Depuis le 23 janvier 2024, la réserve sanitaire nationale a été déployée aux urgences de l'Hôpital Nord Franche-Comté, à Trévenans (Territoire de Belfort) pour aider le personnel, engoncé dans une situation "insoutenable". Plusieurs infirmières de ce service racontent des conditions de travail "dramatiques".
Lundi 22 janvier 2024, nous vous parlions de la situation "insoutenable" dans laquelle étaient plongées les urgences de l'hôpital Nord Franche-Comté (HNFC), à Trévenans (Territoire de Belfort). Sous tension depuis plusieurs mois, le week-end des 20 et 21 janvier a été "dramatique".
La CGT a ainsi publié un communiqué alarmant, imitée quelques minutes plus tard par la direction qui a annoncé l'arrivée de renforts issus de la réserve sanitaire nationale, et l'activation de quinze lits de médecine supplémentaires pour les six jours à venir.
Derrière ces lignes dénonciatrices et ces annonces provisoires, des femmes et des hommes, infirmiers et infirmières, aides-soignants et aides-soignantes, en grande souffrance. France 3 Franche-Comté a pu recueillir le témoignage de trois d'entre eux. Stéphanie Cautier est infirmière dans ce service, et déléguée CGT. Pour décrire la situation, elle n'hésite pas à employer l'adjectif "dramatique" au micro de nos journalistes Sarah Francesconi et Fabienne Le Moing.
C'est une situation sanitaire censée être exceptionnelle, mais qui chez nous est courante. Ça fait des mois qu'on a des pics d'activités insoutenables. On est à bout, on ne voit pas d'issue. On se sent dépassés, débordés, et les agents craquent de plus en plus.
Stéphanie Cautier,infirmière aux urgences de l'hôpital Nord Franche-Comté et déléguée CGT
À bout, comme cette source travaillant, elle aussi, aux urgences de Trévenans, et qui a souhaité rester anonyme par peur des réactions de sa direction. Nous l'appellerons Fernand. "Tous les matins, j'ai mal au ventre à l'idée d'aller travailler" confesse Fernand. "C'est toujours la même galère. C'est tendu toute la semaine, mais les week-ends, c'est inimaginable. Là, on avait des dizaines de personnes installées, par manque de lits, sur des brancards à même les couloirs. Et l'attente... En moyenne, c'était 50-60 heures. Le pire, c'était il y a huit jours, où un patient a attendu 79h, plus de trois jours, avant un retour à domicile".
De nombreux problèmes de logistique
"C'est simple, on n'a que 4 ou 5 lits disponibles les week-ends, car certains services de l'hôpital sont fermés faute de personnel" reprend Fernand. "Donc on se retrouve à devoir choisir les patients les plus vieux, ou en danger. C'est le retour de la sélection, comme au tant du Covid. En tant que soignant, c'est un crève-cœur".
Un engorgement qui entraîne, en plus des lits, de nombreux problèmes de logistiques. "On manque de matériel" reprend Stéphanie Cautier. "On entasse les patients dans les couloirs, sur des brancards, car on n'a pas assez de lits. Mais il y a aussi le problème des draps, et de la nourriture. Il nous en faut plus !"
Un cri d'alerte évident, au vu des enjeux de santé. "Vous imaginez, un patient sur un brancard, au fond d'un couloir ?" s'interroge Dusica Stamenkovic, infirmière aux urgences de l'HNFC et elle aussi déléguée CGT. "Ça peut être dangereux, car on ne peut pas les surveiller. On n'a pas de visuel direct sur eux, donc c'est compliqué de percevoir la dégradation de leur état général. Ils n'ont pas de sonnette. On s'en veut de ne rien pouvoir faire". Pour l'instant, aucun drame n'est à signaler.
Ces difficultés s'expliqueraient, en plus de l'afflux de patients, par les effectifs du personnel, de plus en plus réduits. "C'est un cercle vicieux" évoque Fernand. "En septembre, six collègues sont partis à cause des conditions de travail. Ils n'ont pas tous été remplacés. On se retrouve donc en sous-effectif, avec une charge de travail plus conséquente, ce qui décourage encore plus les soignants qui restent". Beaucoup partent en Suisse, où le salaire et le cadre de travail sont meilleurs. Jusqu'à détériorer les services proposés à Trévenans.
On ne peut pas prendre le temps avec les patients. On court sans arrêt. Les patients nous crient qu'ils ont faim ou soif, mais on ne peut pas toujours accéder à leurs demandes. C'est horrible.
Fernand,employé aux urgences de l'hôpital de Trévenans
"Et la pudeur !" rebondit Fernand. "On se retrouve à installer des paravents pour changer les personnes, ou pour qu'ils fassent leur besoin. Avec le nombre, impossible d'avoir un peu d'intimité. C'est triste, mais on ne peut pas assurer le respect du patient".
Des situations qui provoquent de la tension chez certains patients. Et la colère retombe souvent sur le personnel, avec des conséquences. "On est dépité, découragé, malmené" estime Stéphanie Cautier. "Les malades nous font des reproches, à juste titre. Ils ne comprennent pas. Cela nous atteint dans nos compétences et nos qualités de soignants professionnels. Ça fait mal".
Fernand l'avoue, même s'il s'accroche, ce climat commence à lui peser sur les épaules. "On reçoit des insultes tous les jours. Mais je continue à aller au boulot. Je garde le sourire, je me dis qu'il faut que je donne le maximum pour les patients" explique-t-il. "Mais parfois, je me dis : "est-ce que je me mets en arrêt ?" Car à force, on remet notre santé en jeu. Se faire injurier tous les jours, ça use".
Une fatigue mentale, à laquelle s'ajoute une fatigue physique. "La situation est dangereuse pour nous. On fait des grosses journées, de 7 à 19 h" lâche Dusica Stamenkovic. "Et certains rajoutent des heures supplémentaires pour boucler les fins de mois. On ne voit plus le bout du tunnel. Et nous, les urgences, ne sommes qu'un exemple de la crise qui touche l'hôpital public. Tous les services, derrière, galèrent également".
Dans son malheur, le personnel des urgences du HNFC pourra compter sur l'aide de la réserve sanitaire nationale. Une soutien indispensable, mais qui n'est que provisoire. Passé le 30 janvier, les urgences de Trévenans retrouveront un fonctionnement insoutenable, et les travailleurs devront tenir. Jusqu'à quand ?