”, explique le président du tribunal de Chalon-sur-Saône. Il rappelle que pour être responsable pénalement, il aurait fallu que le maire “viole de façon manifestement délibérée une obligation de prudence ou de sécurité” ou commette “une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer”

Le tribunal n’a pas considéré que l’un de ces deux critères était rempli dans le cas du maire et a donc choisi de le relaxer.

Le tribunal a prononcé la peine maximale prévue par la loi

Concernant la peine prononcée envers la belle-mère Aurélie H, reconnue coupable d’homicide involontaire et condamnée à trois ans de prison avec sursis, le président du tribunal s’en prend aux avocats des deux parties. 

L’avocat d’Aurélie H a jugé cette peine “surprenante”, arguant que “si c’est pour atténuer la souffrance ou soulager si cela est possible la douleur de la maman, trois ans de sursis c’est rien du tout”. L’avocat de Lallia Konaté, lui, a regretté que le tribunal ait suivi les réquisitions du parquet qu’il jugeait “particulièrement basses”. Selon lui, la peine est “absolument ridicule” et “un an de sursis par enfant c’est ridiculement faible”. La réponse du président du tribunal, dans son communiqué, est sans équivoque.

“Ces commentaires déplacés sont en contradiction manifeste avec les principes du droit pénal.”

Communiqué du président du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône

Ainsi, le président rappelle qu’une peine n’est pas “démultipliée par le nombre de victimes”. “Ainsi, en dépit du décès de trois enfants, la prévenue ne pouvait être exposée qu’à la peine maximale prévue par le législateur. Rapporter la peine prononcée au nombre de victimes est donc juridiquement totalement dénué de sens.”

Le président rappelle également que le code pénal prévoit une peine maximale de trois ans de prison pour les homicides involontaires. “Le tribunal correctionnel a prononcé le quantum maximum de l’emprisonnement encouru par la prévenue.

“Toute peine supérieure aurait donc été illégale.”

Communiqué du président du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône

Le président en déduit que “nul professionnel du droit ne pouvait s’attendre à ce que le tribunal puisse aller au-dessus des réquisitions” alors que celles-ci correspondaient au maximum prévu par la loi. Selon le président, les commentaires cités plus haut des avocats étaient “totalement inappropriés”.

Pour conclure, le président estime que les propos tenus par les avocats “portent atteinte à la sérénité devant entourer le jugement de faits aussi tragiques”.

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Le président justifie sa démarche

Interrogé par France 3 Bourgogne sur la démarche de publier de communiqué, le président du tribunal Eric Plantier répond :

"Si je ne le fais pas, qui rétablit les éléments de droit ?"

Eric Plantier

à France 3 Bourgogne

"Lorsqu'on me dit que trois ans de prison, ce n'est "rien" alors que c'est le maximum prévu par la loi, il me semble qu'une réplique est nécessaire. C'est faire peu de cas de l'engagement du tribunal dans ce contexte très lourd."

"Ce n'est pas nous qui faisons les lois", note le président, rappelant que nous sommes "dans un État de droit". "Si l'on estime que trois ans de prison maximum, ce n'est pas suffisant, il faut saisir l'Assemblée nationale et lui demander de changer les lois." 

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