Fausse médecin à Montceau-les-Mines, fausse enseignante dans le Beaujolais... Mais qui est Samantha Avril ? Éléments de compréhension avec un psychiatre bourguignon.
Samantha Avril refait parler d'elle. Cette femme de 38 ans, connue depuis 2020 comme la "fausse médecin de Montceau-les-Mines", vient d'être confondue dans deux nouvelles affaires d'escroquerie. Il y a quelques jours, nous relations qu'elle avait tenté de se présenter à l'Inspé de Mâcon, un institut qui forme les professeurs des écoles et du second degré. Sans succès.
Mais ce jeudi matin, nouvel épisode : le journal Le Progrès révèle que Samantha Avril a réussi à devenir, brièvement, institutrice remplaçante dans une école de Taponas, dans le Beaujolais. Si des plaintes ont été déposées à chaque fois, une question se pose : la justice est-elle compétente pour juger le cas Samantha Avril, ou est-ce à la médecine seule de prendre le relais ?
"Il y a de toute façon un trouble de l'identité"
Impossible de savoir précisément de quoi souffre Samantha Avril : son dossier médical est, comme tout patient, strictement confidentiel. En outre, "il est très difficile de diagnostiquer quelqu'un que l'on a pas vu : seuls les experts peuvent trancher, parce qu'ils passent plusieurs heures avec la personne", note Clément Guillet, psychiatre à la Chartreuse, à Dijon.
Mais des éléments de compréhension peuvent être esquissés. Selon Rudy Didi Roy, psychiatre-neurologue et expert auprès de la cour d'appel de Dijon, plusieurs hypothèses de diagnostic existent. "Il y a de toute façon un trouble de l'identité." Selon le docteur Didi Roy, il peut s'agir :
- d'un trouble de personnalités multiples, appelé "trouble dissociatif de l'identité" (TDI) avec syndrome dissociatif (plusieurs "alters" qui cohabitent)
- d'un délire chronique avec processus interprétatif : un trouble délirant chronique interprétatif,
- d'un état maniaque délirant, une manie délirante
- d'un trouble de la personnalité de type "état limite" (borderline), "avec au premier plan, peut-être, une amnésie dissociative : dans ce cas, les gens répondent à côté, ils ne savent pas qui ils sont". C'est ce qu'on appelle le syndrome de Ganser, défini ainsi dans le Larousse : "Trouble caractérisé par des réponses inappropriées, approximatives ou absurdes données par un sujet aux questions qu'on lui pose, sans atteinte de ses facultés intellectuelles. Le syndrome de Ganser proviendrait d'un refus de la réalité ou d'un "rétrécissement de la conscience"."
- d'une psychorigidité avec une conviction erronée, "ce qui fait qu'elle est capable de convaincre avec de faux diplômes".
"En tout cas, elle ne répond pas aux critères de la schizophrénie", estime le docteur Didi Roy. Dans un reportage de TF1 de novembre 2020, l'avocat de Samantha Avril évoque une cliente "schizophrène", mais le psychiatre met en doute ce diagnostic. "La schizophrénie induit des hallucinations (auditives, visuelles, psychiques, synesthétiques), un délire interprétatif, un trouble autistique, et des éléments dissociatifs. Je ne le perçois pas comme cela pour Samantha Avril."
"Les schizophrènes ont des conduites aberrantes, discordantes, dissociées. Dans son cas, c'est très réfléchi, avec une conduite élaborée."
Le psychiatre estime que Samantha Avril "n'a pas sa place en prison". "Elle a besoin d'une prise en charge, d'un étayage, pour être ramenée dans la réalité. Selon moi, elle devrait être hospitalisée en psychiatrie et être étudiée, évaluée dans ses composantes psychiques. Les cas comme ceux-là sont rarissimes ! C'est un cas particulièrement intéressant."
Un avis partagé par Clément Guillet. "Ce genre de cas n'est pas du tout courant. Les patients que l'on voit ont plutôt des délires dans lesquels ils se prennent pour quelqu'un d'autre, mais ne sont pas forcément aussi organisés, au point de pouvoir tenir leur rôle comme l'a fait madame Avril en exerçant ses fonctions de médecin pendant quatre mois."
Des "failles narcissiques majeures" pour expliquer ce comportement ?
Qu'est-ce qui a pu pousser cette trentenaire à développer un tel trouble de l'identité ? Selon le docteur Didi Roy, "elle veut être quelqu'un. Je pense qu'elle souffre de failles narcissiques majeures, sans doute issus de traumatismes liés à son enfance, qui font qu'elle veut se valoriser en se disant docteur ou professeure."
"Elle compense ces failles par un statut social qui demande reconnaissance, avec une nouvelle identité professionnelle et une usurpation de statut."
Comment réagissent ces personnes quand on les met face à la vérité ?
"Elles sont convaincues par une partie de leur récit", estime le docteur Didi Roy. "Quand on les met au pied du mur, elles intègrent la sanction, vont en prison, puis ressortent et redeviennent quelqu'un d'autre."
Pour le docteur Guillet, deux options sont possibles : "Cela dépend s'il y a une pathologie mentale sous-jacente, auquel cas il est très difficile pour ces gens d'entendre la vérité. Alors que s'il s'agit d'une manipulation volontaire et malhonnête, là, oui, les gens peuvent avouer."
La difficulté de traduire en justice
Samantha Avril peut-elle répondre de ses actes devant la justice ? Pour l'instant, les enquêtes sont toujours en cours et elle reste sous le coup de poursuites pénales. Mais la question de l'altération ou de l'abolition du jugement lors des procès "est un serpent de mer", reconnaît Clément Guillet. "Il peut y avoir différentes expertises. Dans le cas du meurtrier de Sarah Halimi, je crois qu'il y a eu 7 expertises !" Le psychiatre répète qu'un diagnostic ne peut être posé que par un expert qui rencontrera Samantha Avril "en face". "Mais en tirant les fils de cette affaire, cela montre aussi la déperdition de certains déserts médicaux et de l'Education nationale, qui doivent répondre à des pénuries et ont fini par embaucher une personne comme Samantha Avril qui présentait un faux dossier."
Dans l'affaire de la "fausse médecin" à Montceau-les-Mines, l'Ordre départemental des médecins reste visé par plusieurs plaintes émanant des familles des anciens patients de Samantha Avril. Concernant l'affaire de la "fausse enseignante" révélée ce jeudi, les parents d'élèves n'ont pas porté plainte pour l'heure mais ont interpellé le rectorat de Lyon, se demandant "comment une personne récidiviste avec casier judiciaire a pu arriver à l'école".