Suite à la conférence nationale des procureurs, ces derniers poussent un coup de gueule. Face à l’afflux d’affaires de violences conjugales et les féminicides dans plusieurs régions, ils réclament des moyens pour faire face à l’avalanche de dossiers.
La parole se libère. Les dénonciations aussi. Les plaintes pour violences conjugales sont en hausse dans les commissariats. Si Etienne Manteaux, procureur de la République de Besançon, se félicite que notre société lève plus facilement le silence sur le sort des femmes victimes de leurs conjoints, derrière, la justice semble avoir du mal à traiter les dossiers. “Il y a 400 procédures en ce moment au seul commissariat de Besançon, c’est 20% de plus par an, et tous les ans” précise-t-il. “On est submergés, on va voir une avalanche de dossiers arriver qu’on ne sera pas en capacité de traiter, on ne pourra pas renvoyer tout le monde devant la justice” estime Etienne Manteaux.
Dans un communiqué commun, les procureurs de Franche-Comté écrivent leur inquiétude
Etienne Manteaux, procureur de la République de Besançon, Emmanuel Dupic, procureur de la République de Haute-Saône, Ariane Combarel, procureur de Montbéliard, Lionel Pascal, procureur du Jura et Eric Plantier, procureur du Territoire de Belfort réclament des personnels en plus pour traiter les dossiers de violences conjugales : “Nous avons reçu pas moins de 10 circulaires de politique pénale dans ce domaine depuis le début de l’année 2021, toutes parfaitement légitimes dans leurs objectifs, mais qui reposent pour l’essentiel sur les parquets. Pour les mettre en oeuvre, et ainsi renforcer nos actions dans ce domaine qui constitue un enjeu essentiel, il nous faut des moyens supplémentaires. Or, l’exemple de la justice de proximité en matière pénale est particulièrement parlant : les parquets ont été dotés de moyens fléchés, qui ont été immédiatement mis à profit pour développer de manière innovante de nouvelles actions dans le domaine de la lutte contre la petite délinquance. Il faut faire la même chose en matière de lutte contre les violences conjugales, en dotant chaque parquet d’assistant spécialisé ou de juriste assistant dédié spécifiquement à cette grande cause nationale.”
Pour le procureur de la République de Besançon, il faudrait un juriste assistant en plus. “À court terme, sans moye, en plus pour nous aider à éplucher les dossiers, cela va être compliqué de répondre aux dossiers dans les temps”. Selon Etienne Manteaux, le traitement judiciaire des violences conjugales a progressé en qualité, mais il est plus chronophage qu’avant, du fait d’étapes à respecter, de dispositifs nouveaux comme Altérité, ces logements qui hébergent les conjoints violents sur Besançon.
Une hausse des dossiers de violences conjugales en Bourgogne
Le mouvement de colère des parquets touche aussi la Bourgogne. Le procureur de la République de Dijon, Eric Mathais, rappelle dans un communiqué qu’“à Dijon, le contentieux des violences conjugales a connu une augmentation en 2020, puisque le nombre de dossiers enregistrés de faits commis entre conjoints ou ex-conjoints au sens large et comprenant les infractions liées à la relation “conjugale” (violences, menaces, harcèlement, violences sexuelles) est de 829 contre 623 en 2019. Cette tendance se poursuit en 2021.” Là aussi, le parquet demande des moyens supplémentaires.
La France dépense moins que les autres pays européens pour sa justice
“Rappelons que selon la Commission Européenne Pour l’Efficacité de la Justice (CEPEJ), les procureurs français sont à la fois quasi les moins nombreux des 47 pays du Conseil de l’Europe en proportion de la population, mais ceux qui traitent le plus de procédures et ont le plus de missions différentes. Les espagnols, les allemands, les belges, les italiens, les portugais, disposent de 2 à 4 procureurs, là où nous n’en avons qu’un seul, n’y a-t-il pas une bonne raison ? La France consacre à son système judiciaire 70 euros par habitant soit 0,20% du PIB. En deçà de la moyenne européenne (0,33%) et très en deçà de celles des 11 pays ayant un PIB par habitant équivalent au sien (84 euros), alors que ses voisins comme l’Allemagne y consacrent 131 euros, l’Espagne 92 euros, l’Italie 83 euros ou la Grande-Bretagne, 76 euros” précise le procureur de la République de Dijon.
“Ce qui nous inquiète aujourd’hui, c’est qu’il faut un responsable pour tout”
Au-delà des moyens, les procureurs et les personnels judiciaires ne veulent pas être pointés du doigt. Médiatisés, les récents décès de femmes victimes de violences conjugales, ont permis d’établir que ces femmes avaient déposé plainte.
Une série noire dans le Grand-Est a relancé le débat sur le suivi judiciaire des conjoints violents. Jeudi après-midi, un homme de 48 ans a tenté de tuer sa compagne en pleine rue à Metz avant de se tirer une balle dans la tête au terme d'un "déchaînement de violence", selon le parquet. Il est désormais en état de mort cérébrale et sa victime gravement blessée. Le même jour, à Colmar, un homme de 51 ans a tué son ex-compagne en la poussant par une fenêtre du huitième étage d'un immeuble. Et à Hayange (Moselle), le 24 mai, un homme de 23 ans a poignardé à mort sa compagne en pleine rue. À chaque fois, les victimes étaient soumises de longue date à la violence de leur compagnon : des plaintes avaient été déposées, certains avaient même été condamnés pour ces faits.
Les procédures sont parfois longues, complexes. Le travail des policiers et de la justice est souvent critiqué quand survient un féminicide. Etienne Manteaux procureur de la République en est conscient. “Mais cette société qui souhaite un risque zéro, c’est un objectif inatteignable, s’il l’était, ce serait au prix de l’abandon d’un grand nombre de libertés” ajoute le Procureur. Tous les signalements ne mènent pas le conjoint violent vers un procès. “Le doute bénéficie toujours à l’accusé” rappelle Etienne Manteaux. Et certains décès de femmes sont imprévisibles, sans que le conjoint ait fait parler de lui avant, comme en témoigne l’affaire Alexia Daval.
Depuis le début de l’année 2021, selon le collectif "Féminicides par compagnons ou ex", 49 féminicides ont déjà été recensés. En 2020, le ministère de l'Intérieur en avait décompté 90, contre 146 l'année précédente.