Le Secours Catholique alerte sur le non-recours aux prestations sociales à travers la publication de son rapport annuel, intitulé "Quand la solidarité s'éloigne", ce jeudi 14 novembre. En Bretagne, 45,3 % des personnes accueillies au Secours Catholique, durant l'année 2023, auraient dû bénéficier du RSA, mais n'en avaient pas fait la demande. Notre région est celle où le non-recours à cette prestation est la plus élevée en France, après la région Île-de-France.
Après avoir accueilli plus d'un million de personnes en France en 2023, le Secours Catholique avait la "matière" pour dresser quelques tendances sur la pauvreté en France. C'est en recueillant des données sur le profil du public accompagné dans ses 2 500 antennes, que l'association a pu établir des statistiques, identifiant certaines évolutions dans la précarité. Et parmi ces évolutions, une tendance paradoxale : l'ONG rencontre de plus en plus de situations dans lesquelles une personne ne perçoit pas une aide, un service ou une prestation sociale, auxquels elle pourrait pourtant prétendre.
"Transformation numérique des démarches"
Si ce "non-recours aux droits" peut s'expliquer par différentes raisons, le Secours Catholique estime que c'est d'abord "la transformation numérique des démarches administratives" qui est en cause. Évoquant les personnes dépourvues d'ordinateur, à qui on suggère de "prendre un rendez-vous avant de parler à un conseiller, mais pour prendre rendez-vous, il faut un ordinateur", l'association caritative parle de "maltraitance institutionnelle".
Une antenne de la Sécu "sauvée"
Une distance entre usagers et services publics contre laquelle agit l'association "Si on s'alliait", depuis une dizaine d'années, à Rennes. Dès 2016, ce collectif, partenaire du Secours Catholique, s'est mobilisé contre la fermeture de l'antenne de la Sécurité Sociale dans le quartier Villejean, un quartier prioritaire de la Politique de la Ville qui compte 16 000 habitants. Après des années durant lesquelles l'antenne fermait pour cause d'insalubrité ou d'actes de malveillance, avant de finalement rouvrir temporairement, l'accueil de la Sécurité sociale de la "dalle Kennedy" reste désormais ouvert, depuis 2021, deux jours par semaine. "Une victoire" selon l'association, qui n'a pas ménagé ses efforts pendant cinq années. "On était au taquet, dès qu'une nouvelle fermeture était annoncée, on organisait une manifestation et une réunion publique avec les habitants de Villejean," se souvient Sylvia Thénard, animatrice de "Si on s'alliait".
Vidéo. Quartier Villejean à Rennes. Quand l'entre-aide tient la dalle
Jusqu'à la moitié de ceux qui pourraient bénéficier du RSA s'en trouvent, de fait, exclus
Parmi les statistiques fournies par le Secours Catholique sur les exclus des dispositifs sociaux, les données sur le Revenu de solidarité active (RSA) dessinent une dégradation tranchée. Depuis 13 ans, le non-recours au RSA a augmenté de 10 points en France, passant de 26 % en 2010, à 36 % en 2023, parmi les ménages rencontrés par le Secours Catholique. Ainsi, plus d'un tiers de ces potentiels bénéficiaires sont, dans les faits, exclus du dispositif.
En Bretagne, la proportion atteint même 45,3% des personnes accueillies au Secours Catholique. Pourtant, la totalité de ces "non-recourants" vit sous le "seuil d’extrême pauvreté", c'est-à-dire gagne moins de 850 euros par mois.
Ces gens témoignent, parfois, d'une mauvaise expérience pour obtenir de l'aide auprès des services sociaux.
Owen MorandeauSecours Catholique d'Ille-et-Vilaine
En Ille-et-Vilaine, c'est même la moitié des 10 000 personnes rencontrées au Secours Catholique en 2023, qui ne touchaient pas le RSA, alors qu'elles étaient éligibles à cette prestation. " Parfois, ces gens témoignent d'une mauvaise expérience pour obtenir de l'aide des services sociaux, ou bien ce sont des personnes étrangères qui viennent d'avoir un titre de séjour et qui, heureuses de pouvoir enfin commencer à travailler après une longue attente, ne font pas la démarche pour toucher le RSA", explique Owen Morandeau, animateur de réseau au Secours Catholique en Ille-et-Vilaine.
Un RSA sous condition envisagé
Expérimentée en Ille-et-Vilaine et dans le Finistère depuis un an, une réforme du RSA envisage, par ailleurs, un accompagnement "renforcé" du bénéficiaire pour qu'il retrouve un emploi, mais sous condition. "La condition fixée, dans cette expérimentation, est de réaliser 15 heures d'activités rémunérées ou bénévoles par semaine, et beaucoup de demandeurs craignent d'être radiés brutalement s'ils ne font pas les quinze heures," constate Véronique Aulnette, déléguée pour le Secours Catholique en Ille-et-Vilaine. Pour la responsable associative, le nouveau dispositif pourrait éloigner plus encore les potentiels bénéficiaires du RSA, comme elle le perçoit déjà chez les personnes sans-domicile fixe qu'elle rencontre.
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Hommes seuls, séparés
François Soulard, directeur du Secours Catholique du Finistère, constate que parmi ceux qui ne réclament pas le RSA, alors qu'ils pourraient en bénéficier, "on voit beaucoup d'hommes seuls, qui ont vécu une séparation récente, et qui ne font pas la démarche parce qu'ils n'y pensent pas, ou parce qu'ils trouvent que toucher le RSA les stigmatise."
Pour ce public-là comme pour d'autres, le contact et le dialogue semblent cruciaux. "Si on ne remet pas un peu d'humain dans les services publics, en limitant la numérisation des démarches", alerte le responsable associatif du Finistère, "beaucoup de gens risquent de se sentir au ban de la société, et ça va aggraver une fracture dans les années qui viennent."