Jeudi 21 mars 2024, plusieurs dizaines de salariés de la branche nucléaire de l'entreprise General Electric de Belfort, accompagnés d'élus locaux et de représentants politiques, ont manifesté devant la préfecture du Territoire de Belfort. Pourquoi ? Tous dénoncent la situation incertaine de leur entreprise depuis le rachat avorté par EDF, pourtant promis par Emmanuel Macron. Explications
Que cette scène semble loin. Petit flash-back. Nous sommes le 10 février 2022. Alors que les élections présidentielles approchent, Emmanuel Macron, qui n'est pas encore officiellement rentré en campagne, fait le déplacement à l'usine General Electric de Belfort (Territoire de Belfort).
Au pied de la turbine Arabelle, la plus puissante au monde, le chef de l'État annonce alors en grande pompe "la renaissance du nucléaire français". Celle-ci passera, selon ses termes, par la construction de nouvelles centrales dans l'Hexagone et par le rachat de la branche nucléaire Steam Power de General Electric (GE), structure américaine, par l'entreprise française EDF. Une intention louable, afin de garantir l'indépendance et la souveraineté énergétique du pays.
Deux ans dans le flou
Pourtant, ce 21 mars 2024, rien n'a changé. Alors qu'Emmanuel Macron rappelle l'importance d'un "nucléaire français et européen" lors du sommet sur l'énergie nucléaire de Bruxelles, à Belfort, EDF n'est toujours pas propriétaire. Comme un symbole, c'est également ce 21 mars que plusieurs dizaines de salariés du site, de syndicalistes, d'élus locaux et de militants politiques ont choisi de manifester devant les grilles de la préfecture pour faire part de leur mécontentement et de leur inquiétude.
Depuis plus de deux ans, on est plongé dans le flou. L'euphorie a laissé place aux doutes. Nous sommes là aujourd'hui pour que l'État tienne ses promesses et concrétise une vente attendue par tous. Chaque jour de retard nous fragilise encore un peu plus.
Laurent Santoire,délégué centrale CGT au CSE de l'entité nucléaire de GE
Mais que s'est-il passé ? Pourquoi cette cession annoncée n'est pas encore effective ? "Ce sont les USA qui bloquent tout" dénonce Damien Meslot, maire LR de Belfort et présent à la manifestation, au micro de notre journaliste Rémy Poirot. "Le rachat par EDF devait être officiellement signé le 1er décembre 2023 et au dernier moment, cela a capoté. Ce n'est plus possible, il faut que l'État mette la pression sur les Américains". La raison : un jeu politique, dans laquelle l'usine s'est retrouvée engluée malgré elle.
Soucis d'approvisionnements et client russe
Selon plusieurs sources internes à l'entreprise, les négociations seraient compliquées au niveau de l'approvisionnement en composants nécessaires à la bonne marche de l'usine. "Certains composants sont produits par des entreprises américaines, donc on les avait facilement" estime Laurent Santoire. "Mais si EDF reprend, elle devra les importer des USA. Y avoir accès sera donc moins facile et plus coûteux, or, nous en avons besoin. L'État essaye donc de garantir le futur accès à ces composants, pour que nous puissions toujours honorer nos commandes. Et ça traîne".
Autre problème, l'entreprise russe Rosatom, un des principaux clients de l'usine belfortaine. "C'est même le client numéro 1" précise Damien Meslot. "Ce qui fait tiquer les Américains". Dans un contexte de guerre en Ukraine, les USA ne voudraient donc pas perdre un droit de regard sur les échanges avec la structure russe, qui échappe encore aux sanctions internationales. "C'est un peu hypocrite, car les entreprises nucléaires américaines continuent, elles, de travailler pendant que nous on ne sait pas si on sera en mesure d'honorer nos contrats" reprend Laurent Santoire.
Des risques industriels pour l'entreprise belfortaine
Car oui, en bout de chaîne, c'est l'entreprise belfortaine qui a pâti de cette situation. "Notre matériel date de 2015" continue Laurent Santoire. "Il n'y a plus d'investissements ! Les Américains n'ont aucun intérêt à en faire, ils ne sont plus là sur le long terme". Conséquence : un site industriel, fleuron du nucléaire français, qui dépérit tant en moyens techniques qu'humains.
Les mois passent, et les salariés constatent la casse de l'outil industriel à travers l'absence d'investissement dans les équipements, la démission des talents entraînant la perte de savoir-faire, l'absence de politique RH avec pour effet le recours de plus en plus important aux intérimaires, etc.
Communiqué des élus locaux,adressé au ministère de l'économie et des finances
Devant des négociations qui s'enlisent, et qui concernent plus de 1 300 travailleurs à Belfort, les élus locaux ont rejoint la contestation. Le 28 février 2024, Ian Boucard, député du Territoire de Belfort, Damien Meslot, maire de Belfort, Florian Bouquet, président du conseil départemental et Cédric Perrin, sénateur du département, ont cosigné un courrier envoyé au ministère de l'Économie et des finances, demandant à être informé de l'état d'avancement du dossier.
"Cette situation nous inquiète particulièrement car elle rend les objectifs de souveraineté [...] impossibles à atteindre" peut-on y lire. "Le blocage de la cession est source de dégradation du site de Belfort, impacte les relations commerciales de l'entité et fait perdre des parts de marché à la future entreprise".
"On veut juste que la situation se clarifie"
Quelle réponse à ce message ? "Comme d'habitude, on nous dit que l'État travaille, qu'il faut avoir confiance, que les discussions diplomatiques sont compliquées" reprend Laurent Santoire, délégué CGT. "Mais nous, on veut juste que la situation se clarifie, avoir une feuille de route, avec ou sans les Américains, pour que tous les travailleurs puissent reprendre confiance en l'avenir".
À l'heure actuelle, même après la cession avortée de décembre dernier, les ateliers continuent de tourner et le nombre de départs reste léger. Mais si ces incertitudes venaient à durer, les salariés craignent un vrai impact sur leur production dans les semaines à venir.
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De leur côté, les élus locaux, par la voix de Damien Meslot, ont indiqué à France 3 Franche-Comté que "des initiatives seraient bientôt prises pour débloquer la situation". Pour, enfin et avec plus de deux ans de retard, commencer la "renaissance du nucléaire français" ?