Éprouvés par les cours à distance, et le manque de lien social, des étudiants ont prévu une manifestation le 25 janvier 2021 devant leur université, et d'autres actions. Une élève en Carrières sociales et un professeur nous expliquent les raisons de cette mobilisation.
Ce grand bâtiment cubique et vitrés, Tania Silvent ne l’a pas vu depuis quatre mois. Étudiante en deuxième année de Carrières Sociales, à l’IUT de Belfort-Montbéliard, son quotidien se résume désormais à des cours sur son ordinateur. Elle résume sobrement : « Je passe dix heures par jour devant un écran à ne voir personne. »
La jeune femme est retournée chez ses parents en Haute-Savoie, pour éviter la solitude du logement étudiant. Cette situation demeure difficile à gérer : « Mes collègues de promo se renferment, se sentent de plus en plus seuls ». Tania confie, à demi-mot, que quelques étudiants en détresse ont tenté de mettre fin à leurs jours, ou y sont parvenus. Elle lâche : « à 20 ans, on est censés voir des gens, on en a besoin. »
Solidarité et mobilisations
Ses camarades et elle ont décidé de tout faire pour en finir avec cette situation, à commencer par un groupe Facebook (Étudiants solidaires 90) où chacun peut faire part de ses difficultés. Un moyen de partager sa souffrance, comme un exutoire. Et une volonté aussi de se mobiliser pour pouvoir suivre les cours en présentiel. Une pétition a été créée et récolte déjà près de 400 signatures.
Lundi 25 janvier, ce collectif invite élèves et professeurs à ne pas se connecter aux cours en ligne, et à venir à l’IUT de Belfort (19 Avenue du Maréchal Juin, 90016 Belfort) dès 8 heures, aux côtés des premières années. Ces derniers ont obtenu le droit de revenir en cours un jour par semaine, après les annonces du Président de la République le 21 janvier dernier.
Cette action suivra un rassemblement prévu le dimanche 24 janvier à 15 heures, devant la préfecture de Belfort : un hommage aux étudiants en grande dépression, et à toutes celles et ceux qui se sont suicidés à cause de l'isolement.
Des directives nationales et non locales
Mickaël Fortier, enseignant à l’IUT de Belfort dans le DUT de Carrières sociales, dit se sentir « proche des problématiques abordées par ses étudiants ». Il l’affirme : « à titre personnel, et sans engager l’université, je soutiens la démarche. Je pense que toutes les strates de l’université sont enclavées dans tellement de contraintes que cela ne peut que passer par les étudiants. »
L’enseignant de 25 ans détaille les difficultés pour les professeurs à transmettre le savoir : « Sans réaction, ou interaction, on a aucun moyen de savoir si les élèves comprennent, si les compétences sont acquises. » Mickaël Fortier en veut au gouvernement qui donne « des directives nationales qui ne s’appliquent pas au niveau local ».
Dans une université avec plus de mille personnes, je peux comprendre les consignes. Mais, dans le département de carrières sociales de deux cents personnes, il y a d’autres manières de s’organiser pour recevoir les élèves tout en respectant le protocole sanitaire.
Oubliés, abandonnés
Le retour en présentiel pour les travaux pratiques de certaines filières demeure une injustice pour Mickaël Fortier. « Notre DUT n’est pas considéré comme un domaine technique. Alors ce serait une ‘formation professionnalisante du social mais à distance’. Pour les étudiants, la formation n’a aucun sens. » Sans demander un présentiel total, l’enseignant plaide pour une forme hybride, pour « ancrer la formation dans la réalité de ses élèves. »
« J’ai l’impression que mon diplôme perd de la valeur, car on nous a enlevés tout lien social, tous les aspects de groupe », s’écrie Tania Silvent. Dans son DUT, menant à des métiers d’assistants sociaux ou d’éducateurs spécialisés, de nombreux travaux collectifs ont été annulés. Et quand les projets se poursuivent à distance, Tania et ses collègues ressentent une très forte frustration : « Derrière un écran, c’est très compliqué. Cela demande une organisation, cela prend du temps, et beaucoup de travail personnel. On ne sort jamais de l’écran, alors que c’est normalement un temps où on va discuter, partager nos idées, se retrouver. » La jeune femme s’interroge : « On ouvre les centres commerciaux, mais pas les facs alors qu’on nous rabâche que les études sont importantes. On se sent oubliés, abandonnés. »
Un manque de cohérence
L’étudiante raconte ses craintes par rapport à l’avenir. Car les professions auxquels elles et ils aspirent sont dans l’humain, dans des associations et des maisons de retraite, par exemple. Ce qui complique la tâche pour Tania : « De nombreux établissements refusent nos demandes, en évoquant le protocole sanitaire, et le manque de place dans leurs locaux. »
Dans cette incertitude, Mickaël Fortier déplore le manque de cohérence de la part du gouvernement. « Si les étudiants se mobilisent et parviennent à avoir l’autorisation de revenir en cours, il faut que le processus d’ouverture des universités se produise réellement. On ne veut pas entendre : ‘venez en cours, mais dans une semaine, on reconfine’. »