Un vin au goût unique, qui ne laisse pas indifférent. Un trésor du Jura, qui reste mystérieux. Vient-il de Hongrie, d'Espagne ou d'ailleurs ? Un tonneau oublié est-il à l'origine de la technique de vieillisement ? Entre légendes et réalités, voici l'histoire du vin jaune.
Attention à la première gorgée de vin jaune ! Si vous n'avez jamais goûté à ce vin du Jura, attendez-vous à un choc. Les Jurassiens affirment qu'il est un des plus grands vins au monde... Est-ce une manière d'affirmer que tout le monde n'est pas apte à le comprendre et à l'apprécier ?
La première impression marque à vie. Il n'est pas facile à déguster, il n'a pas de sucre résiduel, il y a ce côté fort au nez, et il est resté dans le tonneau pendant des années, c'est donc un vin concentré,
comme le confirme Arnaud Van Der Voorde, le directeur de la Maison du vigneron, à Crançot, dans le Jura.
Le choc est aussi visuel. Dans le chai de la Maison du vigneron, le futur vin jaune n’a pas bonne mine. A sa surface flotte quelque chose d'assez répugnant : de la moisissure ! Pourtant, vous avez sous les yeux le véritable secret du vin jaune :
"Ce n'est pas destiné à être mangé ! C'est un voile de levures qui se développe naturellement et qui le protège d'une oxydation non maîtrisée", précise Fabrice Melet, le responsable viticole, "c'est vraiment une couverture au-dessus du vin, on a un échange très lent, très doux entre l'air et le vin, ce qui provoque la naissance de ce goût typique du vin jaune, avec des arômes de noix et de curry".
Pour le vieillissement du vin jaune, les Jurassiens ont développé l'art de laisser faire le temps et la nature. Presqu'un truc de paresseux ! D'habitude, dans les autres régions, on rajoute du vin dans le tonneau, pour compenser l'évaporation naturelle et éviter qu'il y ait de l'air dedans. Parce que l'air risque de détériorer le vin. Dans le Jura, c'est tout le contraire : on ne rajoute pas de vin au tonneau pendant les 6 années de vieillissement.
Le vin jaune, fruit du hasard ?
Qui a inventé cette technique du vieillissement sous voile ? Impossible de le savoir précisément. Faute de trace historique, place à la légende. La voici : le vin jaune est un enfant de la guerre, qui a si souvent ensanglanté la Franche-Comté au cours de son histoire. Pendant ces périodes troublées, dans une abbaye, un tonneau plein a été oublié. Un voile de levures s'est propagé à la surface du vin, qui s'était en partie évaporé. Un vin banal est devenu un nectar. Quand le hasard devient une technique miraculeuse...
Cette légende, Christian Vuillaume n'y croit guère. Maire de Château-Chalon, dans le Jura, grand amateur de vin jaune et d'histoire, il tient pourtant à ce que la légende reste vivante :
Pendant la guerre, on a oublié des vins en tonneaux, et ça se serait transformé en vin acceptable ? C’est des belles histoires, mais il ne faut pas les gommer, si ça fait plaisir !
Le savagnin et son cousin alsacien
Les légendes sont nombreuses aussi pour raconter les origines du savagnin, le cépage unique du vin jaune. Des religieuses venues de Hongrie, rejoindre l'abbaye de Château-Chalon, auraient apporté avec elles des pieds de vigne de leur pays. Le savagnin pourrait aussi être un emprunt aux Espagnols, du temps de l'empire de Charles Quint.
Ces légendes sont aujourd'hui balayées par les découvertes scientifiques, comme le précise Christian Vuillaume. Les Jurassiens et les Alsaciens cultivent un cépage qui a des ancètres communs : "Grâce à l'analyse ADN, on sait aujourd'hui que le savagnin est un cousin germain du "Traminer", on est dans la même famille, même si on a développé d'autres atouts".
La légende du vin jaune et la légende Louis Pasteur
Le vin jaune a peut-être aidé à construire une autre légende, celle de Louis Pasteur. Le Jurassien, né à Arbois, avait étudié les différentes formes de fermentation et découvert qu'elles étaient liées à la présence d’éléments vivants, les "microbes".
Tout serait parti d'une visite de Louis Pasteur à des vignerons d'Arbois : "Pasteur découvre que le vin est recouvert d'un voile, et quand il le goûte, il est étonné, il ne comprend pas que ce vin ne soit pas du vinaigre. C'est là qu'il va commencer à s'intéresser à ces fameuses levures qui protègent le vin de la piqûre", raconte Christian Vuillaume.
Un vin qui reste malgré tout mystérieux
La magie et le mystère du vin jaune auraient donc disparu à cause des avancées scientfiques ? Non, car le bougre cache encore son jeu !En effet, le vieillissement "sous voile de levures", pendant plusieurs années, est très risqué. Des millésimes pouvaient comporter jusqu'à 70 % de perte. Il fallait du courage, ou une foi inébranlable, aux vignerons pour supporter que leur vin se transforme en un vinaigre imbuvable.
Aujourd'hui, des laboratoires permettent de bien contrôler le bon développement des arômes. En cas de problème, le vieillissement est interrompu. Le vin, fabriqué à partir du cépage savagnin, est alors commercialisé sous l'appellation côtes-du-Jura.
Les pertes sont donc limitées. Pourtant, impossible de savoir pourquoi la transformation échoue parfois ! Pas de quoi décourager les Jurassiens, au contraire : "Le vin jaune est passionnant, on ne connaît pas tout, il y a encore des choses à découvrir, contrairement aux autres vins dont les techniques sont bien fixées depuis des générations" explique Arnaud Van der Voorde.
Un vin élevé à la dure
Finalement, le vin jaune ne fait rien commes les autres vins. Un dernière exemple : la température des caves. Partout, les vignerons savent qu'il faut une température constante dans le chai, tout au long de l'année. Pas pour le vin jaune. Lui a besoin de subir des écarts de températures, au ryhtme des saisons. Jusqu'à une quinzaine de degrés de variation. Traditionnellement, certains vignerons le faisiaient même vieillir dans leur grenier, sous les toits. Un vin élevé à la dure : pas étonnant que le vin jaune ait un tel caractère !Enfin, depuis 1997, ce vin est au centre d'un rendez-vous festif majeur du Jura : la percée du vin jaune.
La grande fête viticole se déroule le premier weekend de février et attire plus de 60 000 visiteurs.
Le vin jaune à table
A table aussi, le vin jaune ne laisse pas indifférent. Les amateurs disent qu'il se suffit à lui-même, comme s'il n'était pas une boisson, mais un aliment. Arnaud Van der Voorde est de cet avis : "Il a tellement de goût, presque de la mache, il a du corps, il est concentré, il y a une notion tactile, plus qu’un liquide simple, je l’aime beaucoup avec du comté de 12 mois ou plus vieux"Depuis quelques années, des chefs découvrent que les plats épicés de la cuisine asiatique se marient bien avec le vin jaune. Mais peut-on vraiment rivaliser avec les recettes de volailles, de saucisses de Morteau ou de morilles au vin jaune ? A vous de goûter une de ces deux recettes traditionnelles :