L'humoriste Vincent Dedienne était de passage dans le lycée de Chalon-sur-Saône où il a passé sa scolarité. L'occasion pour lui de défendre l'option théâtre dont il a pu profiter quand il était élève.
Vincent Dedienne est de retour dans son lycée quinze ans après. La traversée du hall principal d'Hilaire de Chardonnet à Chalon-sur-Saône ne se fait désormais plus sans quelques selfies.
L'humoriste de 29 ans, qui officie notamment dans l'émission "Quotidien" de Yann Barthès sur TMC, n'est pas revenu se faire dresser une couronne de laurier mais défendre l'option théâtre.
"Dès que j'ai l'occasion de dire à quel point c'est important et à quel point c'est nécessaire, je le fais", nous confie le jeune comédien. "Je ne suis pas très grande gueule, mais là sur le sujet je veux bien l'être."
Depuis 17 ans, le lycée Hilaire de Chardonnet propose l'option obligatoire théâtre. Ils ne sont que trois lycées en Bourgogne à offrir cette possibilité. Chaque élève rejoint ce cursus avec un désir qui lui est propre. Mais pour le satisfaire, il est obligé de tenir compte de celui des autres.
"Finalement, ça sert à quoi le théâtre ? Pas à grand chose", explique Cécile Cadoux, la professeur de théâtre. "Par contre, aimer travailler en équipe, oeuvrer pour un projet collectif sans forcément le petit soucis de sa petite personne, ça c'est important en société, non ? C'est un beau projet de société quand même, travailler avec plaisir, avec les autres, pour les autres et pour soi."
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— Vincent Dedienne (@VincentDedienne) 4 janvier 2017
Avec des textes souvent difficiles à maîtriser et des questions de mise en scène à résoudre, l'option théâtre est exigeante. Ces élèves sont parfois amenés à se faire violence pour parvenir à proposer une prestation claire et pertinente. Ils ne doivent surtout pas hésiter à se mettre à nu.
"Avant j'étais très timide, très réservée", avoue Lucie, une élève du cours de théâtre. "Ça m'a vraiment permis de m'exprimer énormément. Ici, c'est un endroit où il n'y a pas de tabou, où on peut parler, on peut s'exprimer. Ça m'a apporté une confiance en moi énorme par rapport à celle que j'avais avant."
Certains d'entre eux rêvent de faire de la comédie leur métier. Pour y parvenir il leur faudra beaucoup de persévérance, mais c'est possible. À l'image de Vincent Dedienne qui les a précédés dans cette salle de classe.
"Pouvoir me promener comme ça et vivre de mon métier, de ma passion, je croisais les doigts à cette époque là pour que ça m'arrive", ajoute Vincent Dedienne.
Pari réussi pour l'enfant de Cruzille dans le mâconnais. Et pour le lycée Hilaire de Chardonay qui n'a pas fini de permettre à des adolescents de se révéler.
Intervenants : Vincent DEDIENNE, comédien, auteur et humoriste
Cécile CADOUX, professeur de théâtre
Laura, élève
L'intégralité de l'interview de Vincent Dedienne
A quoi ça sert de faire du théâtre au lycée ?
Texte de Cécile Cadoux, professeur de théâtreUn titre en forme de question mal posée au fond ; je la reformulerais : de quoi notre société a-t-elle besoin aujourd’hui ?
De gens capables d’autonomie, assumant et assurant leur rôle avec la conviction de sa nécessité ;
De gens capables de travailler en équipe dans un même but sans tirer la couverture à eux parce que le XXe siècle a montré que l’avenir n’est pas dans l’individualisme forcené ;
De gens capables de travailler en collaboration avec d’autres gens d’autres métiers pour un projet commun,
De gens capables de trouver dans leur travail du plaisir, de s’y épanouir personnellement dans le respect de chacun parce que le travail doit avoir un sens dans une société qu’on espère nouvelle ;
De gens capables d’apprendre, encore et toujours, des compétences nouvelles, de se remettre en question pour explorer d’autres potentialités ;
De gens capables de présenter clairement un projet, d’emporter d’autres gens dans leur sillage, de défendre un point de vue dans le respect de celui de l’autre
De gens capables d’accepter les forces et les faiblesses de leurs partenaires comme complémentaires des leurs, et donc capables d’accepter et de rechercher la diversité des origines et des expériences ;
Finalement toutes ces compétences et ces qualités sont développées dans une option théâtre :
C’est le projet collectif qui l’emporte : c’est ensemble que nous avançons. Dans une option pas de « vedettariat » possible ; le but de l’équipe pédagogique est de prendre chacun où il est et de l’inclure dans un projet où chacun, donnant le meilleur de lui-même peut contribuer au projet collectif. Cela impose le respect de l’autre et en même temps cela pousse chacun à se remettre en question : les plus réservés doivent s’efforcer de prendre leur place, les plus audacieux doivent apprendre à se mettre parfois en retrait pour mettre l’autre en lumière.
On y apprend à la fois à s’affirmer et à savoir s’effacer.
Le travail est lourd : les textes à apprendre sont longs, il faut les maîtriser parfaitement ; les travaux de théorie sont longs, pointus et exigent une grande maîtrise de l’œuvre, des mises en scène célèbres qui l’ont représentée. C’est une option ouverte sur les autres formes d’art : peinture, sculpture, danse… Il faut que les élèves fournissent un travail personnel important. Leur autonomie est sollicitée : nous leur demandons de réfléchir aux éléments de costumes, d’imaginer des affiches…
L’option théâtre, c’est, en miniature, mon école idéale,
- Les cours de théorie sont là pour approfondir un sujet : les efforts de réflexion demandés aux élèves sont conséquents et c’est important, à l’école, de tenir bon sur l’effort à fournir et sur la qualité et le haut niveau des connaissances que l’on propose : on leur demande d’étudier des œuvres de grande qualité littéraire, de se poser des questions de mises en scène grâce à de grands auteurs, de grands metteurs en scène qui sont souvent aussi de grands penseurs ( Brecht, Vitez, … ;) : les textes étudiés sont parfois dignes de textes de philosophes. Les élèves se livrent avec plaisir, je crois, à ce travail exigeant parce qu’ils expérimentent concrètement que ça enrichit le travail pratique que nous menons ensemble conjointement. La pratique se nourrit de la théorie.
- La pratique quant à elle, est menée par une équipe constituée d’un professeur et surtout d’un artiste qui vient transmettre aux élèves sa conception de son art dans les mises en scène, ou, plus modestement, les mises en jeu qu’il leur propose. La pratique met adultes et jeunes gens en interaction permanente dans un rapport original. Pas de démagogie ! La ligne directrice est définie par l’équipe pédagogique et artistique, mais rien ne peut se faire sans les élèves. Dans ce cours, les élèves sont responsabilisés : leur absence est nuisible au groupe, leur défaillance ( texte, jeu) a des conséquences sur le projet collectif. Cela crée d’ailleurs des tensions, parfois fortes, entre les uns et les autres, des affrontements parfois durs. Pas d’angélisme ! Tous ne gardent peut-être pas un souvenir idyllique de leur passage dans l’option,mais au bout du compte, ils en sortent souvent grandis, plus forts.
- Une option c’est aussi une école du spectateur : entre 6 et 10 spectacles par an, selon l’option et le niveau d’étude : c’est beaucoup. Pour celui qui a suivi les 3 ans, c’est au moins 20 spectacles vus, et aussi au moins 20 occasions de débats, de questionnements, de bonheur, d’ennui, mais rarement d’indifférence ! Nous avons la chance à Chalon d’avoir une scène nationale l’Espace des Arts qui nous propose des spectacles de grande qualité et nous pouvons nous déplacer facilement grâce à la générosité de la Région pour les déplacements.
- Tous les élèves, pourvu que cette option soit compatible avec leur série, sont bienvenus : il n’y a pas d’audition. Il s’agit d’être motivé et ouvert ou, au moins, prêt à s’ouvrir …il n’est pas rare que les plus fermés soient ceux qui nous dévoilent les plus belles perles au bout de la formation, et nous sommes toujours impressionnés du trajet parcouru sur les 3 ans.
- On parle aussi beaucoup de la place des parents à l’école : ici, ils sont vraiment très impliqués ; il leur faut accepter que leurs enfants assistent à de nombreux spectacles en soirée, il leur faut les emmener, venir les chercher ; certains sont mis à contribution pour une aide logistique ; ainsi une grand-mère nous a fait les costumes des Bacchantes d’Euripide en 3 jours ! auparavant nous avions fait une expédition commando, les élèves et moi, dans les magasins d’habits et de tissus de Chalon. Et surtout, ils sont le premier public de leurs enfants. Voir son enfant impliqué dans un projet artistique collectif est un grand bonheur, quel que soit l’art, le théâtre, la danse, la musique…
- C’est difficile : il faut le dire et rendre hommage à la force de ces jeunes gens (car tous n’ont pas la force de résister) .Oui, il peut y avoir des démissions de jeunes gens qui ne supportent pas le vide que suppose parfois la création, ou la tension qui en résulte. J’ai beaucoup d’admiration pour les élèves qui tiennent le coup, magnifiquement souvent. Ils font un extraordinaire pied de nez à une société souvent prompte à condamner le jeune jugé inculte et paresseux. C’est faux. Beaucoup d’adultes sont incapables de faire ce que nos élèves font !
L’école publique s’honore en proposant un tel espace de connaissances, de création et de liberté mêlées aux enfants.
Finalement, l’option théâtre, c’est presque aussi la miniature de ma société idéale : coopération des personnes au-delà des générations, dans un objectif commun qui permet à chacun de s’épanouir et qui est un cadeau à d’autres humains parce que l’art, c’est aussi ça, un simple et pur cadeau.
L’option, du point de vue institutionnel
-option obligatoire, réservée aux Terminales littéraires
3h de pratique (financement Ministère de la Culture)
2h de théorie
Un programme fixé nationalement
Coeff 6 au bac : 3 en théorie , 3 en pratique
-option facultative, ouverte à toutes les séries
2h de pratique ( financement lycée)
1h de théorie
Pas de programme imposé, seulement des pistes de travail.
Au bac : seuls les points au-dessus de la moyenne x2 comptent
Dans les deux cas, une équipe professeur et artiste.