Plusieurs affaires criminelles non résolues continuent de hanter le département de l'Yonne. De Bussy-en-Othe à Joux-la-Ville, certains meurtres, attribuables aux tueurs en série qui ont sillonné la région dans les années 70 à 90, demeurent sans réponse.
Émile Louis et Michel Fourniret sont morts. Monique Olivier, la "femme de l'ogre des Ardennes", a été condamnée fin 2023 à la perpétuité. Les monstres de l'Yonne ne livreront plus d'aveux. Mais la région continue à porter leur empreinte, à travers ces nombreuses affaires criminelles non résolues. Plusieurs dossiers de femmes, tuées ou disparues il y a plusieurs dizaines d'années, restent en suspens.
Marie-Angèle Domèce, toujours introuvable
La disparition de Marie-Angèle Domèce était l'un des trois cas étudiés lors du procès de Monique Olivier fin 2023. Malheureusement, l'audience n'a pas permis de faire parler l'ex-femme de Michel Fourniret et on ignore encore où est caché le corps de la jeune femme.
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Marie-Angèle Domèce avait 19 ans lorsqu'elle s'est évaporée le 8 juillet 1988, sur le chemin reliant son foyer pour handicapés à Auxerre et la gare. Michel Fourniret avoue son meurtre en 2018, mais ne dira jamais où il a caché le corps. Une première campagne de fouilles a lieu en 2018, puis une autre en 2019 à Avallon, Auxerre, Saint-Bris-le-Vineux, Saint-Cyr-les-Colons et Monéteau, toujours sans succès.
Le tueur en série meurt en 2021. Fin janvier 2023, une "ultime vérification" est faite dans l'Yonne : les gendarmes mènent des fouilles, infructueuses, autour de Fleys dans le Chablisien.
À l'issue de ces fouilles, la sœur de Marie-Angèle, Véronique Domèce, nous confie : "Je ne pense pas retrouver le corps de ma sœur, à moins que la co-auteure [Monique Olivier] veuille bien s'exprimer à ce sujet pendant le procès."
Aujourd'hui, les chances de retrouver le corps de la jeune femme sont ténues. Mais pas totalement nulles.
Les fantômes de Bussy-en-Othe
Les enquêteurs vont notamment surveiller la vidange à venir d'un des étangs de Bussy-en-Othe, près de Migennes et Joigny. L'Yonne républicaine l'évoquait dès le mois de décembre 2023 : il s'agit de l'étang de la Coupole, qui fait partie du site de Saint-Ange. Précisons que cette vidange n'est pas commandée par la justice : c'est une demande de l'État pour un tout autre sujet, la réparation nécessaire de la digue du plan d'eau.
Mais les enquêteurs pourraient profiter de cette mise à sec pour explorer les lieux et, peut-être, trouver des indices. Car le périmètre de Bussy-en-Othe a déjà été le théâtre d'autres crimes, dont au moins un imputé formellement aux Fourniret.
C'est dans ce même village qu'en 2006, est découvert le corps d'Isabelle Laville. Cette Auxerroise de 17 ans avait été enlevée par le couple Fourniret 19 ans plus tôt, entre son lycée et son domicile de Saint-Georges-sur-Baulche. À l'époque, sa disparition avait été largement relayée dans les médias et avait fait l'objet de recherches conséquentes. On se souvient aussi de la mobilisation de l'AJA de Guy Roux, qui avait propagé l'appel à témoins.
Pendant des années, aucune trace de la jeune fille. Elle ne sera retrouvée que grâce aux aveux de Michel Fourniret, qui explique avoir tendu un piège à Isabelle, avec la complicité de son épouse Monique. Isabelle Laville est droguée, violée et tuée, son corps jeté dans un puits de Bussy-en-Othe. Lors des aveux en 2006, "Fourniret a montré l'endroit. Un puisatier a enlevé 15 mètres de gravats et a trouvé le corps", rappelle Pierre Monnoir, lanceur d'alerte dans les affaires des "disparues de l'Yonne".
Autre affaire à Bussy-en-Othe : la découverte, le 25 mars 1984, du corps d'une femme inconnue, retrouvée dans un des étangs de Saint-Ange, là où justement est prévue une vidange. Cette femme, enterrée sous X, sera par la suite identifiée : Smilja Stojanovic, une prostituée originaire de Yougoslavie. Comme le rappelle ce rapport de l'inspection générale des services judiciaires, l'enquête aboutit à un non-lieu trois ans plus tard, en mars 1987.
Le fait que les deux corps aient été retrouvés à quelques centaines de mètres d'écart, sur la même commune, peut-il être une coïncidence ? Smilja Stojanovic a-t-elle aussi été tuée par les Fourniret, ou est-ce un crime sans aucun rapport ? "Ces zones d'ombre, c'est très classique avec les tueurs en série", analyse Corinne Herrmann, avocate spécialiste des "cold cases", qui a assisté plusieurs familles de "disparues de l'Yonne".
Il y a toujours ce "chiffre noir" du nombre de victimes qu'on ne connaît pas.
Corinne Herrmannavocate, spécialiste des "cold cases" et des "disparues de l'Yonne"
"En réalité, les tueurs en série ne disent pas tout, parfois ils se trompent entre les victimes... Michel Fourniret, on sait qu'il déplaçait ses victimes et qu'il les cachait à certains endroits." Si "l'ogre des Ardennes" a choisi Bussy-en-Othe pour dissimuler le corps d'Isabelle Laville, a-t-il pu revenir sur place pour y cacher d'autres corps ? La vidange à venir de l'étang de la Coupole devrait permettre de lever une partie du doute.
L'inconnue de Mont-Saint-Sulpice
À 15 kilomètres au sud-est de Bussy-en-Othe, une autre inconnue a été enterrée sous X, au cimetière de Mont-Saint-Sulpice. Une jeune femme découverte en octobre 1997 par un habitant, gisant dans un fossé et recouverte de branchages, le long d'un chemin en contrebas du village. "Elle est nue, âgée d'une vingtaine d'années et semble être là depuis une quinzaine de jours", explique Jean-Pierre Lauzier, médecin légiste interrogé en 2023 dans la série documentaire "La conspiration du silence". L'inconnue est inhumée six jours après sa découverte, dans le cimetière communal.
Là encore, le temps fait son oeuvre. Il faut attendre novembre 2020 avant que la justice, par le biais du pôle "cold cases" et de la juge d'instruction Sabine Kheris, se penche à nouveau sur ce mystère et ordonne l'exhumation du corps de la défunte.
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Depuis, aucune nouvelle information n'est ressortie sur cette inconnue de Mont-Saint-Suplice. À l'époque, la justice souhaitait comparer son ADN avec différentes traces retrouvées sur le matelas saisi en 2003 dans la maison ardennaise des Fourniret, près de Charleville-Mézières. Sans succès.
Le squelette de Joux-la-Ville
Nous sommes plus au sud de l'Yonne, entre Auxerre et Avallon. Un an après la découverte de l'inconnue de Mont-Saint-Sulpice, un autre corps est découvert dans un petit bois de Joux-la-Ville. Cette fois, il est à l'état de squelette, et semble donc être là depuis plusieurs années.
Détail intéressant : les ossements comportent un orifice d'entrée de balle au niveau du crâne. Un petit calibre, certainement du 22 long rifle, précise l'enquête de "La conspiration du silence". Le corps est recouvert par des pierres. On ignore tout de ce corps, si ce n'est qu'il s'agit d'une femme aux cheveux longs et noirs. Sauf que depuis... "Le corps, envoyé au parquet, aurait disparu", indique le réalisateur de la série documentaire, Thierry Fournet.
Disparu ? "Malheureusement, ça arrive", confirme Corinne Herrmann. Selon l'avocate, il ne faut pas nécessairement y voir de volonté de dissimuler une affaire, mais plutôt une accumulation de négligences. "Avec les changements de magistrats et les dossiers qui changent de numérotation, certaines affaires sont mélangées avec des scellés qui n'ont rien à voir. Parfois, la justice ne sait plus comment elle classe ses dossiers. En plus, à Auxerre, on sait qu'on perd facilement les scellés."
"Récemment dans une autre affaire, un légiste a retrouvé un squelette complet qui était perdu dans les dossiers. Le respect que l'on témoigne au corps et à l'être humain est cataclysmique", déplore l'avocate.
Rouvray : la huitième victime d'Émile Louis ?
Elle s'appelle Marie-Jeanne Ambroisine Coussin, et pourrait être une victime non répertoriée d'Émile Louis, condamné officiellement pour sept meurtres. Cette mère de 10 enfants au parcours chaotique a disparu de la région d'Auxerre en 1975 sans laisser de traces.
Ce n'est qu'en 2023 que son nom réapparaît dans les radars de la justice. Son ADN "matche" après une recherche au FNAEG. On découvre que c'est son crâne qui a été retrouvé, cinq ans plus tôt, dans le petit bois de Rouvray, à une vingtaine de kilomètres au nord d'Auxerre... Un lieu surnommé "le cimetière d'Émile Louis", parce que deux des corps de ses victimes y ont été retrouvés, en 2000.
Outre la localisation du crâne de Marie-Jeanne Ambroisine Coussin, d'autres indices laissent à croire qu'elle pourrait avoir croisé la route du tueur en série. C'était une femme fragile, que la DDASS avait séparée de ses enfants, victime aussi d'un mari violent. Elle avait effectué un séjour en psychiatrie, puis avait fréquenté le centre post-cure de Monéteau... Qui faisait partie des itinéraires desservis par le bus d'Émile Louis.
De nouvelles fouilles doivent avoir lieu à Rouvray, possiblement dans le courant de l'année 2024. Elles pourraient permettre de trouver d'autres parties du squelette de Marie-Jeanne Ambroisine Coussin, mais pas seulement. À l'époque de l'arrestation d'Émile Louis, de nombreux vêtements avaient été retrouvés sur place.
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Sylviane Durand-Lesage, la première victime de Rouvray
En réalité, Marie-Jeanne Ambroisine Coussin pourrait être non pas la huitième, mais la neuvième victime d'Émile Louis. En effet, pendant un temps, la justice a fortement soupçonné le chauffeur de bus d'avoir tué Sylviane Durand-Lesage, désignée comme "la maîtresse d'Émile Louis" par le gendarme Christian Jambert dans les années 80.
Cette jeune femme de 23 ans a été découverte morte en 1981 dans un abri à bestiaux... là encore, à Rouvray. Tout près du "cimetière" d'Émile Louis. Mais l'affaire se clôture en 1984 par un non-lieu pour "insuffisance de charges". Émile Louis s'en tire à l'époque avec quatre ans de prison dans une autre affaire, des "attouchements" avoués sur des fillettes placées chez sa concubine. Officiellement aujourd'hui, le meurtrier de Sylviane Durand-Lesage n'a toujours pas été désigné.
Les autres cas classés
Plusieurs autres cas demeurent énigmatiques dans l'Yonne. En février 1970, des enfants découvrent sur un terrain vague le corps de Lucette Evain, 21 ans, "jeune femme blonde et timide aux yeux clairs, sans famille, pupille de la Ddass", écrit Le Parisien en 2002. Plusieurs indices sont sans équivoque : "légères griffures et traces d'ecchymoses, ainsi qu'une déchirure de son slip, lequel paraissait imprégné d'un liquide abondant pouvant être du sperme", précise un rapport du ministère de la Justice. Pourtant, l'enquête conclut à un suicide médicamenteux et la procédure n'ira pas plus loin.
De même, le décès d'Elisabeth Fontaine, retrouvée morte dans la rivière Yonne un mois après sa disparition, début 1979. Son visage présentait "une tuméfaction". Mais l'information judiciaire a été clôturée en avril 1980.
Le rapport de l'inspection générale des services judiciaires, rédigé en 2002 sur le traitement des affaires pénales et la disparition des archives au tribunal d'Auxerre, mentionne également d'autres disparitions : celle de Martine Menguy, 16 ans, en 1986 ou 1987, et qui n'a connu aucune suite. Celle de Jeannine Parent-Vin, disparue de la région de Sens en 1976.
Danièle Bernard, un mystère toujours entier
Un autre meurtre figure toujours dans les dossiers du pôle "cold cases", et a connu un rebondissement il y a peu. En mars 2024, une reconstitution a été effectuée au domicile de Danièle Bernard, cette mère de quatre enfants tuée chez elle à Auxerre de façon particulièrement violente : à coups de tisonnier et de tournevis, en 1989. La juge Sabine Khéris s'est rendue sur place.
L'affaire, classée en 2000, a été reprise par le pôle des affaires non élucidées en 2022.
Corinne Hermann rappelle que Michel Fourniret et Émile Louis ne sont pas les seuls criminels à avoir sillonné l'Yonne dans les années 70 à 90 : "J'ai identifié au moins quatre tueurs en série qui ont opéré pendant une quinzaine d'années sur le territoire. Il y a notamment Ulrich Muenstermann, reconnu coupable du meurtre de Sylvie Baton à Avallon. Il n'y a aucune raison qu'il n'ait pas commis d'autres faits".