La conspiration du silence – saison 3 : "On aurait pu éviter plusieurs crimes". Retour sur l’itinéraire meurtrier de Michel Fourniret dans l’Yonne

Les deux premières saisons de "La conspiration du silence" ont mis en lumière le mépris et les dysfonctionnements judiciaires qui ont permis à Émile Louis de sévir en toute impunité dans l’Yonne pendant des années. La saison 3 s’intéresse notamment à Michel Fourniret et Monique Olivier, qui ont avoué les meurtres de trois jeunes filles dans ce département, des crimes longtemps impunis qui ont contribué à l’affaire des disparues de l’Yonne.

Entre 1977 et 2000, le département de l’Yonne est secoué par une série de crimes et de disparitions qui en ont fait une des affaires les plus connues de France, celle des disparues de l’Yonne. De redoutables prédateurs sexuels comme Émile Louis ou encore les époux Dunand ont prospéré dans le département grâce à une justice dysfonctionnelle. Parmi ces assassins, le couple Michel Fourniret et Monique Olivier a fait trois victimes, elles aussi, passées sous silence pendant des années.

Les deux premiers épisodes de la saison 3 de "La conspiration du silence", réalisée par Thierry Fournet et Vincent Hérissé, reviennent en détails sur l’itinéraire meurtrier du couple Fourniret-Olivier et les dysfonctionnements de la justice de l’époque.

Le parcours meurtrier de Michel Fourniret dans l’Yonne

C’est en octobre 1987 que le couple Fourniret-Olivier s’installe dans une petite maison de famille située à Saint-Cyr-les-Colons, dans l’Yonne.
Michel Fourniret vient de sortir de la prison de Fleury-Mérogis où il purgeait une peine pour agressions et viols sur mineurs.

Il faut rappeler que Fourniret, qui a été libéré sous conditionnelle, a donné comme adresse Saint-Cyr-les-Colons, et qu’il est censé être suivi par un juge d’application des peines.

Didier Seban, avocat à la Cour

À peine deux mois plus tard, le 11 décembre 1987, Isabelle Laville, une jeune fille de 17 ans, disparait à la sortie de son lycée sur le chemin qui la ramène à son domicile situé à deux kilomètres. La gendarmerie intervient rapidement et cherche la jeune fille dans le périmètre dans lequel elle a disparu.

Au moment de cette disparition, Michel Fourniret est sous le contrôle d’un juge d’application des peines, pourtant "personne n’a l’imagination de se dire qu’il y a un type qui a été condamné pour une série de viols et qui est arrivé dans l’Yonne, qu’on va peut-être mettre en rapport les deux phénomènes" confie Alain Hamon, journaliste.
Le dossier d’Isabelle Laville est classé sans suite au bout d’un mois par le procureur d’Auxerre.
Le corps d’Isabelle ne sera retrouvé que le 11 juillet 2006, dans un puits désaffecté à Bussy-en-Othe, sur les indications du tueur en série.

La deuxième victime du couple infernal est Marie-Angèle Domèce.

La jeune fille, âgée de 18 ans, disparait le 8 juillet 1988, soit quelques mois après Isabelle Laville. C’est à la sortie de son foyer que Marie-Angèle est abordée par le couple, puis enlevée.
La jeune fille va connaitre le même sort qu’Isabelle Laville, elle est violée et tuée par Michel Fourniret tandis que Monique Olivier fait le guet. Le couple la ramènera à leur domicile avant de dissimuler son corps à la nuit tombée. La jeune fille ne sera jamais retrouvée malgré de nombreuses recherches organisées entre 2018 et 2019 suite aux aveux de Michel Fourniret.

Joanna Parrish, une jeune Britannique âgée de 20 ans, est la troisième victime de Michel Fourniret.

À cette époque, la jeune femme occupe le poste de lectrice d’anglais au lycée Jacques Amyot d’Auxerre.
Le 16 mai 1990, à la suite d’une demande pour un cours particulier d’anglais, la jeune femme monte volontairement dans le véhicule du couple, rassurée par la présence de Monique.
Elle est violée et étranglée à l’arrière de ce véhicule par Fourniret tandis que Monique reste impassible aux horreurs qui se passent juste derrière elle.

Elle a une jeune fille qui se fait violer et tuer derrière elle et elle n’a aucune autre réaction que d’attendre que cela se passe.

Didier Seban, avocat à la Cour

Le corps de Joanna est immédiatement jeté dans la rivière et retrouvé le lendemain sur les bords de l'Yonne, à l'écluse de Monéteau.

Un scenario identique pour chaque enlèvement

Michel Fourniret, obsédé par les jeunes filles vierges, décide, avec la complicité de Monique Olivier, d’enlever des adolescentes avec un physique correspondant à celui de Monique lorsqu’elle avait 20 ans, afin de "rejouer" la scène de défloration de celle-ci.

Le couple opère toujours de la même façon pour trouver leurs proies, ils les repèrent soigneusement avant de les aborder.
La présence rassurante de Monique dans le véhicule est un élément déterminant dans le déroulé de ces enlèvements.

C’est facile de repérer des jeunes filles qui rentrent toujours à la même heure et toujours sur la même route…

Corinne Herrmann, avocate spécialiste des cold cases

Isabelle Laville est enlevée à la sortie de son lycée. Monique Olivier, au volant de sa voiture, lui demande son chemin et fait monter la jeune adolescente à l’avant. Un scenario parfaitement huilé et cohérent. 
"Elle ne se méfie pas Isabelle Laville, puisque c’est une femme qui conduit." indique Alain Behr, avocat de la famille Laville depuis 2001.
Michel Fourniret est un peu plus loin, un bidon d’essence à la main. C’est tout naturellement que la voiture s’arrête à sa hauteur pour le "dépanner". Le piège se referme alors sur la jeune fille qui est emmenée dans la maison du couple à Saint-Cyr-les-Colons où elle est violée puis étranglée par Michel Fourniret, avec la complicité de Monique Olivier.

Le crime d’Isabelle est le premier crime commis par Monique Olivier et Michel Fourniret. J’appelle ça un sacrifice humain, le crime initiatique, c’est ce qui va les lier dans cette espèce de mariage diabolique.

Alain Behr, avocat de la famille Laville depuis 2001

Le scenario se répète pour l’enlèvement de Marie-Angèle Domèce, le 8 juillet 1988, lorsqu’elle sort de son foyer pour aller prendre un train. 
"Il connait les horaires, il a repéré à quel moment Marie-Angèle va prendre le train, à quelle heure elle sort du foyer… il connait sa vie, c’est ce qu’il fait avec toutes ses victimes", précise Didier Seban. Un scénario confirmé par les aveux de Monique Olivier en février 2005 "Il savait que ma présence allait rassurer la jeune fille. Il avait cette jeune fille en tête, comme une obsession."

C’est toujours en toute confiance, grâce à la présence féminine de Monique Olivier, que Joanna Parrish rejoint le couple dans leur véhicule.  La jeune Britannique subit les mêmes atrocités que les deux autres jeunes filles, toujours sous le regard impassible de Monique Olivier.

"Cette justice, sur ces criminels en série, c’est un désastre sans nom" — Corinne Herrmann

Michel Fourniret est arrêté le 26 juin 2003 à Sart-Custine, en Belgique, suite à l’enlèvement manqué d’une fillette.

Cette arrestation a des répercussions jusque dans l’Yonne, car c’est pendant son incarcération que sa femme Monique Olivier livre les noms de quelques victimes, dont celui d’Isabelle Laville, disparue en décembre 1987 près d’Auxerre. Un dossier fermé par le parquet d’Auxerre au bout de quelques semaines, le 14 janvier 1988.

Ce dossier va être classé encore plus vite que ceux des disparues de l’Yonne, il n’y a quasiment pas d’enquête de faite, elle est abandonnée comme les autres.

Corinne Herrmann, avocate spécialiste des cold cases

Un classement sans suite, ordonné par André Ride, procureur à Auxerre à cette époque.

Le classement de ce dossier, parmi de nombreux autres classés sans suite par le Parquet d’Auxerre, est incompréhensible pour Philippe Boularan, ancien commissaire du service régional de police judiciaire, qui estime qu’à l’époque, ils avaient des éléments pour poursuivre leurs investigations.

Un classement dont les parents d’Isabelle Laville n’auront même pas connaissance.
"C’est là que ça devient intolérable sur le plan moral pour les parents qui ne se sont jamais remis d’avoir été abandonnés par la justice, mais aussi parce qu’à ce moment-là, on aurait pu les identifier" ajoute Alain Behr, avocat de la famille Laville depuis 2001.

Dans l’affaire Marie-Angèle Domèce, classée également peu de temps après sa disparition par le procureur d’Auxerre, l’entourage et les proches de la disparue n’ont été auditionnés qu’en 2016, lors de la reprise des investigations sur la demande de la juge Sabine Khéris.
Une camarade de la jeune disparue se souvient très précisément qu’à l’époque, elle et ses camarades avaient vu un homme tourner autour du foyer dans lequel elles étaient hébergées. C’est en 2004, devant son poste de télévision, qu’elle identifiera Fourniret comme étant ce rôdeur étrange.

L’absence d’audition de ces jeunes filles à l’époque apparait parfaitement criminelle. Ce sont des fautes qui vont se compter en vies humaines.

Didier Seban, avocat à la Cour

Le 28 mars 2008, le couple est jugé à la cour d’assise de Charleville-Mézières pour 7 meurtres dont celui d’Isabelle Laville.
Michel Fourniret est condamné à la prison à perpétuité incompressible, Monique à la même peine avec une période de sureté de 28 ans.

Les dossiers de Marie-Angèle Domèce et de Joanna Parrish (dont Monique Olivier a avoué les crimes) quant à eux, ne sont pas jugés à ce moment.

Une décision du procureur de la république de Charleville-Mézières Francis Nachbar, qui, à cette époque, est accusé par Monique Olivier de l’avoir frappée. Une aberration selon Corrinne Herrmann "On a mis ces deux dossiers de côté, ce qui a occasionné 15 ans d’attente de plus pour les familles."
Pour Didier Seban, les familles de ces victimes ont tout simplement été abandonnées par la justice "le tueur en série est en prison, pourquoi se fatiguer à donner des réponses aux familles ?"

Selon Corinne Herrmann, les affaires d’Isabelle Laville et de Marie-Angèle Domèce étaient deux pistes incontournables pour que la justice arrête le parcours de ces criminels.

Si on avait arrêté Fourniret à l’époque, il n’aurait pas commis sa série de crimes.

Didier Seban, avocat à la Cour

Les dysfonctionnements de la justice ont permis à Michel Fourniret de continuer à tuer pendant des années.

Il est mort sans être jugé pour les affaires de Joanna Parrish, Marie-Angèle Domèce et Estelle Mouzin. Ces errements judiciaires ont été un tel scandale que cela a abouti à la création du pôle des affaires non élucidées de Nanterre.

Autre sujet évoqué dans la saison 3 de la conspiration du silence : le pédophile de Venouse.
Pendant plus de 40 ans (de 1960 à 2002), Michel Garnier a réussi à maintenir une chape de silence sur ses activités pédophiles sur les jeunes garçons de son paisible petit village de l’Yonne. Et là encore, l'inertie de la police et de la justice ont sévi. Enquêtes bâclées, victimes méprisées, les mécanismes à l’œuvre dans l’affaire des disparues de l’Yonne se sont reproduits.

Cette dernière saison de la conspiration du silence va plonger une dernière fois dans les secrets d’un département qui souffre encore aujourd’hui d’une histoire criminelle invraisemblable.

"La conspiration du silence" - Saison 3, une série écrite et réalisée par Vincent Hérissé et Thierry Fournet
Coproduction :  AMDA Production / France 3 Bourgogne-Franche-Comté

Diffusion dimanche 17 novembre à 21h05 sur France 3 Bourgogne-Franche-Comté et déjà disponible sur la plateforme france.tv