Le mouvement Emmaüs a été ébranlé cet été au tour des témoignages de violences sexuelles mettant en cause l’abbé Pierre, d'autres témoignages de personnes mineures à l'époque des faits ont été révélés début septembre. Certaines communautés Emmaüs en France ont préféré retirer le nom et les photos à l'effigie de l'abbé. La communauté de Pontigny (Yonne) a préféré conserver le nom de son fondateur.
La communauté Emmaüs de Pontigny fait partie des 303 groupes Emmaüs de France. C'est une communauté qui regroupe 20 personnes dont 3 retraités. Alain Éberard est le président de l'association qui gère cette communauté et répond à nos questions.
Pourquoi avoir conservé le nom "Abbé Pierre" à la communauté de Pontigny ?
Alain Éberard, président de l'association Emmaüs de Pontigny : L'aventure Emmaüs est au-delà de l'Abbé Pierre. Il en est l'initiateur, c'est un fait historique, mais notre métier, c'est Emmaüs. Il n'est présent que dans l'image qui est attachée à Emmaüs depuis 70 ans.
Quand il y a eu ce cataclysme début juillet, il nous a été préconisé dans un premier temps de prendre position dans les communautés. On a un fonctionnement régi par des principes, on a organisé une réunion communautaire, où participent compagnes et compagnons, les amis, les membres actifs de l'association et les responsables du bureau.
Des éléments à caractère absolu comme déboulonner la statue de l'Abbé Pierre à Norges-la-Ville (grande communauté Emmaüs en Côte-d'Or ndlr) - c'est d'ailleurs la municipalité qui a déboulonné la statue - avaient été pris.
A.E. : Dans notre communauté, la moitié des compagnons ne connaît pas ou peu l'histoire de l'Abbé Pierre. Ce qu'il s'est passé il y a 50 ans, ce n'est pas leur préoccupation, leurs soucis, ils ne sont pas là. On a fait cette réunion, paradoxalement, c’étaient les personnes proches de cette communauté, les amis, qui avaient des commentaires à faire. Le sujet des violences faites aux femmes est épidermique, ce n'est pas un jugement que je porte, c'est parce qu'il suscite des réactions instantanées. J'avais été choqué de constater qu'à Paris, à Emmaüs France, dès le mois de juillet, les visuels à l'effigie de l'Abbé Pierre avaient été immédiatement retirés. [...] La question s'est posée pour nous, on enlève les visuels ou pas ? La décision collective a été prise de ne pas les enlever !
Ces révélations autour de l'Abbé Pierre ont-elles changé l'action des Emmaüs à Pontigny ?
A. E. : Au début j'ai été assez inquiet, en me posant la question de quel effet cela allait avoir. À ce jour, cela n'a pas d'effet dans l'attitude et dans le comportement des personnes qui participent à nous faire des dons, à venir en qualité de clients. On a dû avoir 3 personnes qui se sont offusquées qu'il y ait encore l'image de l'Abbé Pierre à la communauté. Je comprends tout à fait.
Pour les futures campagnes de la Fondation Abbé Pierre, quelle sera votre attitude ?
A.E. : On continuera d'accompagner le mouvement ! Par contre, je ne vois pas de quel droit aujourd'hui je prendrai l'initiative de briser l'image, on manque de vérités pour l'instant. [...] À la communauté, j'ai un visuel avec l'Abbé Pierre, qui a été peint par un artiste, c'est une œuvre qui appartient à l'artiste, je me vois mal aller la taguer ! J'ai deux camions avec un visuel de la tête de l'Abbé Pierre, ça m'a coûté 1000 euros chacun. C'est vrai que c'était la commodité de l'image de l'Abbé Pierre qu'on a utilisé, mais de lui, on n'a que l'image ! [...]
Les problèmes que j'ai en tant que président dans une communauté Emmaüs, ce n'est pas de traiter de l'image de l'Abbé Pierre ! On est dans le dur !