Après des années de croissance, l’agriculture biologique traverse une crise. Dans une conjoncture économique difficile, certains clients se détournent du bio, les rayons des supermarchés se resserrent, les magasins ferment... et les producteurs s’inquiètent.
"Quand je me suis installé c’était pour sauver la planète". En prononçant cette phrase, Riwal Bourdoulous reconnait une certaine naïveté, mais il l’assume. "Je rêvais d’une eau plus propre, de conditions de vie meilleures pour les animaux et pour les éleveurs." Aujourd’hui, le jeune agriculteur s’interroge.
"Pendant quelques années, la demande de produits bio n’a cessé de grimper, on avait une croissance à deux chiffres", se souvient Riwal. Un vrai espoir pour le jeune homme qui s’est installé en 2017 pour produire du porc biologique.
"Les grands groupes ont commencé à faire du bio"
"On a un cahier des charges très strict sur l’alimentation de nos animaux, leurs conditions de vie", témoigne-t-il. Mais cette formidable croissance du bio a donné des idées à d’autres. "Certains grands groupes ont commencé à faire du bio. Du bio business, du bio indus", décrit Riwal.
"De la bio au ras des pâquerettes, ce n’était pas exactement notre philosophie, mais c’était du bio. Et ils ont fait exploser les volumes. Aujourd’hui, il y a deux bios… espère qu’il n’y en aura pas zéro demain ", s’inquiète l’éleveur.
Une consommation en baisse
"Car au même moment, l’inflation, la hausse des prix de l’essence, de l’électricité, du chauffage, ont contraint les français à faire attention", constate Riwal Bourdoulous. "Les consommateurs occasionnels de produits bio ont ralenti leurs achats pendant que le nombre de consommateurs convaincus ne bougeait pas."
Il y a donc une baisse de consommation, toutes productions confondues : légumes, lait, œufs… "Résultat, analyse-t-il, les grandes surfaces commencent à retirer des rayons bio, les Coop bio ferment des magasins. Dans certaines filières, les éleveurs arrêtent ou se "déconvertissent."
"Mais en porc bio, compte tenu des investissements, c’est difficile de revenir en arrière", décrit Yann Pinard. Il s’est installé dans les Côtes d’Armor en 2000 et s’est converti à l’agriculture biologique en 2018.
Il a fallu transformer les bâtiments, faire de gros travaux pour que ses cochons puissent grandir sur de la paille. Il a divisé le nombre d’animaux par deux avec l’espoir que le prix du cochon bio se maintiendrait entre 3€60 et 3€80.
La terrible loi de l'offre et de la demande
Mais la commercialisation des porcs bio ne se fait pas comme celui des autres cochons, où un marché se tient deux fois par semaine à Plérin. Chaque groupement rémunère ses éleveurs en fonction des débouchés qu’il a derrière et c’est là que ça coince…
"Au départ, on produisait ce qu’on pouvait vendre", éclaire Yann Pinard. La coopérative avec laquelle il travaille compte 80 producteurs, en Bretagne et dans les Pays de la Loire, en Normandie ou dans le Nord.
"Depuis le mois de juin, les éleveurs ont commencé à baisser la production de 10-15%, mais cela ne suffit plus, une partie des cochons produits est déclassée en conventionnel et donc vendue donc à 1€90… cela ne couvre même pas le prix de ce que le porc a mangé".
"À 80, on produit 40 000 cochons par an", s’agace Riwal Bourdoulous, "c’est la production d’une seuleexploitation du nord Finistère !"
"Les ambitions du gouvernement c’était d’avoir 5% de porcs en bio en 2026, aujourd’hui, le bio c’est 1,5% et on est en surproduction, dans certaines grosses coopératives c’est la moitié des porcs qui partent en conventionnel !"
Une production qui diminue
"Depuis 2020, on a commencé à restreindre les volumes, on a cessé d’accueillir de nouveaux élevages, les éleveurs qui partaient en retraite n’ont pas été remplacés et on a demandé aux éleveurs de produire moins mais même comme cela, ça ne suffit pas", s’inquiète Riwal, car vendre du bio au prix du conventionnel, il sait bien que cela ne tiendra pas longtemps !
"Il y a une solution, appliquons la loi !"
Les éleveurs ont pourtant des solutions. "Pour tenir le temps de la crise, il suffirait que le gouvernement respecte la loi Egalim, expliquent-ils. Le texte prévoit de servir 20 % des repas en bio dans la restauration collective. Si les cantines, les Ehpad et les hôpitaux servaient même 5% de bio, nous pourrions écouler toute notre production. Mais visiblement, nous ne sommes pas le dossier prioritaire.'
Le soutien des consommateurs
Les éleveurs ont reçu le soutien du Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest. "Au lieu de freiner les produits phyto, on freine l’agriculture biologique" se fâche René Louail, membre du Collectif.
"Va-t-on laisser mourir le bio sans réagir ? Au moment où tous les indicateurs sanitaires et environnementaux virent au rouge vif, comment ne pas souligner l’absurdité de cette situation ?"
Et il cite le rapport de la Cour des Comptes du 30 juin 2022 sur le soutien à l’agriculture bio : "L’impact de l’agriculture biologique sur la santé, le climat, la biodiversité, les pollutions de l’eau et de l’air est évident."
Ancien agriculteur lui-même, René Louail s’interroge sur les politiques agricoles. "Les aides publiques, dénonce-t-il, vont très largement à l’agriculture conventionnelle alors qu’elle participe à la pollution de l’eau, de l’air, des sols, qu’elle détruit la biodiversité et rend malade les agriculteurs. Quand va-t-on comprendre qu’il serait préférable de ne pas polluer plutôt que de dépolluer ?"
"Est-il normal qu’on mette sous perfusion une agriculture dont les coûts cachés sont payés par nos impôts, pendant qu’on laisse au bord du chemin une agriculture plus exigeante qui préserve la santé humaine et l’environnement ?", questionne le collectif dans un communiqué.
Le collectif demande une réorientation des aides de la Politique agricole commune vers le bio et la participation des collectivités locales au redressement de la filière bio.
Les producteurs de bio, eux, demandent des actes… "pour le bio, pour la planète", conclut Riwal "histoire que la fin du monde soit un peu plus loin que demain."