L'Espérance de Saint-Père : abandonné, le restaurant trois étoiles du chef Marc Meneau vendu aux enchères judiciaires

L'ancienne table du chef triplement étoilé Marc Meneau est tombée dans une triste décrépitude depuis plusieurs années. Rachetée en 2016 par un groupe hôtelier de luxe, le projet a finalement été abandonné et l'établissement a fait faillite. Une vente aux enchères judiciaires aura lieu en février 2024.

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Il est loin, l'âge d'or de l'Espérance. Autrefois joyau local reconnu dans le monde entier, le restaurant de Marc Meneau (l'un des rares chefs ayant reçu trois macarons au guide Michelin) sera vendu aux enchères judiciaires par le tribunal de Versailles, le 7 février 2024. Mise à prix : 160 000 euros. Une bouchée de pain pour ce lieu qui, il y a quelques années encore, faisait la fierté de Saint-Père, au pied de la colline éternelle de Vézelay, et dont il ne reste presque rien aujourd'hui.

Un projet pharaonique... jamais entamé

Pour comprendre, il faut revenir neuf ans en arrière. En février 2015, l'Espérance est placée en liquidation judiciaire. Elle est rachetée un an et demi plus tard, en 2016, par le groupe Hotel & Food Disrpt Partners, pour 1,4 million d'euros. À l'époque, le président Guillaume Multrier détaille son projet à France 3 Bourgogne : "Notre idée est d'être capable de proposer des séjours autour du ressourcement personnel et de la gastronomie, dans un cadre très naturel. C'est ce qui nous a beaucoup plu à l'Espérance."

Les pré-travaux de déblayage sont entamés. Un projet pharaonique, chiffré à 16 millions d'euros, est élaboré par un cabinet d'architectes. Il prévoit des extensions, la modernisation du bâti existant, un spa, des cabanes... Mais le projet ne verra jamais le jour.

En 2017, Hotel & Food Disrpt Partners devient Les Hôtels (Très) Particuliers. Guillaume Multrier passe la main, en tant que président du groupe, à Matthieu Evrard. L'Espérance passe sous la houlette d'une succursale, la SAMH Flagship Hotels & Wellfulness Labs 2017. Mais les travaux traînent et rien n'avance. Six ans plus tard, le couperet tombe : la société est placée en liquidation judiciaire le 16 mai 2023 par le tribunal de Versailles - laissant, au passage, une belle ardoise impayée au cabinet d'architectes.

Fin décembre 2023, le domaine de l'Espérance se retrouve sur les enchères publiques. Deux journées de visite sont prévues en janvier, le 19 et le 22, avant la vente le 7 février 2024. La vente est séparée en trois lots : l'Espérance, le Moulin des Marguerites (qui abritait les suites de luxe), et le Pré des Marguerites, le restaurant crée par Marc Meneau à des prix plus abordables.

Le bâtiment réduit à l'état de ruine : "tout a été désossé"

Si le prix de départ peut sembler faible (160 000 euros), c'est parce que les travaux à réaliser sont faramineux. "C'est une friche industrielle, une ruine", constate Christian Guyot, mère de Saint-Père depuis près de 50 ans. 

"Quand je passe devant, je n'ose pas regarder. Je tourne la tête", avoue l'élu. "Ça me rappelle toujours de mauvais souvenirs." Car à Saint-Père, tout petit village de 300 habitants, le naufrage de l'Espérance est un traumatisme.

"Les porteurs de projet de l'époque avaient procédé à la démolition et à la vente des biens. Tout a été désossé, puis ça a été pillé, squatté. Tout est parti : le carrelage, la tuyauterie, les vitres... Aujourd'hui, il n'y a plus que quatre murs et un toit", explique le maire.

En 6-7 ans, la végétation a repris ses droits. Maintenant, c'est le domaine des chevreuils et de la sauvagine, comme on dit ici. Les arbres poussent dans le bâtiment, les bambous sont devenus une forêt. C'est dramatique.

Christian Guyot

maire de Saint-Père

"C'est désolant, frustrant et c'est un non-respect de ce qu'ont été Marc et Françoise Meneau", regrette le maire. Il dit avoir "beaucoup de respect" pour ce couple qui a tant oeuvré pour Saint-Père : aux heures fastes, l'Espérance employait 120 personnes, soit 40 % de la population.

André Villiers, député de l'Yonne, ex-président du conseil départemental, ancien maire de Vézelay et proche de la famille Meneau, ne décolère pas non plus. "C'est déplorable. On pensait que la société nourrissait un projet pour redonner vie au lieu, mais finalement ça n'a été que du pillage."

Ils ont tout cassé. Maintenant, il n'y a plus qu'une carcasse. Aujourd'hui, de voir tous ces murs fantômes, c'est pathétique, ça fend le cœur.

André Villiers

ex-président du conseil départemental, député de l'Yonne

Résultat : aujourd'hui, il faudrait des millions d'euros pour remettre à flot l'Espérance. Le conseil municipal de Saint-Père se démène, à la recherche d'un repreneur.

La mairie recherche activement un porteur de projet

"Dès qu'on a appris la liquidation, on a commencé à chercher un porteur de projet", explique Christian Guyot, le maire. "Mais beaucoup ont reculé quand ils ont vu l'ampleur des dégradations, y compris de grands groupes hôteliers. Si bâtiments étaient restés en bon état, on aurait pu trouver un repreneur plus facilement." 

Le conseil municipal n'a pas les moyens de racheter lui-même les lieux et de se charger des travaux. Mais, s'il trouve un porteur de projet sérieux, il pourra lui faire bénéficier de son droit de préemption (une priorité d'enchères accordée à la commune). 

Pour autant, Christian Guyot ne désespère pas. "Rien n'est joué jusqu'au jour de la vente ! Que les intéressés n'hésitent pas à nous contacter." Christian Guyot lance donc un appel à tous les acquéreurs potentiels, pour que l'Espérance ne tombe pas dans l'oubli. "L'idée n'est pas de retrouver cette grandeur d'antan, mais qu'il y ait une reconnaissance de cet endroit."

C'est un devoir de mémoire, presque. Les lieux gardent les traces du passé.

Christian Guyot

maire de Saint-Père

Car l'Espérance était bien plus qu'un restaurant. Au départ, il n'y avait qu'une épicerie dirigée par Marguerite, la mère de Marc Meneau. L'enfant du pays, élevé par sa mère, décide d'en reprendre les rênes pour transformer les lieux en restaurant, dans les années 60. Petit à petit, plats à plats, il gagne ses lettres de noblesse.

Il décroche sa première étoile au guide Michelin en 1972. La seconde arrive trois ans plus tard, en 1975. Et en 1983, c'est l'apogée : Marc Meneau se voit récompensé d'un troisième macaron, la plus haute distinction de la gastronomie française. "C'était un génie de la cuisine, un grand parmi les grands", salue André Villiers.

Lors de sa belle époque, l'Espérance accueille "tous les grands de ce monde", se souvient André Villiers : le futur pape Jean XXIII, le président américain Nixon, le chancelier Helmut Kohl, la reine d'Angleterre, François Mitterrand... Et bien sûr, Serge Gainsbourg, qui séjourne plusieurs mois au domaine à la fin de sa vie. Marc Meneau, lui, est décédé en 2020. Ses obsèques en la basilique de Vézelay avaient rassemblé de nombreux fidèles.

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