Le musée Rolin d'Autun (Saône-et-Loire) a récemment redécouvert un tableau exceptionnel, propriété d'un collectionneur hollandais spolié pendant la Seconde Guerre mondiale. L'œuvre sera restituée à la famille après une exposition le 13 décembre prochain.
1940. Voilà huit mois que les combats font à nouveau rage en Europe. La Pologne est tombée, et l'étau de la guerre se resserre progressivement sur l'ouest du continent. Alors que les grandes puissances restent immobiles, les troupes allemandes marchent à la vitesse de l'éclair sur le Danemark, la Norvège, le Luxembourg, la Belgique et... les Pays-Bas.
À Amsterdam, alors que les forces ennemies approchent, certains décident de fuir. Parmi eux, Jacques Goudstikker, marchand d'art et galeriste incontournable de la capitale hollandaise. Avec sa femme et son fils nouveau-né, il parvient à embarquer sur l'un des derniers bateaux en direction des États-Unis. Ce faisant, il laisse derrière lui une collection de plus de 1 300 œuvres.
Lorsqu'ils prennent la ville, les nazis pillent la collection. Les tableaux sont envoyés par centaines en Allemagne, où Hermann Göring, l'un des principaux personnages du régime hitlérien, se taille la part du lion. À la fin de la guerre, la collection Goudstikker est en lambeaux - la majeure partie en est perdue.
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Mais la famille du collectionneur a bien l'intention de la reconstituer. Lui-même n'est jamais parvenu aux États-Unis : sur le navire qui l'y transportait, il chute dans une écoutille et se brise la nuque. Sa veuve, elle, arrive saine et sauve à New York. Elle se battra toute sa vie pour retrouver les œuvres perdues, un combat que mènent aujourd'hui encore les héritiers Goudstikker.
Une peinture restituée par... le musée d'Autun
Et c'est une pièce tout à fait particulière, récupérée par le musée Rolin d'Autun (Saône-et-Loire), qui va aujourd'hui rejoindre la collection. "Il est tout à fait remarquable par sa taille, assez atypique, qui permet un déploiement de sa scène comme une bande-dessinée", explique Agathe Mathiaut-Legros, conservatrice du musée. "Comme il n'y a pas de signature, on ne connaît pas l'auteur, mais on suppose qu'il date du début du 17ème siècle."
"Ce tableau possède une forme iconographique assez originale. Et puis c'est une jolie peinture : il a été fait pour être beau."
Agathe Mathiaut-Legros,conservatrice du musée Rolin d'Autun
Comment un musée de Bourgogne est-il entré en possession d'une telle œuvre ? L'histoire démarre, non pas aux Pays-Bas, mais en Belgique. "Nous avons été contactés par quelqu'un qui souhaitait, très généreusement, nous faire une donation", détaille la conservatrice. "On s'est donc déplacé à Bruxelles, pour étudier une vingtaine de peintures."
Sur place, six à huit tableaux semblent présenter un intérêt pour le musée d'Autun. L'un d'eux, long de deux mètres, représente le cycle d'Adam et Ève au paradis. Mais, plus que la peinture, c'est son dos qui s'avère remarquable : dessus, un sticker avec le nom "Goudstikker" est apposé.
"C'est un nom très connu dans le milieu, donc on a suivi la piste via diverses bases de données d'œuvres perdues pour remonter jusqu'aux ayants droit", précise Agathe Mathiaut-Legros. "Le donateur, lui, ne connaissait pas le passé de l'œuvre. Il a immédiatement accepté de la rendre, d'autant qu'il était déjà dans une démarche de donation."
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Le musée Rolin a récupéré le tableau en attendant de l'expédier aux États-Unis. Une situation inespérée pour les descendants du collectionneur spolié : "Ça a été très facile de récupérer cette peinture", souligne Amelia Keunig, leur avocate et conseillère. "Le premier contact a eu lieu en mai, et la restitution va déjà avoir lieu. C'est très rapide comme procédure. La famille est très reconnaissante que le musée ait pris cette initiative lui-même."
Les curieux auront tout de même la chance d'admier le tableau avant son départ outre-Atlantique. Mercredi 13 décembre, il sera en effet exposé à Autun. Une conférence aura également lieu dans la salle d'honneur de la mairie, à 18 heures.