Jean-Yves, Philippe et Gérard ont été abusés sexuellement par deux prêtres lorsqu'ils étaient élèves au lycée Charles-de-Foucauld, à Brest. 50 ans après les faits, ils sont revenus dans l'établissement privé pour y dévoiler une plaque qui rappelle ces actes. Une démarche restaurative dans la continuité du long travail de reconstruction et de libération de la parole qu'ils ont entamé ces dernières années.
Sur la plaque de granit gris, ces mots gravés : "Dans cet établissement, durant la période 1960-1980, deux prêtres ont commis des agressions sexuelles contre des enfants. La culture du silence de l'époque a empêché la dénonciation". Elle est désormais posée à l'entrée de l'aumônerie du lycée privé Charles-de-Foucauld, à Brest, là où se sont déroulés les faits.
Cette démarche "restaurative et mémorielle", selon l'instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des violences sexuelles dans l'Église (INIRR), signifie beaucoup pour Jean-Yves Guégen, Gérard Bihan et Philippe Abguillerm, victimes des prêtres lorsqu'ils étaient élèves dans cet établissement privé catholique.
Alors, quand ils trouvent le courage et la force de revenir ici, plus de 50 ans après, pour visser eux-mêmes la plaque au mur de l'aumônerie, la dévoiler et prendre la parole au cours d'une cérémonie à laquelle assiste l'évêque de Quimper, les larmes ne sont pas loin. "C'est une reconnaissance, disent-ils. Ces actes ne seront jamais oubliés".
À LIRE : Abus sexuels. "On a violé notre enfance" : les victimes d'un prêtre pédophile se souviennent
"Ce n'est pas moi le coupable"
Les trois hommes, à la chevelure aujourd'hui grisonnante, ont longtemps attendu que leur parole soit entendue et reconnue par l'Église. Il leur a fallu également de très longues années pour se confier à leurs proches et pour que s'estompe, un peu, le sentiment de "honte et de culpabilité". "Je voulais sortir de ce statut de victime, affirme Jean-Yves. Je me sens réparé désormais, j'ai cassé la carapace". Gérard ajoute qu'il a encore besoin de temps pour se défaire "totalement de cette carapace".
Philippe, lui, raconte qu'il a été abusé par l'un des deux prêtres entre l'âge de 12 et 14 ans. "Une vie d'adolescent qui bascule avec toutes les conséquences que l'on imagine tant dans la vie sentimentale que familiale" souffle-t-il. Il y a peu, il est allé brûler une lettre sur la tombe de son agresseur. "Ce jour-là, je lui ai rendu la culpabilité, témoigne-t-il. Je suis victime, ce n'est pas moi le coupable".
Jean-Yves a "tout mis sous le tapis" pendant 25 ans. "Et puis, ça finit par ressortir. J'ai tout d'abord partagé ce qui m'est arrivé avec mon épouse qui a été un soutien important, relate-t-il. Et, plus tard, avec ma mère et mes enfants". En 2019, il a franchi une autre étape : témoigner devant la commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (CIASE), puis, en 2022, auprès de l'INIRR.
"Je vous demande pardon"
"Terminé, le silence, déclare Philippe. Il faut que cela serve d'exemple. Je connais d'autres victimes et si elles veulent parler, qu'elles n'hésitent pas". Il salue l'accompagnement de l'INIRR et de la cellule d'écoute du diocèse de Quimper, "qui nous ont soutenus".
L'évêque, de son côté, évoque "la grande souffrance des victimes". "On a du mal à comprendre comment des prêtres chargés de l'enseignement pour aider les jeunes à grandir peuvent faire des choses comme ça, affirme Mgr Laurent Dognin. C'est tellement contraire à notre vocation".
Il cite "l'importance de la prévention", le travail de "vigilance" mené au sein du lycée Charles-de-Foucauld "pour lutter contre ces violences et agir immédiatement". Et surtout, devant l'assemblée réunie, il demande "pardon" à ces trois hommes qui, s'ils ont retrouvé une sorte de paix intérieure, s'interrogent sur leur foi.
Gérard et Jean-Yves ne cachent pas qu'ils ont du mal à mettre les pieds dans une église. "Un calvaire, dit le premier. J'y suis entré pour le mariage de mon fils et ce fut difficile". "Je peux en visiter pour admirer l'architecture, note Jean-Yves, mais pour une cérémonie, je suis mal à l'aise, je deviens claustrophobe". Philippe, qui fut directeur d'un établissement scolaire catholique, hésite puis finit par lâcher : "ce prêtre qui m'a fait du mal n'avait rien à voir avec Dieu".
(Avec Céline Serrano)