En réponse aux difficultés rencontrées par les Ehpad ces derniers mois, le gouvernement a annoncé le déblocage d’une aide d’urgence de 650 millions d’euros. Une jolie somme sur le papier, mais dans la réalité, les professionnels du secteur restent très inquiets.
"Le calcul simple, démontre Joël Goron, président de l’Union régionale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux de Bretagne, vous prenez 650 millions divisés par 100 départements et par le nombre d’Ehpad dans chaque département… ça fait … la réponse tombe cinglante, ça fait pas lourd !"
85% des Ehpad publics dans le rouge
"On ne va pas bouder cet argent, 650 millions, c’est une belle somme, poursuit-il, ça peut répondre à une urgence mais ce n’est pas une solution d’avenir."
Selon une enquête menée par la Fédération hospitalière de France, 85 % des Ehpad publics seraient en déficit. En Bretagne, 70% d'entre eux connaîtraient des difficultés. Ces derniers mois, les établissements ont appelé au secours à plusieurs reprises.
Un trou de 99 000 euros à la Résidence du Grand Champ
À Maxent, en Ille-et-Vilaine, la Résidence du Grand Champ connaît "encore une année compliquée, et c’est la deuxième… C’est plus qu’inquiétant ! "L’an passé, il manquait 150 000 euros dans ses comptes, cette année, le trou est de 99 000 euros détaille Mathieu Le Rolland, directeur de l'association Résidence Le Grand Champ.
Comme Joël Goron, il craint que l’aide annoncée ne change guère la situation des finances de l’établissement. "Cela fera 3 fois rien, c’est une goutte d’eau dans l’océan."
Le budget annuel de l’Ehpad est de 2 730 000 euros, dont 1 300 000 euros de dotations publiques. "On arrivera peut-être à une hausse de 5% de la dotation soins, mais quand l’inflation est à 13 %, que la hausse du prix de l’électricité est de 18%... il en manque ! Qui va payer ? Interroge le directeur, je ne sais pas !"
Les trésoreries fondent comme neige au soleil
L’Ehpad a déjà serré tous les budgets, réduit le recours aux intérimaires, travaillé sur les frais de fonctionnement en passant ses commandes avec un groupement d’achat, "mais ce n’est toujours pas suffisant" déplore Mathhieu Le Rolland. "On voit les trésoreries fondre comme neige au soleil " constate-t-il. En 2023, il a dû augmenter les prix de journée de 3%.
Mais, "ici, à Maxent, les gens travaillaient souvent dans l’agriculture, donc ils n’ont pas des retraites très élevées, souligne René Marchadour, président de l'association Résidence Le Grand Champ. "Pour eux, il ne faut pas que ça augmente de trop, mais si n’augmente pas, avec l’inflation, on n’y arrive plus. Nous n’avons pas d’argent d’avance alors nous sommes inquiets pour l’avenir. On va faire une demande pour toucher un peu de ces 650 millions et on verra bien ce qu’ils vont nous accorder."
Loi "grand âge"... mais petit budget
"La question, c’est combien de temps on peut tenir", résume Joël Goron. "Nous n’avons pas le souhait d’être maintenus sous perfusion, mais là, nous sommes dans une logique de colmatage, pas très rassurante. Le secteur a besoin de perspectives. Nous attendons la loi "grand âge" depuis des mois, poursuit le président de l’URIOPPS, Nous n’avons pas le souhait d’être maintenus sous perfusion, on tient avec des bouts de ficelles, les gens quittent le secteur parce qu’ils ne gagnent plus leur vie et parce qu’ils ne reconnaissent plus le métier qu’ils ont choisi."
"Les petites structures comme les nôtres vont disparaître, redoute René Marchadour et le risque c’est qu’elles soient rachetées par des gros centres à but lucratif, ce n’est pas une solution pour nos aînés. Ces Ehpad-là produisent de l’argent, des dividendes pour les actionnaires. Nous, on est des bénévoles, on fait ça parce que ça permet aux gens qui habitent dans la commune de rester sur place et de voir leur famille, leurs proches. Ici, la plupart des résidents se connaissent déjà quand ils arrivent."
Papy Boom en vue
Tous les acteurs du secteur insistent sur la nécessité d’anticiper bien davantage les années à venir. La population vieillit. Les enfants du Baby Boom ont maintenant les cheveux gris. "C’est le Papy Boom, mais comment allons-nous faire pour accueillir tous ces futurs pensionnaires", s'interroge Mathieu Le Rolland.
"En ce moment, conclut-il, à la Résidence des champs ( qui compte une cinquantaine de résidents) nous avons cinq centenaires ! Il y a dix ou vingt ans, quand il y en avait un, c’était fantastique, aujourd’hui, c’est 10% de notre population… mais si les gens vivent plus longtemps, ils ont davantage de pathologies, il nous faudra du personnel, des moyens, des bâtiments… 650 millions, c’est une solution à très court terme… mais on ne sait toujours pas où on va ."
(Avec S. Salliou)