La forêt est un écosystème riche, qui offre de nombreux habitats pour les animaux et les végétaux. Pour la préserver, un mouvement se développe autour du principe de "la forêt en libre évolution". Associations et collectifs achètent des parcelles pour permettre au milieu de se développer sans aucune intervention humaine, et créer une réserve de biodiversité.
Dans la forêt de Brocéliande, en Ille-et-Vilaine, tout le monde déplore la disparition du légendaire "Hêtre de Ponthus", vieux de 300 ans. Cet arbre remarquable n'a pas résisté à la tempête Ciaran en novembre 2023. Dérèglement climatique, déforestation, sécheresse, incendie, tous ces phénomènes fragilisent durablement le poumon vert de nos territoires et ses hôtes naturels, qui inévitablement vont changer de visage.
Chaque jour, 200 km2 de forêts mondiales sont détruites. À l'échelle locale, des particuliers ont décidé d'agir et de racheter des parcelles forestières pour qu'elles reviennent à l’état sauvage."On ne veut pas mettre les forêts sous cloche mais les soustraire à toute activité humaine pour permettre de redonner de la place au Vivant , et en assurer la pérennité" explique l'une des membres de l'association "Etats Sauvages."
"Il faut préserver les forêts vieillissantes" poursuit Julie de Saint Blanquat, "on y trouve beaucoup de bois mort, support de vie essentiel pour les insectes, les champignons, les animaux. 25% de la biodiversité dépend du stade de vieillissement des forêts."
Dans une forêt en libre évolution , on constate que les espèces végétales vont se diversifier. L'ecosytème s'enrichit.
Julie de Saint BlanquatAssociation "Etats sauvages"
Pour les domaines forestiers publics, l'Office National des Forêts consacre une partie de son action à la protection de la biodiversité, en parallèle de l'exploitation du bois. Un statut de réserve biologique intégrale a été instauré pour des surfaces allant d'une cinquantaine à plus de 2 500 hectares. Ces îlots de sénescence ne représentent qu'1% des forêts de l'ONF.
Rien d'obligatoire dans ce sens pour les propriétaires des forêts privées, soit 3/4 des massifs français.
Parcelles en réserve intégrale
Sensibilisés aux questions environnementales, collectifs et associations ont décidé d'apporter, à leur échelle, leur contribution à la préservation des forêts en devenant propriétaires de parcelles et en les plaçant en statut de réserve intégrale."C'est en découvrant la forêt de Bialowieza en Pologne, l'une des dernières forêts primaires d'Europe, jamais exploitée ni défrichée, que nous avons eu le déclic." explique Alexandre Patureau, du collectif breton Wild Forest.
Le bois, une valeur en hausse
"On passe par des agences immobilières spécialisées ou des annonces sur internet pour acheter" explique Julie de Saint Blanquat, de l'association "Etats sauvages". En concurrence, l'association trouve en face d'elle des riverains cherchant des terrains pour du bois de chauffage, ou des propriétaires voulant agrandir leurs parcelles pour la chasse. "Il y a une forte pression car le prix du bois de construction et du bois "énergie" sont en forte hausse" constate Julie de Saint Blanquat.
C'est en découvrant la forêt de Bialowieza en Pologne, l'une des dernières forêts primaires d'Europe, que nous avons eu le déclic.
Alexandre PatureauCollectif Wild Bretagne
Dans les Côtes-d'Armor, le collectif Wild Bretagne a acquis trois terrains de 18 000 m2 a quelques kilomètres de Paimpol. Grâce à une campagne de financement participatif et près de 500 donateurs, 27 000 euros ont été recueillis pour cet achat." Il faut savoir que la région Bretagne est parmi les moins boisée de France avec 14% de forêt sur son territoire contre 30% en moyenne" explique Alexandre Patureau, membre de Wild Bretagne. Le collectif a décidé d'apporter sa pierre à l'édifice. Trois parcelles sont achetées. Une opportunité d'acquisition mais un choix aussi justifié par les sites eux-mêmes. Ils rêvent d'une évolution comme la forêt de Bialowieza, en Pologne. La forêt y est "10 mètres plus haute que les forêts classiques. Il y a des chênes vieux de plus de 600 ans. Grâce à des décennies de protection, la forêt a survécu dans son état naturel" témoigne Alexandre Patureau.
Un laboratoire à ciel ouvert
L'une des parcelle est "une jeune forêt sauvage qui s'est constituée d'elle-même sur un champ abandonné et colonisé par des chênes, des hêtres, des ifs, des érables. On l'a acheté car elle arrivait à maturité et aurait pu subir des coupes d'exploitations." précise Alexandre.
Les deux autres parcelles sont en bord de ruisseau et difficilement accessibles. "C'est un laboratoire à ciel ouvert" rajoute le jeune homme. "On veut faire une trame verte où les animaux peuvent se déplacer et participer à la dispersion des graines pour voir de nouvelles essences prendre souche. Des arbres asséchés vont mourir et seront remplacés par de nouvelles espèces. On laisse la chance à l'écosystème de s'adapter".
L'association réalise sur les parcelles des relevés botaniques. Avec l'aide de naturalistes, elle a installé une caméra piège pour photographier les animaux. "On a identifié des chevreuils et beaucoup de pics, attirés par les cavités des vieux troncs. Également des espèces locales végétales qui se sont développées spontanément" rapporte Alexandre Patureau.
Un cycle de vieillissement naturel, source de renouveau
L'association" Etats sauvages" a déjà mis en réserve quatre forêts, soit 15 hectares désormais dévolus à "la libre évolution": dans le Cantal, les Vosges, l'Île-de-France et la Normandie. Elles sont toutes au cœur de grandes zones forestières, au sein d'un univers déjà favorables. C'est le cas dans la forêt de Fontainebleau, qui abrite la première réserve biologique intégrale de l'ONF.
L'équipe a réussi à sanctuariser son propre lopin sur une zone privée. Chênes, pins sylvestres, charmes ont poussé ici sur un sol riche en sable, au milieu de chaos de grès. Ces arbres sont parfois rachitiques, car ils ont du mal à trouver de l'eau. D'où l'importance pour ces acteurs de préserver ce site sensible et éviter que la ville ne grignote les lieux. "Les forêts jouent un rôle majeur dans l'amélioration de la qualité de l'air, la préservation d'une forte diversité, la filtation des eaux et la régularisation de leur circulation tout comme la stabilité des sols et le stockage du carbone" rappelle Julie de Saint Blanquat.
Les forêts en libre évolution vieillissent naturellement. Toutes leurs propriétés sont au service de la biodiversité.
Julie de Saint Blanquatmembre association "Etats Sauvages"
Ces réserves vont pouvoir vieillir naturellement. Dans ce système de libre évolution, le constat est parlant. L'écosystème s'enrichit, les espèces végétales se diversifient. Le bois vieillissant est une base de renouveau pour la formation des sols, l'alimentation et l'habitat des oiseaux et des mammifères.
"On crée des espaces où l'homme n'intervient plus avec ses activités commerciales d'extractions du bois, afin d'avoir le moins de perturbations possibles. On a tendance à exploiter et à rajeunir nos forêts . Il faut retrouver un temps long, laisser les étapes cruciales du cycle de la vie des arbres se dérouler pour que la forêt reprenne ses droits " précise Julie. "Chez nous par exemple, les vieilles forêts sont un habitat privilégié de par leur écosystème pour certaines espèces comme Le pic noir, la salamandre tachetée, le lucane cerf-volant et beaucoup de mousses, lichens et champignons , comme le lichen pulmonaire dont la forme ressemble à un lobe de poumons"
Pas de déforestation mais une "malforestation"
"On se rend compte des services écologiques et écosystémiques des forêts une fois qu'on les a détruites" estime Julie de Saint Blanquat. L'effet tampon qu'elles ont pour le climat, pour la régulation des pluies, en empêchant l'érosion de sols emportés par les précipitations, la filtration de l'eau. "En France, nous n'avons pas de déforestation comme en Amazonie, mais on a de la malforestation." rajoute la jeune femme.
Si une forêt ne comporte qu'une essence d'arbre, a été planté en monoculture, elle est plus fragile. S'il y a un incendie, tout brûle.
Julie de Saint BlanquatAssociation "Etats Sauvages"
Elle cite l'exemple des Landes où les arbres sont plantés en ligne. Ils ont tous le même âge et sont soumis à la mécanisation. "C'est devenu une monoculture, avec une seule essence, le pin maritime. Ce ne sont plus des forêts mais des plantations. Cet écosystème est moins résistant. Quand il survient un incendie, tout brûle" explique Julie de Saint-Blanquat."Pour remplacer des forêts détruites, où recréer des îlots de verdure dans les villes, on replante, mais ce n'est pas la solution. On ne maitrise pas le vivant. Il suffit d'une canicule pour que les jeunes plants ne survivent pas. Mieux vaut conserver l'existant." rajoute t'elle.
Pour sensibiliser le grand public, les Bretons de "Wild Bretagne" eux, ne manquent pas d'imagination en donnant une dimension artistique et naturaliste à leurs projets.Expositions photos, visites pédagogiques, ballades contées et animations musicales sont mises sur pied par une équipe entièrement composée de bénévoles. Une nouvelle campagne de collecte de fonds va être lancée prochainement pour continuer leur action.