Flemmarde, dilettante, égoïste, infidèle : les clichés sur la génération Z au travail sont nombreux. Sont-ils réalistes ? S'agit-il de préjugés ? Marc Loriol, sociologue et chercheur au CNRS, répond aux questions du magazine "Enquêtes de Région".
Les clichés qui collent aux baskets des jeunes d'aujourd'hui sont légion. L'un d'eux est qu'ils seraient moins investis au travail. Selon le sociologue Marc Loriol, spécialiste du sujet et auteur du livre "L'addiction au travail - De la pathologie individuelle à la gestion collective de l'engagement", ces préjugés ont toujours existé. C'est ce qu'il explique au magazine "Enquêtes de région" diffusé ce 29 mai 2024 à 23h25 sur France 3 Bretagne ou dès maintenant sur francetv.fr.
France 3 Bretagne : On dit la génération Z égoïste, dilettante, moins fidèle, moins respectueuse des entreprises qui l’emploient. Ce sont des clichés ou des préjugés ?
Marc Loriol : Ce sont en partie des préjugés. On a ce même type de discours depuis très longtemps. On pourrait citer Platon qui dit que les jeunes sont égoïstes, ont peu de respect pour les vieilles générations. Donc, ça remonte à loin. Par contre, ce qui a changé, c’est que jusqu’aux années 90, la plupart des nouveaux entrants sur le marché du travail, rentraient plutôt par des CDI. À partir des années 90, la plupart commencent en CDD, en intérim. Il y a donc une précarité qui s’est installée au début de la carrière et qui dure quelques années. Cette précarité, elle a amené une partie des jeunes à considérer que, puisque l’entreprise ne leur garantissait plus une carrière s’ils s’investissaient, eux ne se sentaient plus forcément redevables vis-à-vis de cette entreprise. Il y a une sorte de contrat implicite qui est rompu.
Et au sein des entreprises, peut-on parler de clash intergénérationnel ? Est-ce qu’il y a un décalage de plus en plus important entre les jeunes et les salariés plus âgés ?
Ce décalage, il existait déjà auparavant, mais il tend à s’accentuer pour une raison très simple : un travail plus précaire. Les plus anciens se disent à quoi bon former des jeunes qui arrivent s’ils vont rester trois mois, six mois et après, il faudra en former d'autres. Par ailleurs, les employeurs, de plus en plus, ont envie d’avoir des jeunes qui sont déjà opérationnels, déjà formés, pour les mêmes raisons, parce qu'ils ne sont pas sûrs de les garder très longtemps. Tout cela fait qu’il y a plus de méconnaissance, moins de transmission entre les plus anciens et les plus jeunes.
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Dans le reportage (en Une de l'article), on découvre le portrait de jeunes qui prennent davantage de libertés dans leurs trajectoires professionnelles. Bifurquer, quitter une voie toute tracée, c’est un luxe que l’ancienne génération ne prenait pas ?
Je suis en train d'écrire un livre sur l’histoire du rapport au travail. J’ai interrogé un certain nombre de retraités, j’ai aussi récolté beaucoup de témoignages et ces bifurcations, elles existent depuis au moins les années 50, 60. Souvent, elles sont dans l’autre sens d’ailleurs, c'est-à-dire des gens qui commencent par un travail manuel et, confrontés à des conditions de travail difficiles ou pénibles, certains vont avec succès ou sans se reconvertir. Donc, ça existe depuis longtemps. Ce qui est relativement nouveau, c’est qu'on a peut-être plus d’opportunités, plus de nouveaux métiers.
Par ailleurs, la carrière à vie qu’on promettait auparavant, elle existe de moins en moins. Les jeunes n'ont pas la garantie d’avoir une carrière, des responsabilités. Ce qu’ils reprochent à leur emploi, c’est d’avoir beaucoup d’objectifs à atteindre, des contraintes et pas beaucoup d’autonomie et de responsabilités épanouissantes et enrichissantes et donc, ils veulent se mettre à leur compte pour avoir ces responsabilités. Le fait de ne pas être garanti de pouvoir progresser dans son métier, ça rend peut-être plus sensible à l’idée d’aller s’épanouir ailleurs.
En 2022, des étudiants d'AgroParisTech ont refusé leur diplôme. On n’aurait pas imaginé cette prise de parole il y a quelques années. Les jeunes qui arrivent aujourd'hui sur le marché du travail sont beaucoup plus exigeants sur les valeurs que véhiculent leurs futurs employeurs ?
Il y a un effet de période. Maintenant, l’écologie est devenue un thème important, dont beaucoup de gens sont conscients. Dans les années 70, on avait déjà des discours très critiques sur le monde de travail. Des personnes, qui devaient être cadres dans des entreprises, sont parties soit dans des communautés rurales, soit en s’établissant comme ouvriers pour stimuler le mouvement ouvrier. Donc, ce n'est pas totalement nouveau. Mais cela concerne à chaque fois une petite partie de la génération. Les gens qui n’ont pas fait d’étude, qui ont moins d’opportunités pour trouver un emploi, ont peut-être plus de difficultés à accorder leur souhait de préserver l’environnement et d'avoir des valeurs plus sociales et le fait de devoir trouver un travail.
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De manière générale, peut-on dire aujourd’hui que les jeunes candidats à l’emploi sont beaucoup plus exigeants ?
Le marché du travail étant un petit peu moins en mauvais état, effectivement les jeunes ont un petit peu plus de possibilités, et les moins jeunes aussi d’ailleurs. Pour les attirer, leur proposer un certain nombre d’avantages comme du sport, des tickets restaurants, ça peut marcher, mais pour les fidéliser, le "don contre don", ça crée du lien, de l’attachement, ça fait qu’on a envie de rester dans l’entreprise. Ça, c'est un élément important ! Comme dans le reportage (ci-dessus) où on voit le restaurateur heureux d’avoir un jeune motivé et le jeune heureux d’avoir un restaurateur qui prend le temps d'expliquer et de transmettre un métier. Si on veut attirer les jeunes, on peut leur proposer des avantages extrinsèques mais si on veut qu’ils restent, il faut leur montrer comment on transmet un métier, un intérêt du travail bien fait.
Le magazine Enquêtes de région " Les jeunes ne veulent-ils plus travailler ? " est à découvrir ce mercredi 29 mai sur France 3 Bretagne à 23h25 ou dès maintenant sur francetv.fr
(Avec Robin Durand)