Dans les Côtes d'Armor, sur les ronds-points, nous avons rencontré des Gilets jaunes. En colère, certes, mais surtout lassés de leurs conditions de vie. Vous aussi, comme Daniel, Cris ou Ophélie, vous pouvez témoigner.
Depuis plus de trois semaines, de ronds-points en ronds-points, la colère monte chez les Gilets jaunes.
Il y a les pancartes, il y a les inscriptions au feutre sur les gilets jaunes, il y a les revendications des portes-parole. Il y a ces propos lancés comme des pavés: " on nous vole, on nous ment, on nous assomme ".
Sociologues, politologues et géographes décrivent depuis quelques années cette France qui porte aujourd'hui le gilet jaune pour crier qu'elle existe et demander justice.
On a lu par exemple cette analyse d'une France « périphérique », une classe moyenne ou très modeste, chassée des centre-villes par les prix de l'immobilier.
Une population d'employés, d'artisans, de petits commerçants ou encore, en zone plus rurale, de salariés agricoles ou de salariés de l'agroalimentaire. Des gens qui ont choisi la périphérie des villes parce-qu'elle est moins chère et moins contrainte.
Ces citoyens éloignés des services publics, des commerces et des transports en commun. Ils ont plus que les citadins le besoin crucial d'une voiture.
Ils ont déjà subi en 2018 l'arrivée d'un contrôle technique automobile plus sévère, qui complique la recherche, l'achat et l'entretien d'un véhicule à petit prix. Puis ils ont grimacé avec les 80 km/h et les risques supplémentaires de contraventions. Ils ont encore vu arriver les vignettes Crit'Air et les projets de péages à l'entrée des villes.
Et voilà que la taxation du carburant arrive pour cause d'écologie.
On a lu les décryptages sur les taxes, la baisse du pouvoir d’achat, le sentiment d'injustice de ses gens piégés entre fin du monde et fin du mois. Eux n'ont pas les moyens d'acheter une nouvelle voiture moins polluante même avec les aides. On ne leur fait pas crédit.
Parlez-nous de vous
Ce dimanche à 10h50, une émission spéciale de Dimanche en Politique sera consacrée à la parole des Gilets jaunes, en Bretagne et Pays de la LOire.
Témoignages
Ils s'appellent Ophélie, Marc, Chris, Henri, Yell. Ils ont 25 ou 65 ans, actifs, retraités ou demandeurs d'emploi, ils doivent aussi parfois faire face au handicap ou à la maladie, soutenir leurs enfants, leurs parents; ou les deux. Un point commun entre eux: leur dépit.
Nous les avons rencontré sur leurs terrains de lutte. Difficile de les aborder ailleurs. Difficile aussi pour eux de parler de leur misère et de leur frustration.
C'est pour faciliter l'écoute et le dialogue que le maire de Plérin (22) a mis à leur disposition un terrain communal.
Nous nous sommes aussi rendu sur le rond-point de Brézillet à Langeux près de Saint-Brieuc.
Nous avons été bien reçus. La nervosité était palpable, mais le respect plus fort que la colère.
Loin des discours déjà entendus, nous avons voulu connaître ce qui, à titre personnel, nourrissait leur malaise.
Parole brute
Ophélie, femme au foyer, redoute de finir comme les personnes âgées qu'elle croise au quotidien, et qui n'arrivent pas à finir les fins de mois. En couple, elle pense à ses enfants, à son compagnon: "c'est pour eux que je suis là".
Toujours sur le campement prêté par Ronan Kerdraon, Félix, un pseudo pour ce jeune homme travaillant dans la restauration, qui enchaîne les contrats. Les journées sans fin, il connaît. Les semaines qui s'enchaînent aussi, " avec en plus des extras le week-end ".
Condamné à travailler trop d'heures pour subvenir aux besoins de son foyer, il voudrait avoir du temps pour lui et les moyens d'offrir quelques moments agréables à ses futurs enfants.
Daniel est retraité. Ancien artisan il a travaillé toute sa vie, "80 heures par semaine, et cela a usé le bonhomme".
Daniel a voulu rester en France pour sa retraite et pouvoir sillonner librement le pays avec un camping-car qu'il vient tout juste d'acheter. Un investissement important pour lui, qu'il se prend déjà à regretter. "Les moteurs sont des diesels, il n'y a pas le choix, et je me suis fait piéger". Il sait déjà qu'un tel véhicule va très vite perdre sa valeur.
Daniel ne comprend pas ces décisions politiques abruptes, qui n'anticipent pas les conséquences pour un citoyen comme lui qui espérait une retraite sereine.
Le 15 du mois arrive trop vite
Chris était salariée, et a dû arrêter son travail pour s'occuper d'un de ses enfants handicapé. "On n'a jamais de vacances, jamais de loisirs", dit celle qui compte chaque dépense, et pour qui la peine de ne pouvoir répondre à des demandes d'enfants est déchirante.
Marc a mis du temps à venir nous parler. Mais une fois en confiance, rien ne pouvait l'arrêter. L'injustice est pour lui un drame. Il pense que sa vie est derrière lui et ne comprend pas les règles du jeu. Avec ses mots il souhaite l'équité.
Célestino est actuellement demandeur d'emploi. Après une vie d'ouvrier agricole il est épuisé. Comme beaucoup, sa présence et son combat est pour ses enfants.
Tous vont rester sur leurs campements de fortune. Ils y dorment, mangent et discutent. Pour combien de temps, personne ne le sait.
Tous espèrent plus de solidarité de cette société dont ils doutent. Tous sont rivés au moindre signe de la classe politique et des médias. Ils souhaitent des réponses au plus vite.
L'hiver, le froid, la pluie, pour le moment tout ruisselle sur leurs gilets jaunes. L'entraide et le soutien de nombreux particuliers les réchauffent. Mais pour combien de temps ?