Jeudi 20 mai 2017, Jérôme Laronze, éleveur bovin à Trivy, près de Cluny (Saône-et-Loire) était abattu par un gendarme, lors d'un contrôle vétérinaire. Les proches de Jérôme Laronze réclament toujours un procès et "la vérité".
5 ans après les faits, les proches et amis de Jérôme Laronze dénoncent les lenteurs de la justice. Un rassemblement commémoratif aura lieu le 21 mai 2022 à la ferme des Senauds, à Trivy (Saône-et-Loire) "pour rendre hommage à Jérôme Laronze et à ses luttes pour un monde plus juste, débarrassé d'un tas de normes qui nous étouffent et nous empoisonnent" écrit Marie-Pierre Laronze, une des sœurs de Jérôme.
Une instruction judiciaire pour "violences avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner" est toujours ouverte. Un gendarme est toujours sous contrôle judiciaire et demeure en activité.
"Nous, il nous manque, ça c'est sûr !"
A la Confédération Paysanne, Agnès Vaillant est animatrice pour la Saône-et-Loire. Elle affirme la présence du syndicat aux côtés de la famille : "On est toujours en soutien à la famille pour une attente de justice qui tarde à arriver. Vraiment. On ne sait même pas s'il y aura une décision qui sera prise avant l'été."
A la Confédération Paysanne, l'affaire Jérôme Laronze a probablement pris une tournure emblématique. Agnès Vaillant précise : "depuis l'affaire de Jérôme, les contacts que l'on a avec Solidarité Paysans, les gens appellent peut-être plus facilement. En tous cas, les proches des paysans qui sont en difficulté, ça les alerte."
Mais la Confédération ne souhaite pas que le combat de Jérôme Laronze tombe dans l'oubli : "Pour des nouveaux adhérents, ils ne connaissent pas l'histoire de Jérôme Laronze. Ils ne sont pas forcément au courant ou en ont vaguement entendu parler. Il faut faire un rappel de ce qu'il s'est passé, tous les ans." Après un silence, Agnès Vaillant ponctue : "Nous, il nous manque, ça c'est sûr !"
Si le syndicat paysan ne s'immisce pas dans la lutte portée par les 4 sœurs et les proches de Jérôme Laronze pour obtenir un procès et la vérité sur l'interpellation tragique qui s'est déroulée le 20 mai 2017, il insiste en revanche sur l'aspect de la "persécution" subie en son temps par l'éleveur : "Nous, en tant que syndicat, on appuie sur le fait que la DDPP (Direction départementale de la protection des populations ndlr) a fait de l'acharnement sur lui. A l'époque, on ne savait pas tout. C'est une machine à broyer. Ils ne tiennent pas compte de l'humain. Ça ne les gêne pas d'envoyer des courriers de mise en demeure, il faut voir le ton sur lequel c'est envoyé. Même au bout de 5 ans, ça ne gêne toujours pas l'administration d'être cassante avec des éleveurs qui sont en défaut, avec des courriers qui sont agressifs."
Le soutien en justice de la Confédération paysanne a dû s'arrêter lorsque le syndicat n'a pas pu se constituer partie civile : "On a été déboutés de la partie civile à l'époque, ils veulent que personne n'entre dans ce dossier."
Une avancée partielle sur le volet administratif en 2020
Le tribunal administratif de Dijon en février 2020 avait déclaré l'irrégularité des contrôles effectués en 2015 et 2016 à la ferme de Jérôme Laronze, et les avait qualifiés "d'abusifs" en les annulant : "Le tribunal déclare que les contrôles administratifs tenus les 4 juin 2015, 6 et 22 juin 2016 sont irréguliers et nuls pour atteinte à son domicile et à ses droits fondamentaux."
L'injustice, ça serait de ne pas avoir de procès. Il faut que cela soit débattu. C'est nécessaire !
Marie-Pierre Laronze
Marie-Pierre Laronze, une des soeurs de Jérôme Laronze, est avocate de profession, spécialisée dans le droit du travail. Et c'est parce qu'elle connaît l'institution "de l'intérieur" qu'elle estime qu'il y a des lenteurs dans l'instruction du dossier : "L'affaire n'est vraiment pas compliquée au départ. Les éléments sont là, ça ne demande pas cinq ans d'instruction. C'est un parcours d'obstacles. "
Les 5 années d'attente pour un procès, pour connaître la "vérité judiciaire" commencent à peser sur la famille de Jérôme Laronze : "On ne devrait pas avoir à supporter en tant que partie civile ce genre d'obstacles. Le procès, ce n'est pas le lieu de la reconstruction. Mais en tous les cas, c'est le lieu de l'apaisement. L'apaisement, c'est-à-dire dire la vérité, la vérité judiciaire, il y a des preuves, des pièces à conviction. Tout le monde nous pose la question : c'est quand le procès ? On en est où ? Nous on veut savoir, on veut être là, on veut que ça soit public !"
Une "chape judiciaire"
La sœur de Jérôme Laronze dénonce les lenteurs, qui seraient, selon elle, voulues : "On voit bien qu'il y a une action, après la chape administrative, il y a une chape judiciaire. On voit bien qu'il y a une volonté politique que cette affaire, elle reste le plus longtemps possible au fond du tiroir ! On le voit bien, plus le temps passe, plus les gens vont se lasser, plus les soutiens vont se dissoudre, vont peut-être partir, et aussi, plus les preuves et les témoignages s'effacent. Le juge a auditionné récemment pour la première fois des personnes de premier plan, mais qui en fait ne se souviennent plus de rien. C'est ridicule ! Quand on ne veut pas instruire, on fait comme ça, on laisse le temps passer, on fait les actes du bout des doigts, tardivement. Tous les gendarmes qui sont ré-auditionnés sur les plaintes qu'on a fait, ils disent tous qu'ils ne savent plus, 'effet tunnel', ils ne se souviennent plus !"
La crainte est de voir disparaître les preuves ou les témoignages capitaux qui permettraient d'aller à un procès, en la présence "d'indices graves et concordants" : "Moi, j'en veux à l'institution judicaire, et aux gendarmes qui n'ont pas fait leur travail à l'origine. La position des gendarmes, du moins pour celui mis en examen, ça peut se résumer à 'je ne me souviens plus', 'effet tunnel'. Ça joue forcément en faveur de celui qui est mis en examen, puisqu'il est présumé innocent, et qu'on aura un procès si l'instruction établit des indices graves et concordants. Mais quand ces indices, on les laisse dépérir ou on ne les exploite pas, on aura un non-lieu !"
Des douilles de cartouches manquantes
Marie-Pierre Laronze cite un fait troublant du dossier : "Pour moi, c'est vraiment l'exemple typique du dossier qu'on a fait durer pour laisser dépérir les éléments de preuve, pour ne plus permettre les confrontations, les témoignages, les rapprochements : il manque 4 étuis (4 douilles de balles ndlr), on s'en préoccupe deux ans après, parce que ce sont les parties civiles qui bougent. C'est au parquet et au juge d'instruction qui d'eux-mêmes devraient spontanément se saisir de ce poids et d'auditionner les gendarmes pour expliquer pourquoi il manque les étuis."
Un "effondrement" pour la famille de Jérôme Laronze
La famille de Jérôme Laronze réclame un procès, face à une justice en laquelle "ils avaient confiance" : "la justice est d'une grande violence. C'est innommable, alors qu'on est le soir même, on déclare que la victime a foncé sur les gendarmes qui étaient dans l'obligation de riposter. Personne n'était là pour le savoir, les actes d'enquête n'étaient pas conduits ! Ça oriente déjà comment tous les actes enquêtes vont être engagés ! On na plus rien à attendre de la justice dans ce cas-là ! L'hypothèse éventuelle de dire que le gendarme ne dit pas la vérité, ça va être difficile pour leur faire entendre ce raisonnement. Ça fait 5 ans que c'est difficile en fait ! On fait des demandes d'actes d'instruction, qui aujourd'hui devraient être faits spontanément dans ce dossier !"
Puis l'avocate évoque des voies de réflexion pour des affaires similaires, comme le "dépaysement" de ces dossiers, qui devraient "être instruits ailleurs".
De même pour les enquêtes internes, "elles ne doivent pas être conduites par des collègues. Là, il n'y a aucune étanchéité !"
Dans les premiers temps de l'affaire, la famille de Jérôme Laronze avait dû tempérer des appels à manifester des agriculteurs, en appelant au calme : "Nous on avait dit 'non, Jérôme, c'est quelqu'un de non-violent'. On va faire confiance, et on veut faire confiance à la justice.
5 ans après, on fait l'échec de notre erreur, c'est ça qui est un effondrement, vraiment, pour ma famille... De devoir constater qu'il y a une impossibilité dans ce dossier, une impossibilité de justice. Tous les biais sont utilisés pour ne pas instruire !"