Les proches et soutiens de Jérôme Laronze dénoncent les lenteurs de la justice. L'éleveur de Trivy (Saône-et-Loire) a été abattu par un gendarme en mai 2017 après un contrôle vétérinaire. Ce jeudi 20 mai, 70 personnes se sont rassemblées devant le palais de justice de Chalon-sur-Saône.
Quatre ans d'instruction
Une nouvelle fois, ce jeudi, la famille, les amis, les membres d'associations dont l'association Justice et Vérité pour Jérôme Laronze se réunissent pour interpeller sur la mort de cet agriculteur, tué le 20 mai 2017 par un gendarme sur un chemin de Sailly, en Saône-et-Loire.
Ils se retrouvent devant le palais de justice de Chalon, un symbole pour eux. Quatre ans après le drame, les soutiens de l'éleveur tombé sous les balles ne cachent plus leur exaspération : ils veulent que l'instruction aboutisse, ils réclament un procès. Cet appel à se mobiliser a également été relayé sur la page Facebook de la Confédération paysanne.
"Quand on fait traîner un dossier dans des délais qui ne sont pas raisonnables, on peut se demander si ce n'est pas une façon de décourager les gens. Mais nous restons déterminés", explique Christian Celdran, membre de l'association Justice et Vérité pour Jérôme Laronze.
La famille est également dans l'attente. La durée de l'instruction les trouble, le soupçon s'installe. Selon les sœurs de Jérôme Laronze, depuis un an, aucune nouvelle pièce n’a été versée au dossier.
"C’est une affaire qui embarrasse la justice elle-même et l’État."
« On a l’impression que plus rien ne se passe. On souhaite rester nuancé. Mais c’est une affaire qui embarrasse la justice elle-même et l’État du fait de l’implication de la gendarmerie. Notre inquiétude est encore accentuée par le fait que l’enquête a été confiée à l’Inspection générale de la gendarmerie, des pairs du mis en examen », explique Christophe Jacquet, le beau-frère de Jérôme Laronze.
Le rappel des faits
L'instruction est toujours en cours pour faire la lumière sur les circonstances exactes des faits. Le gendarme, qui a blessé mortellement Jérôme Laronze, a été mis en examen pour "violence avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner".
Jérôme Laronze était en fuite depuis neuf jours. Il était recherché depuis une visite des services vétérinaires à l’issue de laquelle il s’était enfui alors que ses bêtes allaient lui être retirées. L'agriculteur se disait harcelé de contrôles, d'injonctions et de mises en demeures de la part de l'administration depuis plusieurs années.
Le 20 mai 2017, Jérôme Laronze aurait foncé sur les deux gendarmes qui voulaient l'appréhender sur un sentier de Sailly, à quelques kilomètres de sa ferme, raison pour laquelle ils ont fait feu. C'est la thèse des deux militaires. La famille de l'éleveur affirme, quant à elle, que les balles se sont logées dans le côté et le dos de la victime, ce qui remet en cause à ses yeux l'argument de la légitime défense.
La justice instruit également deux plaintes complémentaires déposées par la famille de Jérôme Laronze au printemps 2019 : l'une pour non-assistance à personne en danger, l'autre pour pollution de la scène de l'infraction. Les proches du défunt aimeraient savoir si tous les soins ont été apportés par les gendarmes pour sauver Jérôme Laronze alors qu'il agonisait dans sa voiture. Ils s'interrogent aussi sur la préservation des indices sur le lieu même de la tragédie. Selon eux, certaines douilles n'ont pas été retrouvées.
La justice administrative a déjà tranché
Si les soutiens de Jérôme Laronze et sa famille dénoncent "les lenteurs" de la justice pénale, ils estiment avoir remporté l'an dernier une victoire importante sur le volet de la justice administrative. Une décision définitive puisqu'aucun recours n'a été déposé par la préfecture de Saône-et-Loire.
En février 2020, le tribunal administratif de Dijon a déclaré "irréguliers et nuls" trois contrôles réalisés par des agents de la Direction Départementale de la Protection des Populations (DDPP) sur la ferme de Jérôme Laronze entre juin 2015 et juin 2016. Ces inspections ont porté atteinte au domicile de l'éleveur ainsi qu'à ses droits fondamentaux, selon le juge.
"Cette décision du tribunal administratif le réhabilite"
"On faisait de Jérôme Laronze un criminel, un fou qui embêtait l'administration. Ce jugement dit que ce sont bien la gendarmerie et les services préfectoraux qui ont agi de façon illégale, et non le contraire. Cette décision du tribunal administratif le réhabilite", martèle Christian Celdran, membre de l'association Justice et Vérité pour Jérôme Laronze.
Lors des inspections de la DDPP sur la ferme de Jérôme Laronze, les fonctionnaires étaient parfois accompagnés par de représentants des forces de l'ordre. « Il (ndlr Jérôme Laronze) pouvait se montrer énervé dans les mots, mais n’a jamais été violent ni menaçant lors d’un contrôle », assurent les sœurs de l'éleveur à nos confrères de Reporterre. En revanche, elles affirment qu'un contrôle en 2016 en présence de gendarmes avait effrayé des bovins, certaines vaches seraient mortes dans la bousculade.
"Au pénal, les juges nous disent les contrôles vétérinaires, la gestion de la ferme, ça n'est pas de notre ressort. Pourtant, c'est aussi cette chaîne de causes et de conséquences, cet engrenage qui ont poussé Jérôme à fuir ceux qui étaient présents lors du contrôle ce 11 mai 2017", estime Christophe Jacquet, le beau-frère de l'éleveur abattu.
"Des contrôles oui, mais pas comme ça !"
Jérôme Laronze était membre de la Confédération paysanne. Des adhérent et sympathisants de ce syndicat agricole seront présents au rassemblement de ce jeudi devant le palais de justice de Chalon. La tragédie de leur collègue les a bouleversés et a agi comme une prise de conscience. Ce syndicat agricole a ainsi édité un "guide des droits et devoirs en situation de contrôle" à la suite du drame.
"Quand deux contrôleurs de la DDPP arrivent sur une ferme, il y a un rapport de supériorité qui se met en place par rapport à l'éleveur, un sentiment de pression et d'oppression. C'est encore plus vrai quand ils sont accompagnés en plus par des gendarmes comme c'était le cas pour Jérôme. Des contrôles oui, mais pas comme ça ! On conseille aux agriculteurs d'être systématiquement accompagnés par la famille, des amis ou un syndicat", explique Cédric Vidal, porte-parole de la Confédération paysanne 71.
"Réaffirmer que l'agriculteur contrôlé a certes des devoirs mais aussi des droits"
Cet éleveur bovin, installé dans la Bresse, a lui aussi connu de nombreux contrôles de la DDPP. L’administration lui a reproché la maigreur de ses vaches et l'inadaptation d'un de ses bâtiments. Une affaire qui s'est soldée par une amende de 1500 euros avec sursis devant le tribunal correctionnel en 2018.
"Si j'ai adhéré à la Confédération paysanne, c'est aussi en raison de ce qui est arrivé à Jérôme Laronze. Je me suis dit qu'il ne fallait pas que je sois tout seul et réaffirmer que l'agriculteur contrôlé a certes des devoirs mais aussi des droits", se souvient Cédric Vidal. A sa connaissance, aucun contrôle n'a donné lieu à des tensions dans le département depuis la mort de Jérôme Laronze.