Les prochaines heures vont être cruciales. Combien de motions de censure vont-elles être déposées d'ici 15h20 ce vendredi 17 mars ? Une majorité de députés peut-elle voter contre le gouvernement lundi 20 mars ? Emmanuel Macron va-t-il ensuite dissoudre l'Assemblée ? Le politologue Thomas Frinault analyse la situation.
Le gouvernement a choisi hier, jeudi 16 mars de déclencher l'article 49.3 pour faire passer le texte du projet de loi sur la réforme des retraites. Les députés de l'Assemblée nationale n'ont donc pas voté.
Même dans les rangs de la majorité, beaucoup ont témoigné de leur déception, alors que dans les rues de Rennes mais aussi Brest, des manifestations spontanées se sont multipliées.
Comme annoncé dès jeudi après-midi, le député Morbihannais Paul Molac va déposer ce 17 mars une motion de censure trans-partisane à l'Assemblée nationale, avec son groupe parlementaire Liot. Et après ? Analyse du politologue Thomas Frinault.
Le 49.3, un choix contraint
"C'est la solution de dernier recours qui a prévalu. Sachant qu'il y avait risque que le texte ne soit pas voté et que le gouvernement soit mis en minorité. Le choix a été fait de faire passer cette réforme, ce qui sera peut-être un épilogue, ou pas...
C'est un choix contraint, et un aveu de faiblesse de la part d'Emmanuel Macron. On est en train de voir la réplique des élections législatives de juin 2022 où l'on était dans une situation inédite avec une majorité présidentielle, en minorité présidentielle, qui allait avoir besoin des autres. Là on voit combien notre Vème République a été mal armée pour faire face à ça.
Résultat, aujourd'hui Emmanuel Macron est dans une relative position de faiblesse. Il avait peu de choix, même s'il est difficile d'imaginer toutes les répliques politiques possibles au cours des prochains jours, prochaines semaines et prochains mois."
Le signal d'un président pressé
"Il aurait été possible de passer par une lecture supplémentaire, de repasser par une lecture, de refaire des tractations. Mais c'est se livrer à un jeu de démarchages et de promesses individuelles envers des députés.
Surtout il y a dans ce choix, une question de temporalité : en faisant le choix d'un projet de loi rectificatif de la sécurité sociale, on s'inscrivait déjà dans un cadre temporel limité. On sent bien qu'il y a cette volonté pour l'exécutif d'en finir avec cette réforme. Cette réforme, c'est un totem pour Emmanuel Macron. C'est un message qu'il envoie à l'étranger, à la Commission européenne, aux marchés... Il y a cette volonté d'acter et de passer à autre chose.
En même temps je crois qu'il y a un petit dissensus au sein de la majorité entre la stratégie d'Emmanuel Macron et ce qu'aurait voulu Elisabeth Borne. Elle était partie pour aller plus loin. Ce 49.3 c'est plus un choix d'Emmanuel Macron qu'une vraie volonté politique d'Elisabeth Borne."
LR, ce faux allié qui peut tout faire basculer
"Depuis le départ, on sent que les positions des Républicains seront les clés de ce mandat. Au regard du programme LR sur les retraites, on a aurait pu s'attendre à ce qu'ils se rallient, qu'ils soient des alliés dans le vote du projet de réforme. En même temps cela fait quelques semaines qu'on voit que LR n'est pas en ordre de marche, qu'il y a des dissensions, probablement aussi des calculs individuels qui font que le vote n'était pas acquis.
Les Républicains ont été clé sur ce dossier des retraites. Ils l'ont aussi été pour le recours au 49.3. Ils le seront aussi sûrement pour la motion de censure qui ne pourra pas passer sans le vote de quelques députés LR !
Toute la question maintenant c'est de savoir quelle est la proportion de députés susceptibles de voter cette motion à titre individuel ? Collectivement, ils ont dit qu'ils ne voteraient pas la motion. Au vu de l'imprévisibilité des Républicains sur ce dossier, il est bien difficile de dire aujourd'hui, vendredi, ce qui va se passer lundi..."
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Une ou plusieurs motions de censure ?
"Ca va se décanter dans les prochaines heures : il peut y avoir plusieurs motions de censure comme il peut n'y en avoir qu'une seule.
S'il y en a plusieurs, la probabilité qu'une de ces motions passe est très faible, parce que chacun risque de repartir en ordre dispersé. Même si le RN a annoncé qu'il voterait toutes les motions de censure, s'il y en a trois, il n'y aura jamais le compte ! Il faut quand même 287 députés votants pour une motion ! Toutes les abstentions étant compté comme des votes favorables au gouvernement.
S'il n'y a qu'une seule motion de censure, comme par exemple celle du groupe Liot (ndlr : Libertés, indépendants, Outre-Mer et territoires, un groupe parlementaire créé en 2018 par le Morbihannais Paul Molac) qui a 20 parlementaire et présente une motion "trans-partisane", là, la probabilité que la motion puisse passer augmente.
Ce n'est arrivé qu'une seule fois qu'une motion de censure passe sous la Vème République, donc on est un peu sceptique sur ses chances de passer, mais là, on a une configuration envisageable."
Motion ? Puis dissolution ?...
"L'avenir d'Elisabeth Borne et de son gouvernement est suspendu au vote de la motion de censure qui aura lieu lundi. Si la motion de censure ne passait pas (ce qui est peut-être aujourd'hui l'hypothèse la plus probable) le gouvernement Borne ressortira quand même fragilisé de cette séquence.
Si la motion de censure passe, le gouvernement tombera. Est-ce qu'Emmanuel Macron va ensuite dissoudre l'Assemblée nationale ? C'est ce qu'il avait laissé entendre l'été dernier...
Il n'y a qu'un seul précédent dans la Vème république, c'est 1962 quand le gouvernement Debré est tombé et que par mesure de rétorsion, le Général De Gaulle a dissout l'Assemblée nationale. Ca fait quand même 60 ans, on n'a jamais revécu cette configuration-là !"
Qui veut retourner vraiment devant les électeurs ?
"Il y a des parties de poker et des calculs dans tous les camps politiques ! Quel est le moment le plus propice pour éventuellement retourner vers les électeurs ? Aujourd'hui, pour beaucoup de formations politiques, il n'y a pas grand chose à gagner.
Pour la majorité présidentielle (Renaissance) c'est évident. La Nupes peut espérer glaner quelques sièges en plus, mais est-ce qu'elle peut espérer doubler ? Ce n'est pas évident. Les Républicains auront du mal à défendre l'idée qu'ils sont les mieux placés, après une dissolution et une campagne référendum anti-réforme des retraites. Finalement, seul le Rassemblement national aurait le moins à redouter d'un nouveau scrutin.
Donc on voit bien que tout le monde est en plein calcul politique. Maintenant il est clair que cette réforme des retraites, c'est la fenêtre d'opportunité pour les oppositions pour retourner devant les électeurs."