Isabelle et Éric Le Bourhis, agriculteurs dans le Finistère, ont remporté une bataille judiciaire face à l’Agence de services et de paiement (ASP). Les retards de versements d’aides PAC ont failli couler leur élevage. Un jugement qui met en lumière les lourdes conséquences de ces délais pour les exploitants.
Le Tribunal administratif de Rennes a tranché : l’Agence de services et de paiement (ASP) a été condamnée à indemniser un élevage bovin du Finistère pour des retards dans le versement des aides de la Politique agricole commune (PAC). Le jugement de ce mardi 19 novembre 2024 met en lumière les difficultés des agriculteurs français face aux dysfonctionnements administratifs.
Un éleveur en quête de justice
Isabelle et Éric Le Bourhis, exploitants d’un élevage de vaches armoricaines à Scrignac, avaient porté plainte contre l’ASP. Ils réclamaient 128 000 € en compensation des préjudices financiers causés par des retards de paiement sur plusieurs années, ainsi que 10 000 € à titre personnel. Le Tribunal leur a partiellement donné raison, reconnaissant des "fautes" liées à des délais de paiement déraisonnables pour les aides de 2016 et 2017.
Ces aides, appelées Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), sont versées aux agriculteurs qui s’engagent dans des pratiques durables. Mais selon les juges, les retards répétés ont placé les exploitants dans une situation financière critique.
"Un trou de trésorerie" insurmontable
Pour le GAEC Le Bourhis, les conséquences ont été dévastatrices. L’élevage a accusé un déficit de trésorerie de 50 000 € en 2019. Contraints de contracter des découverts bancaires, les exploitants ont dû payer 40 000 € de frais financiers et 9 000 € de pénalités de retard à leurs fournisseurs. "Ce n’est pas une grande entreprise capable d’absorber une telle perte", avait plaidé leur avocat.
La situation était d’autant plus frustrante que le problème des retards de paiement était connu. La Commission européenne avait averti la France dès 2009 sur l’obsolescence du logiciel gérant les aides. Pourtant, ce n’est qu’en 2017 que l’outil a été modernisé, trop tard pour éviter le chaos des besoins en 2016 et 2017.
Des paiements au compte-gouttes
Les détails des versements confirment l’ampleur des retards : pour l’année 2016, sur les 57 000 € d’aides dues, seuls 29 000 € avaient été versés en 2016, suivis de montants résiduels en 2017 et 2019. Même schéma pour 2017, où une partie des aides n’a été versée qu’en 2019. Ces retards ont obligé l’élevage à vendre prématurément des bovins non matures, engendrant d’autres pertes.
Des dommages moraux, mais pas financiers ?
Le Tribunal administratif a cependant relativisé l’ampleur des préjudices. S’il a reconnu que les retards constituaient une "faute" de l’administration, il a jugé que les versements successifs avaient "compensé" le manque initial et n’avaient pas directement causé les retards de paiement aux fournisseurs ni les ventes précipitées.
En revanche, le stress et la pression subis par les exploitants ont été reconnus comme un "préjudice moral". L’ASP a été condamnée à leur verser 2 000 € chacun, ainsi qu’à prendre en charge 1 500 € de frais d’avocat.
Un signal pour les autorités ?
Pour Isabelle et Éric Le Bourhis, la bataille judiciaire marque une victoire symbolique. Et rappelle l'une des demandes des agriculteurs, "la simplification administrative", l'un des points forts de leurs revendications dans la colère qui s'exprime actuellement.