"Erreur de casting", "loi injuste", "décision ridicule": le bannissement du navire russe Shtandart des ports européens, pour cause de sanctions contre la Russie, suscite l'incompréhension de son équipage et de nombreux marins venus le soutenir à l'occasion des Fêtes maritimes de Brest.
"C'est une erreur de casting: on s'en prend au Shtandart quand des méthaniers continuent à livrer du gaz russe!", s'énerve Hugues (qui n'a pas voulu donner son nom), 40 ans, matelot occasionnel sur ce trois-mâts de 34 mètres, réplique exacte d'une frégate du tsar Pierre Le Grand.
Propriété privée, le navire sillonne les festivals maritimes européens et embarque croisiéristes et stagiaires depuis 1999. En 25 ans, le navire a ainsi embarqué 10.000 personnes et participé à 200 festivals maritimes en Europe.
Le 7 juillet, il s'est pourtant vu barrer l'accès à l'un des plus grands rassemblements du monde, les Fêtes maritimes de Brest, par un arrêté du préfet du Finistère. En cause: l'extension, le 24 juin, aux "navires répliques historiques" des sanctions européennes contre la Russie.
"Combattre le régime pas la culture"
"Cette loi n'est pas juste. Et nous voulons la changer aussi vite que possible", a déclaré le capitaine de la frégate Vladimir Martus, lors d'une réunion publique mardi, dans un bar du port de Brest.
"Ce bateau représente une partie de la culture russe, c'est vrai, nous n'allons pas argumenter là-dessus. Mais je pense que nous devrions combattre le régime, pas la culture" russe, a ajouté le capitaine, sous les applaudissements des quelques dizaines de marins venus l'écouter.
Des conditions de vie à bord difficiles
Interdit d'accoster depuis dix jours, le navire mouille actuellement dans le sud du Finistère, au large de Bénodet, et fait face à des difficultés de ravitaillement. "L'équipage ne peut pas prendre de douche, ne peut pas se laver les mains", a décrit M. Martus.
Vareuse blanche, marinière, barbe et longs cheveux blancs, le capitaine a répété en anglais qu'il comprenait "le sentiment des Ukrainiens vis-à-vis de la Russie". "J'ai honte de ce que fait mon gouvernement", a ajouté M. Martus, assurant qu'il n'y avait "aucun lien entre le Shtandart et le régime" de Vladimir Poutine.
Le capitaine, qui a un père ukrainien, a souligné que le navire ne s'était pas rendu en Russie depuis 2009 et qu'il n'y payait pas d'impôt. A la demande des autorités françaises, il a d'ailleurs troqué son pavillon russe pour celui des îles Cook, début juin.
"On ne peut pas dire que chaque Russe est comme Poutine", a critiqué Arjen Van Der Veen, 49 ans, capitaine néerlandais du trois-mâts Gulden Leeuw, en vantant le "courage" de Vladimir Martus, un "grand capitaine, un très bon navigateur et un bon ami".
"Le Shtandart a été un des navires les plus importants des festivals maritimes ces 30 dernières années", a-t-il pointé.
"Je vois dans chaque russe un agresseur"
Les justifications de M. Martus se sont toutefois heurtées à un mur d'incompréhension des quelques opposants venus assister à la réunion, munis d'affiches "Poutine terroristes" et "La Crimée c'est l'Ukraine".
"Chaque fois que le Shtandart passe, nous souffrons", a ainsi lancé Svitlana Jestin, présidente de l'association "Iroise-Ukraine", en montrant des photos de victimes des bombardements russes. "Mettez-vous à l'écart et allez travailler en Afrique", a-t-elle suggéré.
"Et l'hospitalité des Bretons!", lui a lancé un homme attablé.
"Pour moi, ce bateau, c'est l'image du pays qui nous fait la guerre. Je vois dans chaque Russe un agresseur", a confié à l'AFP Olena, une Ukrainienne quinquagénaire qui n'a pas voulu décliner son nom.
"Pourquoi les Français sont si gentils avec les Russes?", a-t-elle demandé, en pointant le doigt vers les chantiers de réparation navale de Brest qui ont accueilli des méthaniers ayant transporté du gaz russe.
Car l'Europe a importé 14,4 milions de tonnes de gaz liquéfié (GNL) russe en 2023, selon un rapport du groupe international des importateurs de gaz liquéfié (GIIGNL).
Quant au Shtandart, il doit quitter la Bretagne pour rejoindre Vigo (Espagne) fin juillet. "J'espère que les autorités espagnoles seront plus rationnelles", a lâché M. Martus, se disant "optimiste".