Dans un communiqué, le groupe Le Duff, porteur du projet de construction d’une usine de viennoiseries industrielles congelées à Liffré, s’agace des retards pris par le programme." Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre 10 ans pour que nos projets industriels aboutissent" assène Louis Le Duff, président fondateur du groupe. Le patron breton annonce qu’il a donc décidé d’investir aux Etats-Unis, au Portugal et en Allemagne. Les opposants à l’usine dénoncent une forme de chantage.
"Malgré un démarrage du projet en 2017, il n’y aura pas d’ouverture avant 2027 au plus tôt. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre 10 ans pour que nos projets industriels aboutissent." Le ton est donné. Louis Le Duff s’impatiente et s’agace. Il le fait savoir dans un communiqué.
Fondé à Brest et aujourd'hui basé à Rennes, le groupe Le Duff livre pains et viennoiseries congelés dans une centaine de pays. Il emploie plus de 35.000 personnes, pour un chiffre d'affaires 2019 de 2,05 milliards d'euros.
En 2017, le groupe qui compte neuf usines dans le monde, dont une à Servon-sur-Vilaine, près de Rennes se lance dans le projet de construction d’un nouveau site. En 2018, son choix se porte sur un terrain à Liffré, en Ille-et-Vilaine.
Un projet de 250 millions d’euros
Le groupe le Duff souhaite y construire sa plus grande usine dans le monde. Sur le site, il veut installer 11 lignes de production de pains, croissants et autres viennoiseries, 650 tonnes par jour, à destination de l’Asie et de l’Amérique. Mais pour se faire, il a besoin d’un site de 21 hectares et de beaucoup, beaucoup d’eau.
Très vite, dans la commune, la mobilisation s’organise. Une association baptisée CoLERE voit le jour. Plusieurs manifestations ont lieu pour s’opposer à "un projet d’un autre âge, d’un autre temps".
"On va artificialiser des terres de bocage, un cadre magnifique, alors qu’on perd déjà l’équivalent d’un département de surface agricole tous les 6 ans en France" dénonce Mickaël Romé, secrétaire général de la Confédération paysanne d’Ille-et-Vilaine.
"On ne peut pas faire de l'économie sur le dos de la nature, ajoute Pascal Branchu, président de La Nature en ville. L'usine va consommer de la terre agricole, de l'eau, (l’usine, si elle voit le jour, nécessiterait quelques 200.000 m³ d’eau par an, l’équivalent des besoins de 10 000 habitants, ndlr), de l'électricité. On va abattre un millier d'arbres, cela n'a pas de sens."
Des investissements à l'étranger
Dans un communiqué, le groupe agro-alimentaire explique que faute de pouvoir "avancer sereinement" sur ce projet, "Bridor a concrétisé trois projets complémentaires aux Etats-Unis, au Portugal et en Allemagne" pour alimenter ses différents marchés.
Pour répondre aux besoins du marché américain dans le pain et la viennoiserie, le groupe indique avoir acheté une usine dans le Connecticut aux Etats-Unis et avoir doublé sa capacité à Montréal (la première usine du groupe, ouverte en 1984). Il avait déjà investi plus de 200 millions d'euros aux Etats Unis en 2020.
Bridor a également fait l’acquisition cette année 2022 d’une usine de pains et viennoiseries au Portugal, qui, précise le texte, "est de la même taille que le projet Liffré."
Enfin, une usine est en construction dans les environs de Düsseldorf dans la production de pains.
L'ensemble de ces trois sites représente la création de 3.000 emplois, dont près de 1.800 emplois directs et 1.200 emplois indirects. "Avec ces trois acquisitions, Bridor disposera d'une capacité de production permettant pour le moment de faire face à la demande de ses 50.000 clients dans le monde entier."
Chantage ?
"C’est devenu un combat politique, dénonce Mickaël Romé. Il met un coup de pression aux élus, en leur disant : 'Débrouillez-vous pour faire accélérer le dossier sinon, je m’en vais'. C’est du chantage ! "
D’ailleurs Louis Le Duff place effectivement le débat dans le champ politique et insiste : "La France se désindustrialise. Je rejoins l’avis de l’ancien ministre Pierre Moscovici, qui rappelait récemment 'qu’une industrie qui décroche, c’est un pays qui se déclasse'. On ne peut pas attendre 10 années (2017-2027), lorsque nos concurrents allemands mettent 2 ans à construire une usine."
"Son message, c'est 'Laissez moi faire ma thune' " s'indigne Pascal Branchu.
Chacun défend son point de vue
Guillaume Bégué, le maire de Liffré prend la chose calmement. "Ce n'est pas un coup de pression, affirme-t-il, chacun défend son point de vue. Et d'ailleurs, l'affaire n'est pas dans nos mains, mais dans celles de la justice, je ne pense pas qu'on puisse mettre la pression sur les juges." Trois recours ont été déposés devant les tribunaux.
"Le groupe Le Duff a ses objectifs, de croissance, continue l'élu, les opposants au projet ont les leurs, de protection de l'environnement. On peut comprendre les positions de chacun, mais nous, on travaille avec Le Duff pour que le projet aboutisse en étant le moins impactant pour l'eau et la biodiversité."
Guillaume Bégué espère que l'usine verra la jour. "Sinon, il faudra expliquer aux habitants de Liffré comment un petit groupe d'opposants a réussi à faire partir 500 emplois de la ville."
Emplois versus environnement ?
Le groupe Le Duff affirme qu’il maintient son projet d'usine à Liffré et répète que 500 emplois sont en jeu.
"Il faut qu'on arrête d'opposer emplois et environnement, explique Philippe Rocher, membre de l'association CoLERE qui s'oppose à la construction de l'usine. Sinon, on va dans le mur. Moi, je refuse d'être pris en otage par la question de l'emploi."
"En plus, poursuit-il, nous sommes sur un secteur où les industriels ont de grosses difficultés pour recruter. Nous avons deux modèles de société qui s'opposent. D'un côté, une politique industrielle, de l'autre des citoyens à l'écoute de ce que la communauté scientifique explique sur l'effondrement de la biodiversité, la nécessité de sauvegarder des espaces naturels etc... Si on veut des emplois, on peut développer des projets innovants, de transition."
"Et quand Bridor met en avant l'emploi, ils oublient de préciser que ce sont des emplois dans ses usines, mais que partout où ils livrent leurs produits surgelés, cela fait des emplois en moins dans les boulangeries" précise aussi Pascal Branchu.
Des croissants qui ont fait le tour du monde
"J’espère que les élus ne vont pas céder, poursuit Mickaël Romé, parce que ce projet est un non-sens. On parle de relocaliser l’agriculture et là, on sera face à une groupe qui achète des céréales en Europe de l’Est pour faire des croissants qui vont partir aux Etats Unis. Est-ce que quelqu’un s’interroge sur le bilan carbone d’une viennoiserie qui a fait le tour du monde ?" questionne-t-il.
"Si Bridor s'installe en Amérique pour produire les viennoiseries qu'il destine aux Américains, c'est peut-être qu'il a compris qu'il fallait faire autrement" espère Philippe Rocher.
Un nouveau rassemblement est prévu ce 12 novembre à Rennes dans le cadre de la COP 27. Et en guise de clin d'oeil, le rendez-vous est donné devant les locaux du siège social de Le Duff à Rennes.