Le vainqueur en titre de la Route du Rhum 2018 sera à nouveau aligné sur la ligne de départ, le 6 novembre prochain, au large de Saint-Malo pour la 12ème édition de cette transatlantique mythique. Une 8ème participation mûrement réfléchie. Quelles sont ses chances de "vieux" marin face à la nouvelle génération équipée de bateaux toujours plus performants ? Entretien avec Francis Joyon.
Du haut de ses 66 ans, Francis Joyon aurait pu décider de lever le pied. Laisser les plus jeunes tenter de battre son record sur la Route du Rhum, entre Saint-Malo et Pointe-à-Pitre... Mais ce n'est pas vraiment le genre du marin, toujours avide d'aventures sur les océans du monde entier.
Une course "incontournable"
Habitué, expérimenté, mais pas lassé, Francis Joyon était ce mercredi au théâtre Mogador à Paris : "Cela fait partie du contrat", sourit le grand sage "convoqué" comme tous les skippers à cette présentation officielle de la 12ème Route du Rhum loin des pontons. Séance photos, signatures, interviews... Au milieu de la foule de journalistes, officiels et sponsors, l'homme se plie, affable, à l'exercice.
C'est qu'il commence à être rôdé ! Francis Joyon cumule déjà pas moins de sept participations à la Route du Rhum. Parmi les 138 skippers engagés cette année, il fait en ce sens à la fois partie des plus capés, mais aussi des plus âgés et des plus "auréolés" : 2ème en 2010, 1er en 2018, actuel détenteur du record...
Autant de raisons pour lesquelles il aurait pu décider de ne pas y retourner, mais...
La Route du Rhum c'est une vraie belle course, une course incontournable quand on fait du multicoque !
argumente le skipper d'Idec Sport
Aller "au bout du truc"
Vainqueur il y a quatre ans de la mythique traversée de l'Atlantique, le marin a offert lors de cette 11ème édition, une spectacle inouï à tous les amateurs de voile. En pleine nuit, lui et François Gabart se sont livrés après sept jours de mer, à une véritable régate autour de la Guadeloupe et jusqu'à la ligne d'arrivée. Une bagarre incroyable que l'aîné a finalement remportée sept petites minutes devant son poursuivant.
Un final haletant, couplé d'un record : 7 jours, 14 heures 21 minutes de 47 secondes !... Personne jusqu'à présent n'avait été aussi rapide pour rallier Saint-Malo à Pointe-à-Pitre.
Que faire après un tel succès ? Fallait-il y retourner, au risque de décevoir sur une 8e participation ? "Je me suis aussi demandé un moment, avoue-t-il souriant. "Mais il faut aller au bout du truc (...) Après, en quatre ans, mes chances de victoires n'ont pas augmenté", analyse objectivement le skipper d'Idec Sport.
En quatre ans, mes chances de victoires n'ont pas augmenté : le niveau des concurrents, les bateaux qui vont de plus en plus vite, des bateaux qui volent, qui sont de plus en plus stables... Je me suis dit, bon, après tout : il faut aller au bout du truc ! J'ai envie de savoir quel est le niveau de compétition d'un bateau traditionnel.
Francis Joyon, vainqueur de la Route du Rhum 2018
Compétiteur dans une classe Ultim divisée
Francis Joyon concourt donc cette année encore sur "Idec Sport", un multicoque qui entre dans la catégorie des "Ultim" : 32 mètres de long, 23 mètres de large. Les bateaux dans cette classe sont aussi géants que performants, à l'image du "petit" dernier : le SVR Lazartigue, sorti des ateliers de Mer Concept et mis à l’eau le 22 juillet 2021 à Concarneau.
Le maxi-trimaran de François Gabart se pilote avec un volant. Il possède de nombreuses innovations, dont un cockpit fermé avec des winches à l’intérieur, ce qui a créé beaucoup de remous au sein de la classe Ultim 32/23. Conforme ou pas à la jauge ? Le Tribunal de Paris a donné raison à François Gabart qui participera bien à la 12ème Route du Rhum, mais la classe des géants est à ce sujet toujours divisée. Volontairement resté à distance, Francis Joyon, lui, préfère garder son esprit de compétition :
Moi, j'ai le dernier bateau où on prend encore des embruns dans la figure, on n'est pas caché sous une petite casquette, on n'a pas un bateau bourré d'électronique, on n'a pas des équipes à terre de 25 personnes... C'est amusant de voir comment ça va se passer.
Francis Joyon, tenant du titre
Au total cette année ils seront 8 skippers dans cette même catégorie Ultim (Yves le Blevec manquant sur la photo). De gauche à droite : Charles Caudrelier, Armel Le Cléac'h, Francis Joyon, Arthur Le Vaillant, Thomas Coville, François Gabart et Romain Pilliard.
"Le bateau n'a limite plus besoin de skipper pour gagner"
Son "Idec Sport" dénote un peu dans le paysage des Ultims. Face aux bolides des mers bourrés de technologies, le trimaran de Francis Joyon commence lui à dater : construit en 2006, à l'origine pour Franck Cammas, il s'est d'abord appelé "Groupama 3" puis " Banque Populaire VII" skippé à l'époque par Armel le Cleac'h puis Loïc Peyron.
Avec ce bateau, les uns puis les autres ont déjà remporté de nombreuses victoires et battu beaucoup de records : deux trophées Jules Verne, trois Routes du Rhum, le record de la Route du thé en 2020...
C’est vrai que le bateau a tellement gagné de choses, il n'a limite plus besoin de skipper pour gagner ! Il a gagné trois Routes du Rhum, plusieurs tour du monde, plusieurs trophées Jules Verne... C'est un bateau qui arrive dans sa 17ème année. Il est à la fois ancien, fiabilisé, très bien né… C'est un bateau auquel on s’attache bien sûr !
Francis Joyon, skipper d'Idec Sport
C'est d'ailleurs avec ce même bateau que trois skippers différents ont remporté les trois dernières éditions de la Route du Rhum : Franck Cammas en 2010 sur "Groupama 3", Loick Peyron en 2014 sur celui qui s'appelait alors Maxi Solo Populaire VII, et Francis Joyon en 2018 sur celui qui se prénomme dorénavant "Idec Sport".
Et le skipper d'insister là aussi sur ce qui fait la différence avec ses concurrents : "J’ai quand même du routage avec Christian Dumard, je vais avoir l'aide d'un de mes équipiers très célèbres puisqu'il a fait plusieurs tours du monde : Bernard Stamm (...) On a une petite équipe mais très proche, très soudée. (...) sûrement la plus homogène, si on n'est pas la plus nombreuse."
"J'ai envie de jouer !"
Ses atouts feront-ils la différence face à sept concurrents qui pourraient -en âge- être ses enfants ? Francis Joyon veut y croire : "La seule manière de ne pas gagner une course, c’est de ne pas y participer", répond, habitué à être questionné sur ce sujet, le skipper d'Idec Sport.
La Route du Rhum ce n’est pas que de la régate c’est aussi une aventure… On part début novembre, à un moment où il y a un risque de mauvais temps élevé (...), donc on sait qu’on va se retrouver dans conditions, où même en équipage, on ne se retrouve quasiment jamais ! Ca a un côté aventure, mixé avec un côté performance, qui me plaît bien.
Francis Joyon, skipper d'Idec Sport
"C'est pour ça que ça me fait encore envie ! reconnaît le vieux loup de mers. "Y aurait que la performance, je me dirais 'oui bon d'accord les bateaux neufs vont plus vite, on oublie', mais là, y a le côté aventure qui est sympa."
Une chose est sûre, le skipper d'Idec Sport ne cèdera pas son titre facilement à la jeune concurrence. Si son expérience, ses choix de marin averti et les qualités du bateau peuvent faire la différence dans une météo qu'il espère un peu chaotique (ce qui ne serait pas favorable aux nouveaux "super" ultimes qui ne pourraient pas facilement s'envoler) Francis Joyon saisira sa chance :
"J’pense qu’à partir du moment où on a une chance de victoire, petite ou grande, il faut jouer (...) et j'ai envie de jouer !"
Les 138 participants de la 12ème édition de la Route du Rhum s'élanceront le dimanche 6 novembre 2022 à 13h02 au large de Saint-Malo. Départ à suivre en direct sur France Télévisions.
