Colère des agriculteurs. "Mettre du lisier partout ne fait pas avancer le schmilblick" : pourquoi eux ne participent pas aux blocages

Routes bloquées, opération de pression sur la grande distribution, les nombreuses manifestations d'agriculteurs montrent un monde paysan apparemment uni derrière les revendications des syndicats majoritaires. Pourtant, de nombreux autres agriculteurs eux aussi en attente d'une amélioration de leurs conditions de travail ne participent pas aux actions décriées de ces derniers jours.

Après un premier mouvement en novembre dernier, les manifestations de protestation des agriculteurs se sont multipliées depuis une semaine. Des grands axes routiers sont bloqués, des perquisitions de camions de marchandises étrangers et des actions en grande surface sont effectuées.

Les manifestants semblent parler d'une seule voix quand ils sont interrogés, mais représentent-ils pour autant la totalité du monde agricole? Car beaucoup de cultivateurs et d'éleveurs ne participent pas aux actions. Les raisons sont complexes et les divergences d'opinion nombreuses chez les professionnels de la terre. Elles les divisent dans leurs attentes ou dans les moyens utilisés pour faire pression sur l'État.

En première ligne devant les caméras, on trouve les tracteurs de la FNSEA, des Jeunes Agriculteurs et de la Coordination Rurale, les syndicats majoritaires du monde agricole, mais plus rares sont les signes de la Confédération Paysanne ou encore de la FNAB dans notre région. Pourquoi ?

Liberté d'agir pour leurs adhérents

La Confédération Paysanne a appelé à se mobiliser mais a laissé ses fédérations départementales souveraines. Résultat, elle ne revendique des actions que dans les départements où leurs adhérents sont suffisament nombreux pour s'organiser. Interrogé sur leur capacité à se mobiliser, le co-porte-parole de la Confédération Paysanne de Côte d'Or, Cyril Beaulieu, répond : "On est à peine 50 à 60 agriculteurs adhérents en Côte d'Or, avec des petites exploitations éparpillées. C'est assez difficile de s'organiser sans que cela impacte notre boulot !"

En Saône-et-Loire, la Confédération Paysanne 71 a pu mettre en place une action ce mardi 29 à Mâcon. Ils ont installé un marché paysan sur le parking d'un hypermarché. Une cinquantaine de producteurs et adhérents ont pu faire le déplacement. Par leur présence et le contact avec les clients de la grande surface, ils communiquent sur la lutte engagée avec la grande distribution.

"C'est vrai qu'à la confédération, on a surtout des fermes à taille humaine, c'est pas évident d'organiser des actions. Moi-même j'ai dû faire mon travail quotidien en une demi-journée pour me rendre disponible. En Saône-et-Loire, on est environ 80 adhérents, c'est pas énorme par rapport au syndicat majoritaire mais ça augmente, et on est très dynamique." déclare enjoué, Cédric Vidal, porte-parole de la confédération paysanne 71.

La FNAB en revanche n'a pas appelé à rejoindre le mouvement de contestation, "Chacun est libre de faire ce qu'il veut, et certains de nos adhérents sont dans les manifestations," signale Laurence Henriot, la présidente de BIO Bourgogne-Franche-Comté.

Ces deux organisations professionnelles partagent certaines revendications avec les manifestants mais expriment surtout beaucoup de divergences avec les instigateurs du mouvement que sont les syndicats majoritaires.

Trop de désaccords pour défiler côte à côte ?

Côté convergences, toutes les organisations demandent bien sûr une rémunération plus juste pour les agriculteurs. Elles s'accordent sur l'application de la loi Egalim et le respect de cette dernière par la grande distribution et les industries agro-alimentaires. "Ce n'est pas normal que les producteurs vendent en dessous de leur prix de revient. Aucune entreprise ne fait ça", souligne Cyril Beaulieu.

Les centrales d'achat européennes permettent à la grande distribution de détourner la loi Egalim

Cédric Vidal, porte-parole de la confédération paysanne 71

Un autre point d'accord inter-syndical est la simplification et la clarification des démarches administratives. "C'est trop compliqué aujourd'hui de reprendre une exploitation, et les banques ne jouent pas le jeu," confie Cédric Vidal.

Accord aussi pour les normes sanitaires. Tous expriment que des efforts pourraient être faits pour les adapter aux modes d'exploitation.

Mais pour le reste des revendications des syndicats agricoles majoritaires, le divorce est consommé. La réduction des normes écologiques françaises comme la baisse de taxe sur le gasoil non routier (GNR) ne font pas partie des demandes du monde paysan engagé dans la défense de l'environnement. Ils craignent même une régression en cas de défaite du gouvernement dans le bras de fer actuel.

"On a travaillé des années pour construire un cadre vertueux, pour une agriculture plus respectueuse de l'environnement. Il y a un risque que tout s'effondre sous un coup de pression, qu'on fasse table rase de toutes ces avancées." exprime Laurence Henriot, agricultrice et présidente de BIO Bourgogne-Franche-Comté.

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Le co-porte-paroles de la confédération paysanne en Côte d'Or, Cyril Beaulieu, s'est exprimé ce lundi 29 janvier sur France Bleu ©Radio France / France télévisions

Cyril Beaulieu, co-porte-parole de la Confédération paysanne 21, partage ce sentiment de crainte d'un retour en arrière. "On a peur que cela aille jusqu'à la remise en cause des ZNT, les zones non traités proche des cours d'eau ou des lieux de vie humaine."

La baisse du GNR, c'est des clopinettes...

Laurence Henriot, agricultrice

Concernant la baisse de taxe sur le GNR, "il s'agit d'un cadeau symbolique de Gabriel Attal à la demande de la FNSEA, mais cela ne changera pas vraiment le revenu des agriculteurs." d'après Cyril Beaulieu.

Ces deux organisations professionnelles, plutôt "d'opposition", soulèvent que ceux-là même qui dirigent la grogne (sous-entendu la FNSEA) sont en partie responsables de la situation catastrophique des agriculteurs aujourd'hui. "C'est tout de même à leur demande que les exploitants en bio ont perdu l'aide au maintien en 2017" souligne Laurence Henriot.

"Les syndicats majoritaires ont été en co-gestion avec les gouvernements successifs depuis trop longtemps. Et concernant les traités de libre échange, on est assez dubitatifs sur le positionnement de la FNSEA." déclare aussi Cyril Beaulieu.

Accompagner le mouvement pour faire entendre sa voix

Alors que les tracteurs des principaux syndicats bloquent quasiment seuls les axes routiers stratégiques du pays, nombre d'agriculteurs sont restés à leur champ et à leur étable.

"Mettre du lisier partout fera pas avancer le schmilblick. On continue de travailler sur les dossiers avec le gouvernement et les organisations européennes. Même si c'est vrai qu'on n'a pas toujours l'impression d'être écouté," avoue Laurence Henriot.

La confédération paysanne préfère donner un visage plus "pacifique" au combat par des actions parallèles. "Il faut nous donner les moyens de nous distinguer, de faire entendre notre voix," déclare Cyril Beaulieu."On a beau être orienté différemment, ça n'empêche qu'on a une revendication commune, un revenu juste pour les agriculteurs", défend Cédric Vidal. 

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