INTERVIEW. Disparues de l'Yonne : "La Conspiration du silence", quand la série documentaire fait avancer l'enquête

Le mystère qui plane autour des disparues de l'Yonne et des tueurs Michel Fourniret et Emile Louis provoque fascination et invraisemblance. Séries de meurtres, corps introuvables, dossiers classés... Les réalisateurs de la 3e saison de "La Conspiration du silence", diffusée ce dimanche 17 novembre sur France 3, analysent l'impact de leur série, qui a levé le voile sur un tabou vieux de 40 ans.

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Quand l'enquête tâtonne, le documentaire prend le relais. Depuis 2022, la série documentaire La Conspiration du silence se donne pour objectif de raconter les heures sombres de l'Yonne lorsque, dans les années 1980-90, plusieurs séries de meurtres frappent le département. Les enquêtes sont hésitantes, difficiles et finalement classées sans suite quelques semaines après leur ouverture. Des errances judiciaires, ubuesques dans l'ensemble, qui ont permis à des tueurs en série allant de Michel Fourniret à Emile Louis, d'œuvrer à couvert pendant plusieurs décennies.

Dans une 3e saison, les réalisateurs Thierry Fournet et Vincent Hérissé ont d'ailleurs choisi de revenir sur l'histoire du couple Fourniret-Olivier, monstres de l'Yonne et des Ardennes tristement célèbres pour l'assassinat et le viol de jeunes femmes à partir de 1987. Une nouvelle saison, qui, comme depuis quatre ans, s'attelle à relever les dysfonctionnements de la justice, en appuyant là où le tabou fait mal.

Mais rouvrir des plaies longtemps enfouies a parfois du bon : en 2018, les réalisateurs - forts de leur travail d'archives - sont parvenus à identifier une victime d'Émile Louis, une certaine Marie-Jeanne Ambroisine Coussin, dont le crâne avait été découvert à Rouvray. Une découverte qui a remué les sphères de l'investigation, provoquant l'ouverture de nouvelles fouilles pour retrouver le reste de la dépouille.

La fin d'une léthargie, à laquelle Thierry Fournet et Vincent Hérissé peuvent se targuer d'avoir participé. Ils racontent.

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Après quatre années de travail, êtes-vous fiers de ce que vous avez créé ?

Vincent Hérissé : Je suis fier de ce qu’on a collectivement accompli puisque La Conspiration a vraiment été une aventure collective incroyable. Et je suis fier aussi du résultat : tous les retours sur la série ont été bons, y compris de la part de certaines familles ou proches de victimes.

Thierry Fournet : Ces personnes moi, je les connaissais depuis 25 ans, donc les voir continuer à réagir positivement à notre travail, c'était intéressant. Pour eux, on faisait quand même avancer les choses sur beaucoup de points.

Rétrospectivement, à quoi a servi cette série documentaire ?

Vincent Hérissé : J’espère qu’elle a servi à montrer qu’au-delà des faits divers classiques que les gens connaissaient, comme l’affaire Émile Louis, il y avait énormément d’autres choses à raconter, notamment sur les dysfonctionnements de la justice et de tout un tas d’institutions dans l’Yonne pendant de trop nombreuses années. C’était l’ambition au départ : montrer à quel point il est sidérant de découvrir encore autant de victimes dans un si petit périmètre aujourd'hui.

Est-ce que votre série permet de rentrer dans la tête de ces tueurs ?

Thierry Fournet : On a plutôt essayé de comprendre comment ils fonctionnaient et surtout pourquoi ils n'avaient jamais été pris. Je crois que c'était un recul à avoir absolument, plusieurs années après les faits, parce que les mêmes erreurs peuvent être reproduites par les institutions, qui leur ont permis de continuer leurs crimes. C’est pour ça qu'au moins trois tueurs en série ont sévi sans qu’on les découvre : parce que le travail n'était pas complètement accompli. Si on avait pu arrêter Michel Fourniret après le meurtre d’Isabelle Laville, et de mon point de vue ç’aurait été possible avec des moyens, on aurait sauvé combien de vies ?

Vincent Hérissé : Pour compléter, je dirais que l'intention de la série était de la raconter du point de vue des victimes. D'autres séries ont été faites pour rentrer dans la tête des tueurs. Ici ce n’était pas notre intention. On l’a fait dans certains épisodes parce qu’il fallait bien expliquer ce qu’il s'était passé, mais ce n’était pas notre objectif premier.

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La justice a récemment repris ses recherches et débloqué des moyens pour chercher d’autres victimes d’Émile Louis, qu’est-ce que vous attendez de ces fouilles ?

Thierry Fournet : Il y a déjà des choses positives que l’on peut tirer. On a retrouvé une vieille robe qui appartient peut-être à sa 9e victime. On a retrouvé des médicaments… On va peut-être enfin savoir qui était cette victime, trouvée dans le "cimetière privé" d’Émile Louis. Et si ce n’est pas Marie-Jeanne, ça signifie qu’il y avait encore une autre victime. Il reste encore cinq corps à retrouver et potentiellement d’autres personnes, dont il n'avait pas avoué le meurtre. Il faudrait mettre les moyens même si je comprends que ça peut coûter cher.

Vincent Hérissé : Elles sont nécessaires ces fouilles. On cherche les corps 50 ans après, mais quand on trouve des effets personnels comme ç’a été le cas dans les premières fouilles des années 2000, ils parlent pour les victimes. Même si on ne trouve pas leur corps, on découvre des faits exploitables pour la justice.

Vous avez eu des retours de juges et de procureurs après la parution de vos épisodes ?

Vincent Hérissé : On a eu des retours de beaucoup de profils différents, notamment de magistrats et de policiers qui ont beaucoup apprécié la série. Ils nous ont dit que c’était la première fois qu’on allait autant en profondeur dans l’analyse de ces dysfonctionnements.

Il faudrait que d’autres fouilles soient menées ?

Vincent Hérissé : Les dernières fouilles menées à Rouvray (en octobre 2024, ndlr) ont été stoppées alors qu’on continuait de trouver des choses. On peut se dire que c’est bizarre d’arrêter en cours de route, même si je peux comprendre les impératifs pécuniaires de la justice.

Thierry Fournet  : Oui je peux comprendre les réalités financières de l'administration, mais à mon avis ces fouilles, on les doit aux victimes.

On ne sait pas encore ce que les fouilles pourront donner à l'avenir. Mais, grâce à votre œuvre, pensez-vous que l'on ne pourra plus dire "on ne savait pas" ?

Thierry Fournet  : On sait que ça a remué les consciences en Bourgogne. D’ailleurs les gens du coin n’ont pas pris ça comme un avis défavorable. Ça rend un peu fier, car on aura sûrement bougé les choses et je suis persuadé que les fouilles n’auraient pas eu lieu si nous n’avions pas retrouvé Marie-Jeanne.

Ces familles vont un jour disparaître, mais grâce à votre série on peut dire que leur témoignage va résister au passage du temps ?

Vincent Hérissé  : Oui, c'est l'avantage d’enregistrer leur parole de manière un peu longue. Le grand intérêt d’une série, c'est d’avoir le temps de raconter beaucoup de choses et d’entrer en profondeur. La Conspiration du silence, c'est entre 80 et 100 interviews de gens qui racontent comment ils ont vécu et participé aux enquêtes pendant cette période. Ce sont quand même des affaires qui remontent à 50 ans donc, oui, petit à petit tous les témoins vont disparaître, mais on a fait ce qu’on a pu pour conserver leurs paroles.

Que vous disent les familles après avoir vu votre travail ?

Thierry Fournet : Il y a une satisfaction assez claire. D'ailleurs la série va s’arrêter, mais pas nos rapports avec les familles, qui continuent de nous appeler. Il y a une confiance qui s'est établie puisqu’on a fait avancer les choses. Mais cette confiance, elles ne la récupèrent pas forcément envers les institutions malheureusement. Au moins elles ont eu le sentiment d’avoir des alliés, en particulier les enfants de Marie-Jeanne qui espèrent la voir enterrée dignement. Au moins on aura parlé d’eux une fois et ça aura changé leur vie : ce sont des enfants qui ont découvert que leur mère ne les avait pas abandonnés, mais plutôt qu’elle avait été tuée. On a sûrement changé beaucoup de choses pour eux.

Cette série a aussi changé votre vie ? Est-ce qu’on ressort indemne d’un tel travail ?

Vincent Hérissé  : Non, parce que se confronter à ces histoires pendant quatre ans ça nous marque forcément. Moi, ce qui m'a frappé, c'est le manque absolu d’empathie de la justice pour ces victimes-là. Qui ont été abandonnées si longtemps que c’était impossible de ne pas en parler, notamment pour dire aux gens que ça peut se reproduire : à partir du moment où vous ne prenez pas soin des témoins, on peut arriver à des catastrophes comme celles de l'Yonne. Un personnage de la série dit que "la justice est une vertu, mais aussi un système administratif qui peut dysfonctionner". Et ça, ça peut se reproduire n’importe où, n’importe quand. Il faut aider la justice à faire cet effort, d'aller vers les victimes, et si la série a pu contribuer à cela on n’aura pas perdu notre temps.

Vous espérez encore que des langues se délient ?

Thierry Fournet : Oui et on reçoit encore des coups de téléphone nous donnant un certain nombre d’informations. On peut espérer de nouveaux témoignages, mais ce sera de plus en plus difficile. Le juge d’Émile Louis à Auxerre disait que la justice passait beaucoup de temps à analyser les résultats scientifiques ou les témoignages, mais moins de temps humainement à interroger les témoins et les coupables. La justice est moins humaine, il faut peut-être y réfléchir.

Avec Elsa Bezin

"La conspiration du silence" - Saison 3

Une série écrite et réalisée par Vincent Hérissé et Thierry Fournet
Coproduction :  AMDA Production / France 3 Bourgogne-Franche-Comté

Diffusion dimanche 17 novembre à 21h05 sur France 3 Bourgogne-Franche-Comté et déjà disponible sur la plateforme france.tv

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